Macron à Madagascar : entre partenariat économique et héritage colonial

Macron à Madagascar : entre partenariat économique et héritage colonial


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Les 23 et 24 avril 2025, le président français Emmanuel Macron a effectué une visite officielle à Madagascar, marquant un moment stratégique de sa tournée dans l’océan Indien. Cette visite, coïncidant avec l’ouverture du cinquième sommet de la Commission de l’Océan Indien (COI) à Antananarivo, symbolise le renforcement du partenariat franco-malgache à un moment où la Grande Île tente de se repositionner dans le jeu géopolitique régional et mondial. Accompagné d’une délégation de chefs d’entreprise, Emmanuel Macron a mis en avant les potentialités économiques de Madagascar tout en affrontant des dossiers sensibles, notamment celui de Mayotte et des Îles Éparses. Lors de son séjour, le président français Emmanuel Macron a également déclaré vouloir « créer les conditions du pardon » concernant la colonisation française de l’île. Une démarche historique et symbolique qui vise à panser les plaies du passé tout en tendant la main à la mémoire malgache.

La visite d’Emmanuel Macron à Madagascar apparaît comme un tournant diplomatique et économique. Si les enjeux sont prometteurs, tant pour les entreprises françaises que pour les ambitions de développement de la Grande Île, les tensions autour des dossiers sensibles — Mayotte et les Îles Éparses en tête — rappellent que les relations franco-malgaches restent marquées par l’histoire coloniale et la géopolitique contemporaine.

Désaccord sur l’intégration de Mayotte dans la COI

Le cinquième sommet de la COI s’est ouvert dans un contexte chargé : la sécurité et la souveraineté alimentaire, piliers de la coopération régionale, étaient officiellement à l’ordre du jour. Mais les négociations en coulisses ont davantage attiré l’attention, notamment l’épineuse question de l’intégration de Mayotte à la COI. Paris plaide pour une reconnaissance pleine et entière de ce département français au sein de l’organisation, tandis que Moroni continue de revendiquer sa souveraineté sur l’île.

Face à un Emmanuel Macron en croisade diplomatique, le président comorien Azali Assoumani a opposé une fin de non-recevoir ferme, rappelant les résolutions onusiennes en faveur de la souveraineté comorienne. Le ton est resté ferme, bien que les deux dirigeants aient affirmé maintenir le dialogue. Le président comorien a interpellé directement son homologue français :

« Mon cher frère Emmanuel Macron, on m’a appris à ne pas répondre aux provocations. Je tiens également à rappeler que l’ADN de la COI est le respect du droit international. L’île de Mayotte est une île comorienne. Nos pays en sont les témoins. »

Pour Macron, il s’agit de défendre une « équité territoriale » en insistant sur le fait que les habitants de Mayotte devaient pouvoir bénéficier des mêmes dispositifs de coopération que les autres territoires.

Un partenariat économique renouvelé

L’un des volets centraux de cette visite reste cependant l’économie. Le président français est arrivé à Madagascar accompagné d’une importante délégation d’entrepreneurs français, dans le but de raviver les échanges bilatéraux et de renforcer les investissements directs à destination de la Grande Île. En 2023, les échanges commerciaux franco-malgaches atteignaient à peine un milliard d’euros, malgré la présence active de groupes français comme Total, Bouygues ou Vivendi.

Rencontre entre le Groupement des Entreprises de Madagascar (GEM) et le Mouvement des Entreprises de France International (MEDEFI)

Une rencontre entre le Medef International et le Groupement des Entreprises de Madagascar (GEM) a permis de poser les bases de partenariats futurs dans des secteurs jugés stratégiques : énergie, digitalisation, infrastructures, agriculture, éducation… Madagascar, où près de 60 % de la population n’a pas accès à l’électricité, présente notamment un potentiel considérable dans les énergies renouvelables. L’État malgache vise un mix énergétique comprenant 85 % d’énergies propres à l’horizon 2030, et espère mobiliser plus de 4 milliards de dollars d’investissements — principalement privés.

Ce 24 avril, le président Emmanuel Macron a marqué une étape significative dans les relations bilatérales franco-malgaches. À l’issue d’un entretien avec Andry Rajoelina, il a annoncé l’entrée du groupe EDF à hauteur de 37,5 % dans le capital du projet de barrage de Volobe, le plus ambitieux projet hydroélectrique de Madagascar. Ce projet, initialement lancé en 2015 mais ralenti depuis, bénéficie désormais d’un nouveau pacte d’actionnaires réunissant EDF, le groupe malgache Axian et la plateforme panafricaine Africa50.Avec une puissance prévue de 120 mégawatts et un coût estimé à 600 millions d’euros, le barrage de Volobe pourrait permettre à près de deux millions de Malgaches d’accéder à l’électricité. Une avancée majeure dans un pays où les deux tiers de la population vivent encore sans courant.

La présence française à Madagascar et dans l’océan Indien s’explique avant tout par des enjeux géopolitiques majeurs : routes maritimes, ressources naturelles, et lutte d’influence face à la Chine et à la Russie. Cette tournée présidentielle s’inscrit clairement dans une logique de présence renforcée pour contrer d’autres puissances, sous couvert d’un discours de développement durable et de coopération régionale.

Îles Éparses : Macron dit non à une restitution

Les Îles Éparses, rattachées à Madagascar sous la colonisation, sont intégrées en 1960 au ministère français des Outre-mer, juste avant l’indépendance malgache. Restées sous contrôle français, elles occupent une position stratégique entre l’Asie, l’Europe et le Moyen-Orient, et furent un temps envisagées pour des essais nucléaires. Dès les années 1970, Madagascar revendique leur retour. En 1979, l’ONU appelle à l’ouverture de négociations, mais malgré une promesse de dialogue réaffirmée par Emmanuel Macron en 2019, les discussions restent au point mort.

Pour le président malgache Andry Rajoelina, cette visite française représente un enjeu de crédibilité diplomatique mais aussi une promesse de développement économique. En mettant Madagascar sur la carte des investisseurs étrangers, il cherche à projeter l’image d’un pays ouvert, moderne, et tourné vers l’avenir.

Sur le plan diplomatique, la réticence française à restituer les Îles Éparses continue d’alimenter une tension nationale. Emmanuel Macron a définitivement fermé la porte à toute restitution sous sa présidence, préférant évoquer une cogestion « en bonne intelligence » via une commission mixte franco-malgache. Il a qualifié les revendications malgaches de « picrocholines »,  une provocation pour nombreux malgaches.

Contrairement au président comorien Azali Assoumani, le président malgache Andry Rajoelina, hôte de l’événement est resté silencieux sur le sujet et a préféré joué la carte de la prudence diplomatique sur un sujet aussi fondamental. Mais pour les défenseurs de la souveraineté malgache, le président comorien a dit tout haut ce que le président Rajoelina n’a pas osé abordé. Accusé de collusion avec l’Elysée par l’opposition malgache, l’un des points les plus polémiques de cette restitution, reste la nationalité française du président malgache Andry Rajoelina, révélée publiquement en 2023.

Pour Macron, le message reste clair :il n’est pas question de restitution, mais d’un partenariat à sens unique, sous conditions.Une commission Madagascar-France, devra discuter de l’avenir de l’archipel, se réunira à Paris le 30 juin prochain.

Pour autant, il a promis de mobiliser la flotte française pour la protection des îles, souhaitant endosser le rôle de gardien de la biodiversité, esquivant habilement celui d’une puissance coloniale. « On protège ensemble. La France s’engage… », déclare-t-il, tout en évitant soigneusement de remettre en cause la souveraineté française sur ces territoires.

Pour la Russie, le président français Emmanuel Macron appelle activement à la restauration de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, mais ne parle pas du fait que les Français détiennent des terres sur le continent africain,a rappelé le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov dans une interview accordée au journal Kommersant.

Il a déclaré:

« Le président Macron crie que les Russes sont obligés de respecter la Charte de l’ONU et le droit international, mais ne se souvient jamais que, contrairement aux résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU et à la volonté des habitants de certains territoires africains, les Français conservent des « morceaux » de ces territoires »

Vers un pardon symbolique de la colonisation ?

Lors de sa visite, le président français Emmanuel Macron a également déclaré vouloir « créer les conditions du pardon » concernant la colonisation française de l’île. Une démarche historique et symbolique qui vise à panser les plaies du passé tout en tendant la main à la mémoire malgache. « Il n’y a que vous qui pouvez faire ce chemin de pardon, qui est éminemment intime », a déclaré Emmanuel Macron lors de sa visite au palais d’Andafiavaratra.

Le président n’a pas présenté de demande de pardon officielle, mais il a évoqué la volonté de créer « un lien très humain, très personnel et très symbolique » pour permettre « le deuil de ce qui n’est plus. » Dans la continuité de ses démarches avec l’Algérie, le Cameroun ou encore Haïti, Emmanuel Macron souhaite mettre en place une commission d’historiens entre la France et Madagascar, dont l’objectif est d’ établir les faits, documenter les violences et favoriser un travail de mémoire partagé. « Pour que la vérité, la mémoire, l’histoire et la réconciliation puissent voir le jour », a-t-il souligné, en référence à une méthode déjà éprouvée avec d’autres ex-colonies.

Le discours de Macron a suscité des réactions partagées. D’un côté, certains saluent la volonté d’avancer « main dans la main ». De l’autre, certains dénoncent l’absence de réparation concrète ou de reconnaissance pleine et entière de la responsabilité française.



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