Et si nous vivions les derniers instants de la substitution de la communication à la politique? Toute la journée du 19 mai, les ministres du gouvernement se sont fait voir à des terrasses de café. Une tasse de café toute honte bue. Ceux qui ont fermé arbitrairement pendant des mois des activités qualifiées de « non essentielles » voudraient à présent qu’on les congratule de les avoir réouvertes. La désillusion dans les urnes, en juin 2021 ou en mai 2022 n’en sera que plus forte. Car on assiste à la fin d’une époque commencée il y a un demi-siècle, quand Valéry Giscard d’Estaing allait dîner chez l’habitant.
L’art de vivre à la Française ???????? #tousenterrasse pic.twitter.com/qmynMAoe04
— Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) May 19, 2021
De toutes les photos prises hier et de tous les tweets diffusés, la « com » de Bruno Le Maire est ma préférée. Rien n’y manque dans un nième « remake » de la mise en scène « giscardienne » du gouvernant. On se rappelle comme Valéry Giscard d’Estaing avait « spontanément » invité des éboueurs au petit-déjeuner; ou bien était allé dîner chez l’habitant.
Bruno Le Maire, comme plusieurs autres ministres, le Premier ministre et le Président, s’est mis en scène lors de la réouverture des terrasses de café, mercredi 19 mai, 47è anniversaire de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République. Amusant clin d’œil de l’histoire.
Rien ne manque: en impeccable costume de ministre, avec un masque bleu assorti et gel hydroalcoolique sur la table, le Ministre attend son café en lisant l’Equipe, pour montrer sa proximité avec les Français. Un texte sobrissime du tweet « L’art de vivre à la française » et un hashtag: #tous en terrasse.
Comme dirait Arnaud-Aaron Upinsky, le langage politique dit toujours la vérité des gouvernants. Un homme seul proclame: « Tous en terrasse »! Est-ce une injonction, un souhait? Valéry Giscard d’Estaing explique sans rire dans Le pouvoir et la vie que ses dîners chez l’habitant avaient beaucoup intéressé Deng Xiaoping. On ne saurait mieux dire comme la communication politique peut tourner au simulacre de démocratie et se rapprocher à vitesse vertigineuse de la propagande d’un régime de type soviétique.
Les Français sont bonne poire…jusqu’à un certain point

Les Français sont bonne poire. Il est étonnant que les patrons de café n’aient pas refusé hier l’accès de leur terrasse aux ministres ni au Président. Ces gens ont décidé arbitrairement de ce qui était activité « essentielle » et « non essentielle ». Une notion qui n’a aucun sens dans une économie de marché. Mais l’on sait que nos gouvernements successifs font tout pour tuer l’économie de marché. Un secteur « essentiel », c’est un secteur où l’offre rencontre une demande et qui crée des emplois. Alors, recevoir à ma terrasse des apparatchiks qui, d’un trait de plume, peuvent tuer mon activité ou bien la maintenir en survie artificielle au prix de l’endettement de mes enfants; avant de décréter, non moins soviétiquement le jour et l’heure de la réouverture?
Les gouvernants français ne se sont pas risqués au-delà d’un périmètre restreint, celui du centre de Paris. Est-il sûr qu’ils auraient eu le même accueil, tranquille – ou indifférent – ailleurs en France?
Les élections régionales permettront d’en savoir plus. A fortiori les présidentielles. mais Emmanuel Macron devrait se souvenir du sort de Valéry Giscard d’Estaing: ses dîners chez l’habitant ne l’ont pas fait réélire. Au contraire, on peut penser que cela a contribué à sa défaite. Les Français ne veulent pas de familiarité ni de proximité surjouée de leurs gouvernants. Ils souhaitent que ceux-ci favorisent l’emploi, l’économie, la stabilité de leur épargne; les protège à l’intérieur et à l’extérieur des frontières. Ils ont envie de respecter leurs gouvernants. Ils attendent que les actes soient en accord avec les paroles.
Pourtant, depuis un demi-siècle, plusieurs générations de politiques ont tous eu le même réflexe que Valéry Giscard d’Estaing quand leur politique patinait: une mise en scène de fausse proximité, le déballage de fausses confidences. Loin de freiner la désaffection des Français, cette communication a systématiquement accéléré la déconnexion entre gouvernants et gouvernés.
La mise en scène du 19 mai 2021 restera comme l’une des dernières manifestations d’une tendance récurrente à vouloir faire communiquer pour camoufler son impuissance politique.
 
       
    
     
   
       
         
       
       
      