Madagascar: la France prépare-t-elle la sortie de Rajoelina ?

Alors que Madagascar s’enfonce dans une crise politique majeure, une série de vols militaires et privés entre les îles Sainte-Marie, La Réunion et Maurice alimente les rumeurs d’une exfiltration secrète du président Andry Rajoelina, possiblement orchestrée avec le concours du Quai d'Orsay.

Madagascar vit des heures décisives. Alors que les rues d’Antananarivo restent le théâtre de manifestations et que l’armée se divise, le président Andry Rajoelina , demeure introuvable depuis dimanche soir. En parallèle, des mouvements aériens inhabituels ont été observés entre Sainte-Marie, La Réunion et Maurice, impliquant à la fois un avion militaire français et un jet privé. Ces éléments nourrissent les soupçons d’une fuite coordonnée du chef de l’État malgache, possiblement avec la complicité discrète de Paris. Pour mémoire, le président malgache Andry Rajoelina a acquis la nationalité française par naturalisation en 2014, une binationalité très controversée.

Sainte-Marie, point de départ d'une fuite sous haute discrétion

L’élément déclencheur de la vague de spéculations est la confirmation du départ du chef de l’État. Selon des informations relayées par le site 24.24.mg, Andry Rajoelina aurait quitté l’île de Sainte-Marie dimanche après-midi. Après y être arrivé en hélicoptère depuis Antananarivo, il aurait embarqué à bord d’un avion Casa, dont la destination est restée officiellement inconnue.

Ce départ, opéré dans la plus grande discrétion, coïncidait avec un regain de tension dans la capitale, alimentant immédiatement les hypothèses d’une mise à l’abri.

Le Casa CN235 : pièce centrale du puzzle français

Quelques heures plus tard, la présence et le rôle d’un avion militaire français ont renforcé le scénario d’une intervention extérieure. Un Casa CN235 de l’armée de l’air française, en provenance de La Réunion, a décollé de l’aéroport de Sainte-Marie à 15h15. Des témoins rapportent qu’avant ce départ, un transfert de passagers aurait eu lieu entre cet appareil militaire et l'hélicoptère en provenance d'Antananarivo.

La présence d'un Casa, appareil couramment utilisé pour le transport tactique ou des missions d’évacuation, sur un théâtre d’opérations aussi sensible et en pleine crise politique, n'est pas passée inaperçue. Bien que les autorités françaises n'aient fourni aucun commentaire officiel, la coïncidence de ce mouvement avec le départ du président Rajoelina nourrit la conviction que le Casa a pu servir de relais ou de couverture pour une étape de l'exfiltration, plaçant directement l’État français au centre de l’opération présumée.

Un jet de luxe dans une zone militaire française

Par ailleurs, selon l'observateur spécialisé "Madagascar Aviation", un Embraer Legacy 650E (immatriculé D-AIRZ, exploité par VistaJet Germany) est arrivé à Maurice en provenance de Dubaï. Peu après, il a décollé de Plaisance (Maurice) pour atterrir à La Réunion.

Fait notable, cet appareil de haut standing a été aperçu stationné sur le tarmac militaire de l’aéroport Roland-Garros, à Saint-Denis, une zone normalement réservée aux opérations de la Défense.

Le jet aurait ensuite redécollé sans plan de vol public, pour une destination inconnue (certains parlent de Dubaï). Cet enchaînement, impliquant un avion de luxe, des escales dans des pays voisins, et un stationnement inhabituel sur une zone militaire française, semble dessiner les étapes logistiques d'un transfert sécurisé , renforçant les spéculations sur le rôle de ce jet dans la suite du voyage du président malgache.

Antananarivo toujours en ébullition

Au même moment, la capitale malgache vit une situation explosive. Les mutins du CAPSAT (Corps d’Administration et des Services de l’Armée de Terre) ont pris position dans la ville samedi, tandis que la Génération Z poursuit leur mobilisation.

Dans la matinée du dimanche 12 octobre, le très contesté général Richard Ravalomanana, bras armé de Rajoelina et président du Sénat, a été destitué par ses pairs, signe que le pouvoir s’effrite à tous les étages. Ce dernier aurait pris la fuite à Dubaï.

L’ancien Premier ministre Christian Ntsay, évincé il y a quelques jours, a quant à lui quitté Madagascar pour Maurice à bord d’un autre jet privé, en compagnie du puissant homme d’affaires Mamy Ravatomanga, un très proche du président.

Paris, acteur silencieux mais présent

Si la France se garde de tout commentaire, plusieurs indices laissent penser qu’elle suit de près, voire accompagne discrètement les mouvements présidentiels. La présence d’un avion militaire français sur le sol malgache, la coordination apparente avec un vol civil européen et la proximité historique entre les forces armées françaises de La Réunion et les autorités malgaches soulèvent des questions.

Interrogé ce matin par le média réunionnais Clicanoo sur cette affaire, le préfet de La Réunion, Patrice Latron, ancien officier passé par Saint-Cyr et les théâtres d’opérations extérieures, ne confirme rien, n’infirme rien non plus.

Officiellement, Paris maintient une position de neutralité, mais la France a toujours joué un rôle décisif dans les crises malgaches – de la chute de Ratsiraka à l’ascension de Rajoelina en 2009. Dans le contexte actuel, une aide logistique à la fuite du président, sous couvert d’« évacuation de sécurité », ne serait pas inédite.

Face à cette escalade, la Commission de l’Union africaine a appelé l’ensemble des acteurs « civils et militaires » à privilégier le dialogue et la voie pacifique.
Pour l’heure, aucun médiateur officiel n’a été nommé, mais la situation inquiète déjà plusieurs chancelleries régionales.