Il aura fallu attendre l'hiver 2025 pour que la fiction juridique de la Ve République s'effondre enfin sous le poids de sa propre obsolescence. Le spectacle tragi-comique auquel nous assistons — ce rejet du budget, cette valse des Premiers ministres (Barnier, Bayrou, Lecornu) et ce recours humiliant à la "loi spéciale" — n'est pas une crise. C'est une clarification.

C'est la preuve définitive que le logiciel du "parlementarisme rationalisé", conçu en 1958 pour museler la représentation nationale au profit d'un monarque républicain, est devenu une machine à paralyser le pays.

La victoire silencieuse de la Caste
Regardez bien ce qui se joue avec l'activation de l'article 45 de la LOLF et le régime des "services votés". Alors que le pouvoir politique est à genoux, incapable de dégager une majorité pour porter un projet d'avenir, la machine administrative, elle, continue de tourner. La "loi spéciale" est l'aveu suprême de l'État profond : peu importe qu'il n'y ait pas de cap politique, pourvu que l'administration puisse continuer à prélever l'impôt et à payer ses fonctionnaires sur la base des crédits de l'année précédente.
C'est le triomphe de la technostructure sur la démocratie. Le message envoyé aux Français est clair : "Vos votes ne servent à rien. Que vous élisiez une Assemblée ingouvernable ou non, la Caste, elle, sera payée." Ce mécanisme de survie automatique transforme l'État en un zombie budgétaire, une entité qui consomme des ressources (plus de 56 % du PIB) sans autre but que sa propre perpétuation, alors même que la dette frôle les 118 % du PIB.
La fin du mythe de l'Homme providentiel
La chute de François Bayrou en septembre 2025, premier Premier ministre renversé sur une déclaration de politique générale , marque la fin de l'illusion gaullienne. Nous avons longtemps cru qu'un homme seul, oint par le suffrage universel ou la nomination présidentielle, pouvait incarner la Volonté Générale. C'était un mensonge confortable.

Dans une société complexe, fragmentée, "liquide", la verticalité du pouvoir est une aberration. Pierre Rosanvallon s'inquiète, à juste titre, d'une "démocratie intermittente" où le citoyen ne compte pour rien entre deux élections. Il pointe la perte d'autorité des "institutions invisibles". Mais son diagnostic reste prisonnier du vieux monde : il cherche à raccommoder la légitimité du Léviathan alors qu'il faudrait acter son décès. Le citoyen de 2025, informé, connecté, ne veut plus signer un chèque en blanc tous les cinq ans à des représentants qui trahissent leurs promesses dès le lendemain, comme on l'a vu avec les revirements sur les retraites ou la fiscalité.

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Pour une démocratie liquide
L'impossibilité d'adopter un budget n'est pas une fatalité, c'est l'opportunité de changer de paradigme. La réponse à la faillite du système représentatif n'est pas "plus d'autorité" (la tentation du général Mandon nous rappelant que nous devons être prêts à "perdre nos enfants" fait froid dans le dos), mais "plus de marché" dans la décision politique.
Il est temps de basculer vers la démocratie liquide.

Imaginez un système où la délégation de vote n'est ni figée ni générale. Vous ne votez pas pour un député qui décidera de tout pendant cinq ans. Vous déléguez votre voix à une association de contribuables pour le budget, à un expert médical pour la santé, à un collectif local pour l'urbanisme. Et surtout, vous pouvez retirer cette délégation à tout instant, en temps réel. C'est la fin du "mandat impératif" déguisé en chèque en blanc.
La technologie (la blockchain, notamment) le permet. Ce qui manque, c'est le courage de briser le monopole des partis politiques sur la représentation. La démocratie liquide permettrait de construire des majorités de projet, dynamiques et granulaires, là où le parlementarisme actuel ne produit que des blocages de tranchées.

Tant que nous resterons accrochés au cadavre de la Ve République, nous serons condamnés à la "loi spéciale", c'est-à-dire à la dictature douce de l'administration qui gère les affaires courantes pendant que le pays s'enfonce. La pratique gaullienne est morte dans l'hémicycle cet automne ; il est temps d'enterrer le corps avant qu'il ne contamine tout le corps social.






