Avoirs russes : le dernier carré belge face à la spoliation étatique, par Veerle Daens

Les Européens demandent aux Belges de saisir les avoirs russes qu'ils détiennent pour les donner à l'Ukraine. Veerle Daens nous rappelle qu'il s'agit d'une violation caractérisée du droit de propriété. Et les Belges résistent...

Dans le grand théâtre de la géopolitique où les États s'arrogent des droits au mépris des principes les plus fondamentaux, la position du gouvernement belge sur les avoirs russes gelés apparaît comme une surprenante et salutaire ligne rouge. Qualifiée de "résistance" par les apôtres de la confiscation facile, cette posture est en réalité le dernier rempart de la lucidité juridique et financière face à une fuite en avant étatiste aux conséquences potentiellement dévastatrices.

Au cœur de la tourmente se trouve Euroclear, un dépositaire de titres basé à Bruxelles, qui détient malgré lui la quasi-totalité des 200 milliards d'euros d'actifs de la banque centrale russe immobilisés en Europe. Pour les stratèges de Washington à Paris, cette manne est une tentation irrésistible : pourquoi ne pas simplement la saisir pour financer l'effort de guerre ukrainien? La réponse, que Bruxelles martèle avec une constance pragmatique, tient en deux mots : état de droit.  

Confisquer les réserves souveraines d'un État, même agresseur, reviendrait à dynamiter le principe de l'immunité d'exécution, une pierre angulaire du droit international. Ce serait créer un précédent funeste, signalant au monde entier – de la Chine aux pays du Golfe – que les réserves de change déposées en euros ne sont plus un sanctuaire juridique, mais une variable d'ajustement politique. La conséquence logique serait une défiance massive envers l'euro, une fuite des capitaux et un affaiblissement structurel de notre monnaie, sapant la crédibilité de tout le système financier européen. 

Face à ce risque systémique, que la Banque Centrale Européenne a également souligné, la Belgique refuse de jouer les apprentis sorciers. Elle sait qu'en cas de confiscation, elle serait en première ligne d'une guerre juridique mondiale intentée par Moscou, avec à la clé une potentielle condamnation à rembourser des sommes équivalentes à son budget annuel. 

Devant l'impossibilité de ce vol légalisé, les eurocrates ont imaginé un artifice : le "prêt de réparations". L'idée est de prêter jusqu'à 140 milliards d'euros à l'Ukraine, en utilisant les actifs russes comme une sorte de garantie indirecte. L'Ukraine ne rembourserait que si la Russie paie un jour des réparations. C'est un montage ingénieux pour masquer la réalité : on utilise la propriété d'autrui comme levier, en espérant que la complexité juridique décourage les poursuites.  

Mais même ce plan B n'efface pas le risque fondamental. C'est pourquoi la Belgique exige, à juste titre, une garantie totale et une mutualisation des risques par ses partenaires du G7 et de l'UE. Si l'opération est si sûre, pourquoi les autres refuseraient-ils de partager le fardeau? Leur hésitation est l'aveu même de la fragilité de leur construction.  

La position belge, dictée par une saine défense de ses intérêts, sert paradoxalement l'intérêt général. Elle nous rappelle qu'on ne défend pas la liberté en reniant les principes du droit et de la propriété. Céder à la tentation de la spoliation, même pour une cause juste, c'est ouvrir une boîte de Pandore qui mettrait en péril la stabilité financière sur laquelle repose notre prospérité.