Surveillance des réseaux sociaux : Matignon choisit une société américaine pour analyser l’opinion publique

Le Service d’information du gouvernement (SIG) de Matignon a décidé de confier à une entreprise canado-américaine Talkwalker (filiale de Hootsuite contrôlée par des fonds américains) ,la mission de veille des réseaux sociaux, notamment l’analyse de l’opinion sur les réseaux sociaux. Une décision qui suscite incompréhension et inquiétude. Souveraineté, sécurité des données et cohérence stratégique sont au cœur de la polémique.

Matignon a décidé de confier la veille des réseaux sociaux des Français à la société canadienne, Talkwalker. Pourquoi un tel choix ? A priori, c’est une question de tarif. Concernant les inquiétudes sur la sécurité des données sensibles accessibles à l’entreprise, Matignon assure qu’elle sera soumise à des règlements stricts.
Une entreprise étrangère pour surveiller les réseaux sociaux des Français
Cela fait 8 ans que l’entreprise française, Visibrain, assure la veille des réseaux sociaux des Français. Son contrat a pris fin et un appel d’offres a été lancé. Mais à la grande surprise de tous, Matignon a choisi de confier la mission à une entreprise canadienne connue sous le nom de Talkwalker, dont les fonds sont américains.
Evidemment, cette décision de Matignon inquiète les Français, certains fonctionnaires et les différents services de l’Etat. Pourquoi confier une mission aussi stratégique à une entreprise étrangère ? Pour mener à bien sa mission, l’entreprise canadienne aura accès à des données sensibles issues des différents services de l’Etat, y compris ceux des armées, du ministère de l’Economie et de l’agence de lutte contre les ingérences étrangères. De plus, Visibrain possède des ressources techniques plus performantes.
Le Service d’information du gouvernement (le SIG), un organe placé sous le contrôle du Premier ministre François Bayrou,semble être convaincu qu’il a fait un bon choix.
Si Talkwalker a obtenu le contrat, c’est surtout à cause de son service à bas prix. Selon Matignon, il serait trois fois moins cher, le prestataire étranger a su séduire un État en quête d’économies budgétaires. Mais à quel prix ?
Il semble que derrière cette économie apparente se cache une perte de contrôle stratégique. Le social listening – l’écoute et l’analyse des tendances sur les réseaux sociaux – est un outil de renseignement civil important, notamment pour anticiper les crises sociales, les mobilisations ou encore les campagnes de désinformation. Confier cette fonction à une entreprise étrangère soulève inévitablement la question : peut-on externaliser la perception de l’opinion nationale à des acteurs étrangers, soumis à d’autres intérêts ?
Des données sensibles sous pavillon américain
Le SIG tente de rassurer : les données exploitées sont « publiques », le contrat est « juridiquement en règle », et l’entreprise est « soumise aux règles européennes de protection des données ». Pourtant, ce discours se heurte à une réalité juridique préoccupante : le Cloud Act américain, voté en 2018.
Ce texte autorise le gouvernement des États-Unis à exiger d’une entreprise américaine – ou d’une filiale contrôlée par des capitaux américains – la transmission de ses données, y compris si celles-ci sont stockées à l’étranger. Autrement dit, les données publiques collectées par Talkwalker pour le compte de l’État français pourraient, légalement, être réclamées par Washington.
Par ailleurs, Talkwalker, le prestataire retenu, ne serait pas encore capable de surveiller TikTok, pourtant expressément mentionné dans l’appel d’offres. Or TikTok est aujourd’hui un canal central de diffusion d’opinions, de mobilisation politique et parfois accusé de « désinformation », notamment chez les jeunes. Visibrain, de son côté, le faisait déjà.
La France ne cesse de proclamer sa volonté de renforcer sa souveraineté numérique, de relocaliser ses données, de créer un cloud national, de contrer les influences étrangères… Mais dans les actes, elle choisit une entreprise étrangère pour écouter ses propres citoyens.
Le député MoDem Philippe Latombe, spécialiste du numérique, a publiquement interpellé le gouvernement. Plusieurs fonctionnaires évoquent déjà un refus d’utiliser l’outil Talkwalker, qu’ils jugent risqué et inadapté.
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