Plus fort que l’ENA, Sciences Po domine-t-il la macronie?

Plus fort que l’ENA, Sciences Po domine-t-il la macronie?


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Sciences Po est-elle l’école qui forme les véritables bataillons puissants de la macronie? Plus le temps passe et plus le rôle de cette école parait bien plus décisif que celui de l’ENA. L’affaire Benalla en est une illustration parmi d’autres. Cette donnée, mal cernée jusqu’ici, explique largement l’idéologie du macronisme.

L’audition d’Alexandre Benalla n’a pas mis en évidence une curiosité qui a pourtant intéressé Le Monde et Ariane Chemin. Alexandre Benalla est arrivé dans l’équipe d’Emmanuel Macron par l’intermédiaire d’un certain Ludovic Chaker, ancien élève de Sciences Po finalement recruté par Richard Descoings. C’est à Sciences Po que Chaker a rencontré le strauss-kahnien Ismaël Emélien.

Chaker est-il, comme le suggère Le Monde, un barbouze qui présente l’intérêt d’avoir été le premier salarié de la République En Marche? L’affaire est piquante et ne manquera pas de nourrir les fantasmes sur les origines profondes et réelles de l’ascension fulgurante qui a permis à Emmanuel Macron d’arriver au pouvoir. Il n’en reste pas moins qu’à chaque étape, c’est Sciences Po qui revient comme le véritable lieu où le pouvoir prend forme, mûrit et finalement s’impose.

Retrouvez ici notre description du réseau secret Sciences Po au cœur de la macronie

C’est probablement rue Saint-Guillaume, beaucoup plus qu’à l’ENA, qu’il faut chercher le substrat idéologique du macronisme.

Sciences Po et l’Etat jacobin

Fondamentalement, Sciences Po est productrice d’une pensée politique majeure: l’Etat central est l’horizon indépassable de toute action publique. L’Etat est la puissance publique, mais il est aussi l’alfa et l’oméga de toute politique, de tout programme, et de toute vision collective.

On accuse souvent Emmanuel Macron d’incarner le libéralisme. En réalité, il en est la pensée contraire. L’ensemble de sa vision du monde est fondée sur l’idée que l’Etat doit être au centre du jeu social et sociétal. On ne sera pas étonné de voir que, dans cette logique, Emmanuel Macron a crevé tous les plafonds de dépense et de déficit connus jusqu’ici en matière budgétaire.

Cet héritage étatiste est porté par sa formation initiale, mais aussi par son entourage. Et c’est dans l’écosystème de Sciences Po que cette conviction-là trouve sa racine. C’est au fond la survivance d’un jacobinisme tempéré qui s’exprime ici, fondé sur l’idée que la France doit s’appuyer sur sa capitale pour s’organiser et se développer.

L’élitisme républicain…

La particularité de Sciences Po est évidemment de porter une vision d’élite qui explique assez largement les réactions du pouvoir face aux Gilets Jaunes. Dans la doctrine de la rue Saint-Guillaume, il y a les aristocrates, et il y a le tiers Etat. L’un et l’autre ne peuvent être confondus ni ne peuvent être mélangés.

Cela ne signifie pas que les passerelles soient impossibles. On retrouve dans les équipes de Macron des « petites mains », les Benalla, les Chaker, chargés d’exécuter un certain nombre de basses œuvres sur lesquelles le plus grand des secrets continue à peser. Mais ils ne seront jamais que des supplétifs en charge de besognes secondaires. Le cœur du pouvoir reste aux mains des meilleurs.

Bien entendu, les meilleurs sont les diplômés: les Sciences Po passés par l’ENA au premier chef, puis les autres.

Jamais probablement, de mémoire de la Vé République, on avait poussé aussi loin le mimétisme dans les parcours. La macronie consacre le triomphe absolu de cette élite très fermée. C’est probablement ce qui nourrit son impopularité. L’incapacité du pouvoir à déléguer effectivement les décisions au-delà de ce noyau dur pour ainsi dire consanguin irrite l’opinion publique.

… au service d’un conservatisme bon teint

Si cette élite a peu d’empathie pour le peuple (ces gens qui roulent en diesel et qui fument des clopes, comme disait Benjamin Griveaux), au sein de l’élite, la bienveillance et la tolérance dominent. L’affaire de la députée En Marche Agnès Thill, qui devrait être exclue pour homophobie, le montre.

Dans l’écosystème Sciences Po, une certaine tolérance morale est de mise. Les propos homophobes sont évidemment cloués au pilori, et la question de l’immigration ne peut y être traitée n’importe comment. Il convient d’observer de la retenue, et d’endosser les valeurs dominantes sur le sujet.

Faute de s’être pliée à cette règle, la députée Thill risque l’exclusion de son groupe parlementaire. Pas de pitié pour ceux qui, au sein de l’élite, ne respectent pas les codes de tolérance ambiants.

Une parenté strauss-kahnienne évidente

Au-delà de ces marqueurs sociaux, la pensée Sciences Po en matière économique s’est assez bien exprimée dans la doctrine strauss-kahnienne. D’ailleurs, on retrouve un grand nombre de strauss-kahniens dans l’univers macronien.

Cette pensée peut être simplifiée (les lecteurs modéreront ici) comme la promotion du « crony capitalism », du capitalisme de connivence ou capitalisme d’Etat décrit par Noam Chomsky. Cette doctrine repose sur plusieurs piliers.

Le premier consiste à poser comme moment fondamental dans la croissance la régulation étatique. Dans cet esprit, le marché est indispensable, mais il a besoin d’un Etat régulateur de la concurrence pour mieux fonctionner.

Le second consiste à troquer l’autonomie de la pensée citoyenne contre des dispositifs de protection sociale. « Vous ne participerez plus au pouvoir, mais le pouvoir vous protègera ».

Macron n’exprime pas autre chose que ces deux piliers lorsqu’il répète en boucle « Libérer et Protéger ».

Un modèle en pleine crise de légitimité

Ces simplifications rapides expriment trop brièvement, mais de façon assez robuste, le substrat de la pensée dominante qui tient le pouvoir en France aujourd’hui. Répétons-le, cette domination a rarement été aussi intense qu’aujourd’hui. La forte grogne des Gilets Jaunes laisse toutefois penser que ce schéma de pouvoir vit une vraie crise de légitimité.

A ce stade, nul ne sait par quoi il peut être remplacé…


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