Crise du recrutement à l’Education Nationale? Libérons l’Ecole, rendons-la à la société! – par Edouard Husson

Crise du recrutement à l’Education Nationale? Libérons l’Ecole, rendons-la à la société!  – par Edouard Husson

L'Education Nationale est à bout de souffle. Et le coup de grâce lui est porté par un média au coeur du système macronien. La crise du recrutement a commencé il y a un peu plus de dix ans, après une réforme des concours de recrutement. Elle apparaît désormais au grand jour. C'est l'occasion  de relancer la cause de la liberté scolaire, de son élargissement. Une question de vie ou de mort pour le pays.

Le coup est venu de la très macronienne chaîne d’information en continu BFMTV. Laissons de côté la question de savoir si le coup atteint le président en place, quelques jours après qu’il ait prononcé un discours devant les recteurs d’Académie rassemblés. On remarquera simplement que l’enquête a été menée dans une académie dont la rectrice est Charline Avenel, l’un des premiers recteurs à ne pas être universitaire, et surtout camarade de promotion d’Emmanuel Macron à l’ENA. 

De quoi s’agit-il? Une journaliste de BFMTV s’est fait passer pour une candidate à un poste d’institutrice – aujourd’hui on dit « professeur des écoles » mais ça ne fait pas venir les candidats pour autant. 

Que voit-on dans cette vidéo? 

  • la même personne est invitée à trois entretiens. 
  • elle est prise, potentiellement, à l’issue des trois entretiens
  • on est incapable de lui dire, quelques semaines avant la rentrée où elle serait affectée. 
  • On ne lui pose pas de questions sur le contenu des matières mais il s’agit de savoir si elle connaît les directives de l’Education Nationale. 
  • la seule formation, avant de mettre devant une classe les individus recrutés, c’est quatre jours à la fin du mois d’août. 

Pour l’instant, le Ministre de l’Education Nationale Pap Ndiaye s’est contenté de nier ce dernier point, assurant que les nouveaux enseignants contractuels seraient suivis tout au long de l’année. Et qu’il y aurait « un concours pour les titulariser ». 

Ce problème de recrutement est visible depuis plus de dix ans

Le reportage a ses limites (et c’est d’ailleurs ce qui est gage de son authenticité): la journaliste ne connaît pas les antécédents de son sujet. Sinon elle saurait que le problème remonte au moins à 2010. Cette année-là, le gouvernement de Nicolas Sarkozy avait modifié les conditions de recrutement au CAPES: jusque-là on pouvait s’y présenter avec une licence; désormais il faudrait obligatoirement un « master » avant de pouvoir se présenter. Cela avait immédiatement découragé des vocations. Mais surtout mis le doigt sur un problème jusque-là inavoué: dans plusieurs disciplines, en particulier scientifiques, il n’y avait déjà plus suffisamment de candidats et l’on admettait à l’oral (admissibilité) en-dessous de la moyenne. Voire de manière définitive.La situation n’a fait qu’empirer depuis lors.  

Tous les problèmes ont commencé à remonter à la surface à cette époque, en particulier le sentiment de beaucoup de candidats potentiels qu’on allait, en rendant encore plus académique le recrutement, les préparer encore moins à affronter des classes où les élèves sont difficiles à tenir.

Or, loin de prendre le taureau par les cornes, ni François Hollande ni Emmanuel Macron ne se sont attaqués au point crucial: une Education Nationale sans enseignants n’a plus qu’à fermer boutique. Et imagine-t-on ce que pensent les personnes qui ont passé un concours d’enseignement , en plus d’un master, de voir arriver des « collègues » qui sont embauchés après un entretien de trente minutes – et avec juste une licence ? 

L’échec de Jean-Michel Blanquer, le Gorbatchev de l’Education Nationale

Le plus étonnant, c’est que Jean-Michel Blanquer n’ait pas regardé le problème en face, lui qui se rêvait en nouveau Jules Ferry, refondateur de l’Ecole publique. Et qui en a été en fait le Gorbatchev! 

Ce ministre star, qu’Emmanuel Macron avait pris à la droite, est arrivé en réformateur d’une administration sclérosée, avec des slogans; sa « glasnost », c’était « l’école de la confiance ». Sa « perestroïka », c’était le « dédoublement des classes ».  En fait, rien n’a changé. 

Ceux qui le connaissent savent en fait où est le problème: de Jean-Michel Blanquer comme son président, Jean-Michel Blanquer est un obsédé de la recentralisation pour résoudre la crise de l’Etat. Alors que la seule chance, pour le système, de se sauver en partie, c’est un maximum d’autonomie des établissements. La France possède de bons proviseurs et principaux de collèges. Beaucoup des professeurs, blanchis pour le harnais, ont une expérience très précieuse: il faudrait d’abord leur faire confiance pour trouver des réponses locales à une crise de l’Education Nationale qui est  aussi hétérogène que les territoires français. 

Mais la plus grosse faute commise par Jean-Michel Blanquer a été de limiter autant qu’il le pouvait, ce qu’on appelle le « privé hors contrat ». 

Libérons l’Ecole de son blocage par « l’EducNat »

A côté de l’enseignement public, il existe, comme on sait, un « enseignement privé sous contrat ». Bien entendu, il dépend des financements que lui accorde l’Etat. Mais le seul fait que ce ne soit pas la rue de Grenelle (comme on appelle le Ministère) qui gère le système en direct lui assure une forme d’autonomie et de bonne gestion. La part d’élèves pouvant entrer dans ces établissements est limitée à 20% du total; mais comme me l’avait dit un inspecteur général il y a une quinzaine d’années: « sans ce quota, nous ne tiendrions plus rien ». Entendez: l’hémorragie hors du service public serait encore plus importante qu’elle n’est. 

Dans tous les cas, le bon fonctionnement et les résultats remarquables des établissements d’enseignement supérieur privés sous contrat devraient encourager à imaginer cette autonomie des établissements dont nous parlions aussi, un peu plus haut, pour l’enseignement public. Et pourquoi ne pas introduire, pour un certain nombre des meilleurs lycées du public, situés dans les meilleurs quartiers des grandes villes, des possibilités de financement mixtes, par  des fondations? Etendre ce qu’a déjà lancé à petite échelle le lycée Henri IV, qui accorde des bourses par l’intermédiaire d’un fonds de dotation? 

Mais les régions moins favorisées, direz-vous, en particulier dans les villes moyennes et les campagnes? Eh bien, il faudrait accepter l’émergence d’initiatives privées – le plus souvent associatives – qui ne demandent qu’à exister, pourvu que l’Etat cesse de faire comme si la formation des jeunes Français était la seule affaire de l’Education Nationale. C’est là que Jean-Michel Blanquer s’est montré le plus jacobin, pour le pire, brimant autant qu’il le pouvait les initiatives privées « hors contrat ». Il n’est que lire les rapports de la Fondation pour l’Ecole et de la Fondation Kairos pour se rendre compte des bâtons dans les roues que met l’Etat. 

Et les quartiers difficiles des métropoles et leurs banlieues, me direz-vous? C’est sans doute le type d’établissements et de milieux qui a le plus fasciné nos milieux dirigeants, ces dernières années, avec « égalité des chances », « cordées de la réussites », discrimination positive, « internats d’excellence » etc…Ne nous faisons pas de souci, si on remet de la liberté dans le système. 

En tout cas, il faut absolument libérer l’Ecole de l’emprise mortifère d’un système centralisé sclérosé; rendre l’Ecole à la société; introduire de l’autonomie partout où c’est possible dans le système public; faire émerger des financements public/privé; faire sauter le quota qui limite le nombre d’élèves pouvant être affectés à des établissements privés; encourager le soutien, par des fondations, à ces dizaines de projets associatifs, qui pourraient devenir, demain, des centaines, et après demain, des milliers, pourvu qu’on les laisse s’épanouir et que l’on ne cherche pas à tout réglementer. 

Oui, libérons l’Ecole et nous verrons que la question du recrutement des professeurs ne se posera plus!