Quelle attitude un gouvernement français néogaulliste devrait-il adopter face à Donald Trump?

Je vois beaucoup de gens se mettre en colère abstraitement contre Trump. Ou bien se mêler de politique intérieure américaine en oubliant que le peuple américain l’a élu. En revanche, je n’ai entendu personne condamner les ingérences du parti républicain américain dans la vie politique de la Grande-Bretagne, de la France ou de l’Allemagne. Des transferts financiers énormes sont envisagés depuis les USA vers des partis ou des fondations dans les trois pays cités, mais je n’ai pas entendu que le sujet soit sérieusement porté dans l’espace public. Je n’ai toujours pas entendu que la France, comme membre permanent du Conseil de Sécurité, ait demandé un débat pour que le représentant américain s’explique sur les atteintes annoncées à la souveraineté du Groenland, du Canada ou du Panama. Je n’ai pas entendu non plus du gouvernement français une déclaration d’inquiétude concernant l’avenir du Québec en cas de violation par Trump de la souveraineté canadienne. Je vois des politiques annoncer qu’ils vont quitter X; mais aucun qui dise vouloir profiter de la nouvelle constellation pour soutenir la sortie de la France du commandement intégré de l’OTAN.

Trump et son modèle le président Andrew Jackson (président des Etats-Unis de 1829 à 1937)
Que faire face à Trump?
Trump en nouveau Bismarck?
Je me place du point de vue des intérêts français. En 1864, Bismarck a lancé une guerre contre le Danemark pour lui voler le Schleswig-Holstein; sept ans plus tard, il avait déclaré la guerre à la France et annexé l’Alsace et une partie de la Lorraine.
Je transpose dans le monde actuel. Donald Trump menace le Danemark qui ne veut pas lui vendre le Groenland (voir article ci-dessous). Laisserons-nous faire, comme en 1864? Ou bien monterons-nous une coalition diplomatique européenne pour faire barrage à la nouvelle forme d’impérialisme américain que déploie Trump?
Je vois venir en effet la suite: Trump ou l’un de ses successeurs voudra mettre la main sur nos territoires d’outre-mer, à commencer par Saint Pierre et Miquelon, les Antilles et la Guyane. Les ganaches qui sont censées nous gouverner ont totalement négligé ces territoires (l’incompétence actuelle dans les secours portés à Mayotte est caricaturale), qui seront une proie facile pour un président américain.
Qu’on me comprenne bien: je détestais autant le comportement de l’administration Biden. Je ne me suis jamais caché de désapprouver le soutien de Macron & Cie à la guerre d’Ukraine et aux sanctions anti-russes. Je ne comprends pas la lâcheté du gouvernement allemand devant la destruction américaine de NordStream.
Mais là nous parlons du nouveau président américain. Il va traiter, sans consulter l’Europe, avec Poutine. Et il entend compenser la défaite humiliante de l’OTAN en Ukraine par une prédation qui remplace les ressources sur lesquelles l’Occident ne mettra pas la main en Ukraine: après tout, le sous-sol du Groenland et les céréales canadiennes, ça fait l’affaire quand on perd l’Ukraine…
Comme souvent dans son histoire, la France va se retrouver seule
Je n’ai aucune confiance dans la plupart des dirigeants européens. Ils sont soit nostalgiques de l’impérialisme version Biden, soit regardent Trump avec des yeux enamourés.
Comme souvent dans son histoire, la France va se retrouver seule, sans amis. Et en plus nous sommes surendettés, donc vulnérables.
Pourtant, je suis sûr que les choses ne vont pas être aussi faciles que Trump l’imagine: la négociation avec la Russie sera dure et longue; la prédation du Groenland, du Canada, du canal de Panama, si elles se réalisent, vont avoir un coût politique supérieur aux gains économiques, pour l’instant hypothétiques, qu’en attend le président américain.
Je sais bien que beaucoup, sincèrement, en France, attendent une grande libération de Trump. Ils sont convaincus qu’il va nous aider à nous débarrasser de la caste centriste qui paralyse la France. Mais c’est une illusion.
D’une part, Trump est un patriote, et même un nationaliste américain, qui est obsédé par le fait de sauver son pays; il nous fera d’autant moins de cadeaux qu’il a 78 ans et doit économiser ses forces, se concentrer sur l’essentiel.
Plus important, c’est une illusion de croire, d’autre part, que nous puissions être libérés par une puissance extérieure. En 1944, c’est de Gaulle qui nous a libérés. S’il n’avait pas été là, Roosevelt nous aurait soumis (monnaie d’occupation, cession prévue de territoires français à l’Italie et à la Belgique). Trump ressemble beaucoup plus à Roosevelt que ce qu’on croit et il n’hésitera pas à piétiner la France si cela sert les Etats-Unis.
L’instabilité créée par Trump est notre chance
Pourtant, l’instabilité créée par Trump est notre chance. C’est la première fois depuis longtemps que nous pouvons envisager de nous libérer de la caste qui nous entrave et des contraintes extérieures qui nous ligotent.
En réalité, tout va dépendre de notre volonté, comme citoyens. Je suis convaincu que c’est possible. Mais il y a des impératifs à remplir:
Impératif n°1: éviter le piège de la droite identitaire
1. Il est un danger politique aussi nocif que le macronisme. C’est la tendance à diviser les Français au lieu de les unir face à la caste au pouvoir. Aujourd’hui, deux blocs se font face, qui flanquent le macronisme à droite et à gauche. L’un porte la révolte de la France périphérique; l’autre celle du peuple des métropoles.
La prééminence donnée au débat « ethno-culturel » a dressé ces deux France l’une contre l’autre, en particulier avec le débat sur l’immigration et celui sur l’islam. Il faut revenir au génie français. Nous sommes des héritiers de Rome. Nous savons faire une nation civique à partir de toutes les origines, de toutes les religions.
Voilà pourquoi il faut repousser de toutes nos forces l’ingérence d’un Musk dans la politique française et européenne! Son tropisme anglo-saxon le pousse à encourager chez nous des forces de droite qui s’ingénieront à entretenir la division du peuple français, empêchant notre libération et le redressement du pays.
Alors qu’il faut une convergence de toutes les révoltes sociales de la période Macron, de toutes les luttes, celles de la France des campagnes et des petites villes et celles de la France des grandes villes. Aucune grande politique ne pourra être menée si les Français n’ont pas d’abord été réconciliés.
Impératif n°2: Nous faire respecter dans la jungle internationale
2. Trump va susciter un durcissement de tous les Etats. Il nous va falloir nous endurcir comme les autres.
Je m’attends en particulier à un raidissement de l’Allemagne, quel que soit le prochain chancelier. Deux tendances contradictoires vont s’affronter. D’une part, une aspiration à renforcer la solidarité européenne, contre Trump; d’autre part un autoritarisme allemand pouvant aller jusqu’au chantage de quitter l’Union Européenne, si Berlin n’obtient pas satisfaction.
Il y a là une occasion extraordinaire à jouer pour la France, consistant à créer des coalitions européennes solides pour renforcer la solidarité européenne, au besoin en mettant l’Allemagne en minorité dans les instances européennes. Evidemment,
Paris devra en profiter pour négocier une refonte totale des politiques énergétiques de l’UE et un nouveau marché de l’électricité. Nous avons urgemment besoin de retrouver des marges de manœuvre financières et le prix de l’énergie, grâce à une relance du nucléaire, est notre meilleur atout.
Impératif n°3: la souveraineté française est plus importante que la concertation européenne
3. Ne nous faisons pas d’illusions. Ce que nous dit l’élection de Trump, c’est que l’époque de la gouvernance supranationale et du multilatéralisme est passée. Nous allons vers un monde polycentrique. Et l’Europe ne saura s’affirmer comme un centre du monde multipolaire que si elle retrouve elle-même le secret de sa force passée: son propre polycentrisme.
La force des nations européennes, voilà ce qu’il faut retrouver. Priorité doit être donnée aux intérêts français de long terme, dans toutes les décisions que nous prenons, y compris dans le cadre des concertations européennes.
Prenons Trump à son propre piège: il demande aux Européens une augmentation de leur effort de défense? Bien entendu, la France va le faire, mais pas dans le cadre d’une défense européenne que l’Allemagne a toujours inféodée aux Etats-Unis!
Nous devons revenir à l’esprit des années gaulliennes: moderniser notre force de dissuasion, développer par nous-mêmes l’arme hypersonique, investir massivement dans les drones etc….Nous devons aussi innover: de Gaulle, c’était la Guerre Froide. Le grand défi de notre époque, c’est la défense et la mise en valeur du domaine maritime français, notre « outre-mer ».
Impératif n°4: nous préoccuper de notre outre-mer
4. Les grandes périodes françaises sont celles où nous trouvons un équilibre entre notre engagement en Europe et notre engagement maritime. Actuellement, nos gouvernants sans imagination sont absorbés à 90% par l’Europe. Il va falloir rééquilibrer!
Et puis ce serait l’occasion de devenir un peu sérieux sur le sujet de l’immigration. Vous pouvez toujours maudire les quarante dernières années et leur immigration nombreuse. Vous pouvez aller, comme certains jusqu’à fantasmer: les « déportations » à la Trump, voilà le modèle. Ou bien vous pouvez vous rappeler que l’état de droit, n’en déplaise à Bruno Retailleau, c’est une réalité objective. Et que la France est profondément « romaine » dans sa capacité à faire une seule nation de personnes d’origines diverses.
Et vous pouvez vous dire aussi qu’au moment où nous devons nous rouvrir au vaste monde, au moment où les BRICS défient tranquillement l’Occident, des Français qui n’ont pas oublié l’origine de leurs parents ou de leurs grands parents peuvent devenir d’extraordinaires ambassadeurs du génie français partout dans le monde.
Plaidoyer pour un anti-trumpisme à la française
La poursuite du macronisme, quel que soit le zombie qui sert de Premier ministre, c’est l’extinction lente de notre pays. Mais il n’y aura pas, contrairement à ce que certains imaginent, de « trumpisme à la française ». Cela déboucherait sur une sujétion qui ne vaudrait guère mieux que l’actuelle.
En revanche, il peut y avoir un « anti-trumpisme » intelligent, à la française.
Nous avons une occasion unique (1) de mettre fin au débat ethno-culturel qui nous paralyse depuis les années 1980; (2) de reprendre la maîtrise de notre destin au sein de l’UE, en profitant de l’affaiblissement et du raidissement de l’Allemagne; (3) d’inventer notre place dans le monde de demain qui sera beaucoup plus façonné par les BRICS que par les Etats-Unis d’Amérique.
Si nous comprenons ce qui se passe, le désordre à la fois brutal et loufoque, que va causer la politique de Trump en Europe est une gigantesque occasion à saisir pour réussir la prochaine révolution française.
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