Il règne comme un parfum d'automne 2024 dans les couloirs du Palais Bourbon. Une odeur de soufre, de lassitude et, surtout, de déjà-vu. Souvenez-vous : décembre dernier, le gouvernement Barnier chutait, laissant la France au bord du précipice budgétaire, sauvée in extremis par une « loi spéciale » le 20 décembre. Un an plus tard, alors que Sébastien Lecornu tente de manœuvrer dans une Assemblée plus morcelée que jamais, la même question hante les esprits : la France aura-t-elle un budget au 1er janvier?

La réponse, cruelle de réalisme, semble être non.
L'impasse arithmétique : quand le rejet devient la norme
Pour comprendre la gravité de la situation, il faut regarder les faits froids de cette fin novembre. Le cycle budgétaire ordinaire est cliniquement mort. Le 22 novembre, l'Assemblée nationale a rejeté la partie « recettes » du Projet de Loi de Finances (PLF) 2026. Ce n'était pas un accident, mais le résultat mécanique d'une alliance objective des contraires : le Nouveau Front Populaire, ayant échoué à imposer sa révolution fiscale, et le Rassemblement National, en embuscade, ont tous deux refusé le texte.

Côté Sécurité sociale, le constat est identique. La Commission Mixte Paritaire (CMP) du 26 novembre sur le PLFSS a duré moins d'une heure avant de constater l'échec. Les positions sont irréconciliables : le Sénat, gardien de l'orthodoxie et de la réforme des retraites, refuse de valider les détricotages votés par les députés.

La stratégie du survivant : le « Ni-Ni » de Matignon
Face à ce mur, Sébastien Lecornu déploie une stratégie inédite que l'on pourrait qualifier de « survie dynamique ». Contrairement à ses prédécesseurs, il refuse pour l'instant de dégainer l'arme atomique du 49.3. Pourquoi? Parce que dans la configuration actuelle, un 49.3 signerait son arrêt de mort immédiat via une motion de censure conjointe.

Le Premier ministre tente donc de gagner du temps. Il invente des « débats thématiques » (article 50-1) pour saucissonner les problèmes, une méthode que le rapporteur général du Sénat, Jean-François Husson, a qualifiée de tentative de « tordre la Constitution » pour faire diversion. Mais le temps parlementaire, lui, ne se tord pas : la date butoir du 31 décembre approche inexorablement.
La « Loi Spéciale » : de l'exception à la règle?
C'est ici qu'intervient le concept technique qu'il faut maîtriser : la loi spéciale, prévue par l'article 45 de la LOLF. Si le budget n'est pas voté à temps, le gouvernement n'a d'autre choix que de demander au Parlement une autorisation minimale pour éviter la paralysie de l'État (le fameux shutdown à la française).
Concrètement, à quoi cela ressemble-t-il?
- On autorise les recettes : l'État continue de prélever l'impôt (sinon, c'est illégal).
- On gèle les dépenses : on reconduit les crédits de l'année précédente (les « services votés »), sans aucune augmentation ni nouvel investissement.

C'est un régime d'austérité administrative. En 2025, ce mécanisme a coûté cher en incertitude et en gel de projets. Rebeloter en 2026 enverrait un signal désastreux : celui d'une incapacité chronique de la Ve République à produire sa loi fondamentale.
Un avenir en pointillé
Le scénario le plus probable pour décembre est donc écrit : constatant le blocage, le gouvernement déposera un projet de loi spéciale vers la mi-décembre. Ce texte sera voté par une majorité de résignation, car personne — pas même le RN — ne veut porter la responsabilité de couper les vivres aux fonctionnaires et aux hôpitaux.
Mais attention, cette loi spéciale n'est qu'un sursis. Elle ne règle ni le déficit, qui dérape vers les 5,4 %, ni la question de la légitimité politique.En entrant en 2026 sous perfusion budgétaire, la France s'installe dans une crise de régime larvée où le provisoire menace de devenir permanent.


