Le jour où Macron a inventé l’ordo-hollandisme

Le jour où Macron a inventé l’ordo-hollandisme


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Macron vient d’inventer l’ordo-hollandisme. Les explications qu’il a données hier sur son projet ont en effet montré de nombreux renoncements en matière de dépenses publiques. En particulier, le Président a reconnu à mots couverts qu’il abandonnait l’objectif de supprimer 120.000 emplois publics même s’il prétend maintenir son objectif (de moins en moins réaliste) de baisse des prélèvements obligatoires. L’étatisme triomphe, dans un souci affiché de respecter les engagements européens, mais sans orientation libérale.

On n’est pas sûr que la conférence de presse tenue hier ait convaincu tous les Français, ni qu’elle ait dissipé toutes les incertitudes ou tous les flous. Mais elle a un mérite: elle a permis de savoir quels objectifs de finances publiques ou de dépenses publiques Emmanuel Macron n’atteindra pas.

Un projet qui tourne le dos au libéralisme

De façon indécise et incertaine, Emmanuel Macron a reconnu qu’il ne tiendrait pas l’objectif de 120.000 suppressions de postes de fonctionnaires d’ici à 2022.

L’objectif de réduction de la dépense publique est maintenu, a-t-il dit. Mais si celui de réduire de 120.000 le nombre de fonctionnaires sur la durée du quinquennat n’est pas tenable, il sera abandonné.

Pour l’instant, donc, la fiction d’une baisse des prélèvements obligatoires est officiellement maintenue, mais il est acquis qu’Emmanuel Macron ne procédera à aucune coupe sombre dans les effectifs pléthoriques des administrations.

Il est vrai que, dans le même temps, le Président a annoncé qu’il réorganiserait les administrations pour les rendre plus proches du terrain. Cette promesse, mille fois faite par le passé sans que le service public ne change jamais en profondeur, devrait se faire sans création de postes. Mais sans suppression…

Voilà qui laisse un peu sceptique sur son réalisme: les fonctionnaires des administrations centrales devront bien continuer à s’occuper pendant ce temps où ils sont supposés perdre du pouvoir et des prérogatives. Sauf à les renvoyer sur le terrain (manœuvre que Claude Allègre avait tentée sans succès durable), rien ne devrait donc véritablement changer… La noria de directives en tous sens continuera.

Le gouvernement profond globalement victorieux

Comme nous l’avions annoncé, Emmanuel Macron a donc renoncé à un reformatage massif et systémique de l’administration, mesure salutaire mais combattue par la technostructure. En contrepartie, le Président annonce la disparition de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) et son remplacement par une nouvelle structure qui ne permettra plus l’accès direct aux grands corps.

Dans le même temps, la garantie de l’emploi des hauts fonctionnaires est préservée, et leur protection statutaire, prétexte à toutes les émancipations vis-à-vis du pouvoir politique, reste intacte. Faute d’avoir pratiqué un spoil system conscient, Macron est donc aujourd’hui prisonnier de son administration et continue à la choyer.

Improbable baisse des prélèvements obligatoires

Dans cet ensemble, tout laisse à penser que la baisse globale des prélèvements obligatoires de 3 points de PIB d’ici à 2022 n’interviendra pas. Rappelons qu’il y a vingt ans, l’Allemagne avait osé une baisse de 10 points en un laps de deux ou trois ans.

Facialement, en effet, les impôts vont baisser. Mais il s’agira du seul impôt sur le revenu, qui sera concerné par cette mesure, probablement limitée aux premières tranches. Les 5 milliards promis par Emmanuel Macron hier n’iront guère plus loin.

Pour le reste, le Président a annoncé qu’il réviserait des niches fiscales accordées aux entreprises. Là encore, ce genre de proposition est généralement le signe d’un raidissement fiscal plutôt que d’une baisse des prélèvements. On notera que le Président n’a d’ailleurs donné aucune indication précise sur le mode opératoire qu’il compte suivre pour y arriver.

Une relance prévisible des dépenses publiques

On pariera en réalité sur une augmentation probable des déficits et des prélèvements obligatoires à l’horizon des prochains mois et des prochaines années. Le Président ne s’en est guère caché.

Ainsi, les retraites seront réindexées sur l’inflation (ce qui était de toute façon prévu à l’horizon 2021, le président se contentant simplement d’avancer la mesure à 2020 sous les 2.000 euros). La mesure coûte environ 2 milliards. Pour financer la dépendance, le Président a écarté la suppression d’un jour férié… Il devrait annoncer un dispositif en octobre. On peut s’attendre au maintien de la CRDS, comme ce fut proposé par le récent rapport Libault. Dans tous les cas, il s’agira d’une dépense nouvelle, Macron ayant exclu de recourir au marché pour mettre en œuvre cette nouvelle « protection ».

De même, l’allongement de la durée de cotisations pour les retraites sans toucher à l’âge de départ (pour des raisons secrètes que nous avions expliquées) aura un effet mécanique d’augmentation des prélèvements publics. En effet, les salariés cotiseront plus longtemps et percevront leur pension moins longtemps!

Plus globalement, la création de « maisons de services publics » un peu partout, l’arrêt des fermetures de classes et d’hôpitaux, toutes ces décisions éparses devraient in fine pousser les dépenses à la hausse.

Vers un ordo-hollandisme

Bref, l’orientation donnée à « l’acte II » du quinquennat, selon l’expression reprise par la presse, est clairement jacobine et étatiste. De notre point de vue, elle éloigne En Marche de sa furtive postulation libérale affichée lors de la campagne électorale.

Dans la pratique, la politique qui est proposée est celle d’un « ordo-hollandisme »: d’un côté, on maintien une forte dépense publique, on préserve les fonctionnaires, et on dit du bien de l’intervention de l’Etat dans l’économie. De l’autre, on affiche un souci d’équilibre budgétaire, on propose des économies pour gager les dépenses nouvelles.

L’ordo-hollandisme est une sorte de version raisonnable, protestante, de la social-démocratie. Ce n’est certainement pas un libéralisme.


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