Il faut parfois rendre hommage à l’audace. Pas celle de l’entrepreneur qui hypothèque sa maison pour créer de la valeur – cette audace-là est morte depuis longtemps sous les coups de boutoir de l’URSSAF. Non, je parle de l’audace sémantique de nos maîtres. Cette capacité fascinante à vous regarder dans le blanc des yeux, la main profondément enfoncée dans votre poche, pour vous expliquer que s’ils vous la font (la poche...), c’est par pure grandeur d’âme.
Les trois parties du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 – recettes, dépenses, et compte de l’année en cours – ont été adoptées librement, après un débat exigeant, sans 49-3, une première depuis 2022. Ce soir, l’Assemblée nationale a confirmé ce…
— Sébastien Lecornu (@SebLecornu) December 9, 2025

Le Premier ministre Sébastien Lecornu vient de nous en offrir un chef-d’œuvre absolu sur X (ex-Twitter, devenu le dernier refuge de la propagande d’État décomplexée).
Le contexte, vous le connaissez : le Parlement vient d’adopter un PLFSS qui ferait passer une chaîne de Ponzi pour un modèle de rigueur luthérienne. Les déficits explosent, la trajectoire budgétaire promise à Bruxelles est devenue une blague de fin de banquet, et le système de santé français ressemble à un patient sous morphine qui continue de commander du champagne au room service.

Et que nous dit notre Premier ministre, avec cet aplomb de gendre idéal qui vient de vendre les bijoux de la grand-mère ? Il qualifie ce vote de « preuve de responsabilité ».
Arrêtez tout. Posez votre café. Respirez.
Nous sommes officiellement entrés dans la phase terminale de la Novlangue. George Orwell, s’il était encore de ce monde, porterait plainte pour concurrence déloyale.


La responsabilité, version Léviathan
Dans le monde réel – celui où vous et moi vivons, celui où l’on ne peut pas imprimer de l’argent dans sa cave –, la responsabilité consiste à ne pas dépenser ce que l’on n’a pas. Si je gérais mon budget comme l’État gère la Sécu, je serais fichée Banque de France et mes enfants seraient placés.

Mais dans la stratosphère administrative, les mots ont subi une inversion de polarité magnétique :
- La faillite, c’est la solidarité.
- La spoliation, c’est la justice.
- Et donc, voter un budget insincère, c’est être responsable.
Pourquoi ? Parce que pour la caste technocratique qui nous gouverne, le danger n’est pas la ruine du pays (ça, c’est pour demain, et demain est un autre mandat). Le danger, le seul, l’unique, c’est l’arrêt de la machine à cash. Le fameux « shutdown ».
Pour Monsieur Lecornu, être « responsable », ce n’est pas soigner les finances ; c’est s’assurer que le Léviathan continue de manger à sa faim. Peu importe que le repas soit payé avec de la dette toxique que vos petits-enfants ne finiront même pas de rembourser. L'essentiel est que le Parlement, cette chambre d'enregistrement transformée en théâtre de Guignol, ait appuyé sur le bouton vert.
La démocratie à bout de souffle (et à découvert)
Ce tweet est l'aveu cynique que notre démocratie représentative ne représente plus rien d'autre que sa propre survie. Nous ne sommes plus gouvernés par des gestionnaires, mais par des syndics de faillite qui tentent de nous vendre les meubles avant la saisie.
Les engagements européens ? De la littérature. La France avait promis de revenir dans les clous ? Balivernes. Dans cette logique inversée, respecter sa parole (et donc réduire la dépense) serait « irresponsable » car cela provoquerait des remous sociaux. La lâcheté est devenue la vertu cardinale de la République.

Ils ont réussi le tour de magie ultime : transformer un passif colossal en actif moral. Ils vous expliquent, sans trembler, qu'éviter le mur en accélérant est une manœuvre de pilote chevronné.
Alors, chers lecteurs, réjouissez-vous. Ce PLFSS est une catastrophe comptable, une insulte à l'arithmétique et un crime intergénérationnel. Mais puisque le Premier ministre vous dit que c’est « responsable », vous pouvez dormir tranquilles.
Enfin, dormez d'un œil. L'autre devrait surveiller votre portefeuille. Car quand l'État se félicite de sa propre vertu, c'est généralement qu'il s'apprête à augmenter les impôts avec une violence inédite.
La responsabilité, la vraie, c'était de dire non. Ils ont dit oui. Ils appellent ça du courage. Nous appelons ça de la complicité.
Atlas ne hausse même plus les épaules. Il se marre, et il se barre.




