Les cinq raisons de l’abstention aux élections régionales

Les cinq raisons de l’abstention aux élections régionales


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Il y a cinq raisons immédiatement identifiables à l'abstention massive aux élections régionales. Elles doivent donner confiance dans l'avenir car elles prouvent que les Français réagissent rationnellement à la crise de leur classe politique. Bien entendu, en démocratie, le peuple ne peut pas faire comme s'il n'avait pas choisi ses représentants. Mais nous traversons une crise de la démocratie , née de la tendance des diplômés de l'enseignement supérieur à penser qu'ils peuvent remodeler le pays à leur guise. C'est cette imposture qui est en train d'éclater.

La soirée électorale aura rarement offert une telle séquence de comédie. Les moins démocrates de tous, les macroniens, criaient à la crise de la démocratie et de tous les partis. Autre déçue du scrutin, Madame Le Pen n’était pas moins mauvaise perdante que les représentants de LREM, déclarant, et faisant répéter par ses représentants que tout le monde avait perdu. Quant aux porte-paroles des autres partis, ils hésitaient entre les déclarations prématurées de victoire et le contentement de celui qui a gagné à la loterie. Deux Français sur trois se sont abstenus. Et pour la classe politique, tout enivrée de ses « éléments de langage » – ah l’affreux jargon ! – il est très difficile de regarder la réalité en face.

Les cinq raisons de l'abstention

1. L’échec du redécoupage des régions par François Hollande

Curieusement, personne ne l’a mentionné hier soir. Le Courrier des Stratèges avait averti d’un facteur sous-estimé. La confection, durant le quinquennat de François Hollande, de « super-régions » sous la pression de l’Union Européenne a éloigné les Français un peu plus de leurs élus. Le Limousin avait un enracinement historique. Etre électeur de l’ancienne région Limousin au sein de la « Nouvelle Aquitaine » fait peu de sens. Notre classe politique ne cesse de parler de « proximité », d’ « être à l’écoute des préoccupations de la vie quotidienne ». Mais elle agit en sens inverse quand elle en a l’occasion.

2. Le pitoyable fiasco de la sous-traitance de l’envoi des professions de foi

Les élus de différents partis l’ont mentionné plusieurs fois dans la soirée d’hier. Cependant cela n’avait pas l’air de faire rougir de honte les ministres présents sur les plateaux. Le macronisme est devenu synonyme d’amateurisme gouvernemental au point que le gouvernement a choisi un sous-traitant  (Adrexo) qui n’a pas acheminé les professions de foi dans un certain nombre d’endroits en France. Certains Français ont pu, de bonne foi, ignorer qu’il y avait des élections. Dans tous les cas, c’est indigne d’une grande nation démocratique.

3. Depuis le début de la crise du COVID-19, Emmanuel Macron et la classe politique française jouent avec le calendrier des élections.

Rappelons-nous la mi-mars 2020. Les partis politiques sont d’avis de repousser les élections municipales; Emmanuel Macron passent outre et maintient…le premier tour. Avant de décider, sans avoir consulté le Parlement, de suspendre le second tour, qui eut lieu finalement en juin 2020. Ensuite, on apprit que le Président jouait avec l’idée de repousser au-delà des élections présidentielles les élections régionales; puis elles furent maintenues mais en juin au lieu de mars. Soit la démocratie a quelque chose de sacré et le vote est quelque chose d’intangible (qu’est-ce qui empêchait, par exemple, en mars 2020, en meême temps que l’on demandait aux gens de se confiner, d’étaler le vote sur plusieurs jours mais d’en garder le calendrier fondamental? ); soit c’est un rendez-vous que l’on peut déplacer comme un autre. Mais dans ce cas les Français ont répondu: désolés, nous avons piscine à la date que vous proposez.

4. L’effet délétère du non-respect du référendum de 2005 apparaît clairement avec le temps

Un déni de démocratie est en train de s’installer comme une référence dans le débat public. La substitution par Nicolas Sarkozy du Traité de Lisbonne au Traité Constitutionnel Européen rejeté par référendum. En réalité, Nicolas Sarkozy n’a jamais pris les Français en traitre puisqu’il avait très clairement annoncé qu’il ferait un nouveau traité s’il était élu. Et il a eu la majorité des votants. Cependant, c’est le même Sarkozy qui n’a pas tenu parole sur la question de l’immigration, décevant l’électorat du Front National qu’il avait rallié à lui. L’ancien président est devenu le symbole des promesses électorales non tenues. Et ses deux successeurs n’ont pas fait mieux: François Hollande n’a jamais régulé la finance comme promis; Emmanuel Macron n’a pas libéralisé la France. Nationistes, socialistes et libéraux ont donc toutes les raisons d’être déçus par leurs champions respectifs. Et le référendum passé à la trappe devient le symbole du mépris du vote populaire.

5. L’erreur stratégique de Marine Le Pen

Pendant longtemps le Front/Rassemblement National a été le parti auxquels les Français ayant le sentiment d’être méprisés pouvaient s’identifier. Pour avoir une chance d’arriver au pouvoir, la présidente du Rassemblement National pense qu’elle doit « recentrer » son parti. Mais elle le fait mal. A quoi rime de dire qu’on se « républicanise »? C’est accepter l’absurde procès en républicanisme fait jusque-là par le reste de la classe politique. A quoi sert de dire qu’on a fait la paix avec l’UE (et non seulement l’euro) quand les Français y sont de plus en plus hostiles? A l’inverse, comment peut-on sérieusement se « recentrer » sans prendre attache avec les milieux économiques? Or Marine Le Pen est très peu avancée dans ses contacts. elle cumule donc les inconvénients se mettant mal avec la France populaire sans conquérir le respect de la « France d’en haut ».  Et tout en déployant une stratégie de second tour !

La France des diplômés démasquée

Les Français ne se sont pas déplacés aux urnes pour cinq raisons, donc, mais qui nous ramènent toutes à un facteur dominant. Depuis Michael Young et son ouvrage The Rise of Meritocracy, les sociologues les plus lucides (ceux qui ne cherchent pas à imiter Bourdieu) observent combien l’accès restant limité à l’enseignement supérieur (30% d’une classe d’âge est diplômée) et le manque d’adaptation de cet enseignement tertiaire aux besoins en qualification de l’économie de la Troisième Révolution Industrielle sapent les bases de la démocratie. Un tiers de la population, en gros, se considère comme « sachant » et « expert »; comme « méritant » d’exercer des responsabilités et de remodeler le système français pour qu’il s’adapte à un monde international d’experts et de sachants.

Ce faisant, nos modernes Trissotin et Philaminte se révèlent en fait bien peu au fait du monde comme il marche réellement; ils sont bien peu capables; et ils n’exploitent absolument pas le potentiel que donne le développement numérique en terme d’entrepreneuriat à la portée de tous mais aussi de démocratie locale. Evidemment , cela voudrait dire partager avec le reste de la population les fondamentaux d’une formation de l’âge numérique. En fait nous avons affaire à des individus diplômés mais demi-savants, grands voyageurs mais aveugles aux transformations du monde,  et qui se comportent, pour les plus riches ou les mieux connectés d’entre eux comme des « rentiers de la mondialisation ». Le « Great Reset » est largement le produit d’une telle mentalité.

C’est ce clivage qui est apparu de manière frappante dans les premières semaines du conflit des Gilets Jaunes lorsque de jeunes retraités titulaires d’un baccalauréat d’avant la Réforme Haby baladaient sur les plateaux de télévision les jeunes loups « hyperdiplomés » de la Macronie. Emmanuel Macron lui-même est la quintessence de cette France diplômée mais au fond incapable de construire quoi que ce soit. C’est cette même France qui peuple les rangs des principaux partis; et à la quelle Marine Le Pen, curieusement, rêve de s’intégrer.


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