Ce pont du 10 novembre, moment de répit dans l'agitation nationale, offre une occasion de prendre du recul sur le spectacle de notre propre impuissance. La France est paralysée. Le chaos parlementaire, les blocages institutionnels et la déconnexion béante entre le pays légal et le pays réel ne sont plus des accidents de parcours ; ils sont le symptôme d'une maladie chronique.

La tentation est grande, comme toujours, de personnaliser la crise. On accuse volontiers l'hyperprésidentialisation d'Emmanuel Macron, sa volonté délibérée d'« enjamber le Parlement » et d'« abaisser la fonction de Premier ministre ». Ces critiques sont justes, mais elles manquent l'essentiel. Réduire le mal français à la psychologie d'un seul homme est une erreur d'analyse confortable qui nous évite de poser le vrai diagnostic. Le problème n'est pas l'homme ; le problème est la structure.
Nous n'assistons pas à une crise conjoncturelle, mais à l'agonie d'un système. La démocratie représentative, conçue aux XVIIIe et XIXe siècles, est structurellement inadaptée au XXIe siècle. Sa verticalité, autrefois une nécessité technique pour gérer des nations vastes et peu éduquées, est devenue aujourd'hui une pathologie politique, un anachronisme qui étouffe l'énergie citoyenne.
Cet éditorial vise à démontrer, en trois temps, la nature de cette faillite et les contours de son remplacement. Premièrement, nous analyserons pourquoi cette « crise de la verticalité » est inéluctable, scellée par deux révolutions que le vieux monde ne peut plus ignorer. Deuxièmement, nous verrons comment l'économie numérique rend possible une alternative horizontale, une société liquide capable de se passer de l'intermédiation bureaucratique. Enfin, nous décrirons comment organiser cet ordre liquide, non pas comme un chaos, mais comme une « catallaxie » s'appuyant sur des mécanismes techniques de décision collective infiniment supérieurs à ceux que nous subissons aujourd'hui.

La crise de la verticalité : anatomie d'un système obsolète
Le malaise n'est pas qu'une impression. C'est un fait structurel, mesurable, et il est profond. L'échec du modèle politique actuel n'est plus à démontrer, il se vit au quotidien.
Le symptôme : une crise structurelle, pas conjoncturelle
Les difficultés de la France ne sont pas isolées. L'instabilité politique, marquée par une fragmentation croissante du champ politique, est devenue la nouvelle norme. Ce que nous vivons n'est pas un « trou d'air », mais bien la « fin de l'âge d'or » de la démocratie représentative, entrée dans une « crise structurelle » qui touche l'ensemble du monde occidental.
Les chiffres de la défiance en France, collectés par des institutions comme le Cevipof ou le baromètre 2024 de la confiance politique, sont accablants et signent la fin du contrat social hérité de l'après-guerre. Ces données ne mesurent pas une simple « fatigue », mais une rupture consommée. Selon le baromètre 2024, 70 % des Français n'ont plus confiance dans la politique, 68 % estiment que le modèle démocratique actuel « ne fonctionne pas bien », et – chiffre qui devrait glacer le sang de nos élites – 81 % considèrent que les responsables politiques ne se préoccupent pas de leurs problèmes.
Quand moins d'un citoyen sur cinq pense que ses dirigeants se préoccupent de lui, et que les trois quarts les suspectent de corruption, on ne parle plus de gouvernance. On parle d'une sécession de la classe dirigeante, d'une rupture de ban.

Le concept : la « crise de la verticalité »
Cette défiance totale n'est pas une humeur passagère. Elle est le résultat direct de ce que l'on peut nommer une « crise de la verticalité ». La démocratie représentative est, par essence, un système vertical. Elle postule que la souveraineté du peuple, jugée trop vaste, trop passionnelle et, disons-le, trop peu éduquée pour s'exercer directement, doit être déléguée. Le pouvoir est aspiré vers le haut, confié à une élite mandatée – « les représentants » – qui concentre la totalité du pouvoir de décision pour la durée d'un mandat.