Les conservateurs face à la guerre d’Ukraine: une source de divisions?

Le fait que Giorgia Meloni ait tweeté son soutien à Zelenski et refuse, pour l'instant, de prendre Salvini dans son gouvernement peut être attribué à des motifs tactiques. Mais il nous rappelle aussi que les conservateurs, en Europe, sont assez profondément divisés sur l'attitude à avoir face à la guerre d'Ukraine

Un des motifs invoqués par Giorgia Meloni pour ne pas prendre Salvini dans son gouvernement est: « il est russophile », comme le mettait en une la Stamap de mercredi 28 septembre (photo ci-dessus). Il y a bien entendu une part de tactique. Cependant, le tweet adressé par Madame Meloni à Vladimir Zelenski ne s’invente pas:
Dear @ZelenskyyUa, you know that you can count on our loyal support for the cause of freedom of Ukrainian people. Stay strong and keep your faith steadfast! 🇮🇹🇺🇦
— Giorgia Meloni 🇮🇹 ن (@GiorgiaMeloni) September 27, 2022
« Cher @ZelenskyUa, vous savez que vous pouvez compter sur notre loyal soutien à la cause de la liberté du peuple ukrainiens. Restez fort et ferme dans votre foi ».
Peut-on être vraiment conservateur et prendre parti pour l’Ukraine?
Je conçois que, comme conservateur, on souhaite soutenir la Russie – la Russie de Vladimir Poutine est l’une des incarnations actuelles du conservatisme dans le monde. Je conçois aussi que l’on souhaite, comme conservateur, rester neutre dans le conflit, appeler à la fin des combats et à la négociation. C’est mon cas. Imaginons le Général de Gaulle face au conflit: il n’aurait eu de cesse de placer la France en position de médiatrice.
En revanche, il me semble peu compatible, sur le fond, d’être conservateur et de prendre partie pour l’Ukraine. La guerre d’Ukraine a été largement voulue par cet Occident globaliste qui est tout ce que combattent les conservateurs. Comment ne pas voir la fédération, dans la puissante propagande pro-ukrainienne occidentale, de tout ce que les conservateurs détestent et combattent par ailleurs: le capitalisme de connivence porté à son paroxysme affairiste (voir Hunter Biden); l’idéologie de l’abolition des frontières (on reproche à la Russie de vouloir faire respecter sa souveraineté). La cause ukrainienne a même été récupérée par les marches des fiertés !
Quand on sait comme les couples occidentaux vont se faire faire des GPA en Ukraine, j’ai du mal à comprendre la cohérence de Madame Meloni. Mais elle n’est pas seule! Regardez comme la Pologne fait passer la lutte contre la Russie avant la solidarité entre conservateurs européens! A un niveau individuel, suivez les comptes twitter d‘Anne-Elisabeth Moutet – qui semble vouloir être recrutée comme scénariste pour le prochain James Bond en semblant ignorer comme les scénarios des nouveaux épisodes deviennent woke. Ou celui de Gabriel Robin, qui poursuit de ses foudres tous ceux dont il pense que ce sont des amis français de Monsieur Poutine. Et j’ai personnellement un souvenir amusé du coup de fil reçu à quatre jours du premier tour de la présidentielle de la part d’un cadre de la campagne d’Eric Zemmour me demandant si je voulais bien ne plus envoyer de message au candidat pour lui recommander une attitude de neutralité face au conflit. Mon interlocuteur me rendait quasi-responsable d’un éventuel mauvais score du candidat mais je savais bien, au fond, qu’il parlait au nom de tous ceux, dans la campagne, pour qui il fallait soutenir l’Ukraine.
Les raisons du tropisme pro-ukrainien de beaucoup de conservateurs européens
Lorsque je cherche à comprendre le refus de prendre en compte la réalité effective de la « nation ukrainienne » – l’Ukraine a été en fait pendant trente ans un Etat (de plus en plus corrompu) auquel l’Occident, qui n’a jamais respecté l’aspiration à la neutralité de la société ukrainienne, n’a pas laissé le temps de devenir une nation – j’en vois trois:
+ l’influence très forte du conservatisme anglo-saxon. Or une partie des conservateurs anglo-américains croient que la Russie, c’est encore l’URSS. Je prendrai un seul exemple. Un lieu commun du discours des Républicains américains pour justifier leur vision de la Russie actuelle, c’est le taux d’avortements en Russie. Or on ne peut pas imaginer marqueur plus clair de la désoviétisation de la Russie. Le nombre annuel d’avortements en Russie est en baisse régulière et forte:

+ Deuxième raison. Le refus d’accepter de remettre en cause son propre conservatisme occidental – ancré dans le Moyen-Age catholique ou dans la tradition burkéenne – avec le conservatisme russe. Je donnerai un seul exemple. Le récit du « Grand Inquisiteur » dans les Frères Karamazov a toujours agacé en moi l’historien disciple de Jean Dumont que je suis – l’Inquisition historique est une réalité infiniment plus complexe que ce que nous en dit la doxa cathodique (en particulier parce qu’elle reposait sur une procédure contradictoire). Surtout, Dostoïevski a l’air de réduire le catholicisme au phénomène de l’Inquisition. Mais une fois qu’on est entré dans le texte, quelle extraordinaire méditation sur la liberté, sur l’Eglise, sur la foi ! Un conservateur européen doit avoir conscience que l’Europe n’existe pas sans la rencontre du meilleur des cultures occidentale et russe orthodoxe!
+ Troisième raison: le combat de la Russie pose sérieusement la question de la souveraineté. Or je suppose que beaucoup de conservateurs européens trouvent cela très confortable de se laisser « coucouner » dans l’UE et dans l’OTAN en s’auto-persuadant que ces deux modes d’organisation de l’Occident ne sont pas inéluctablement progressistes….
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