Français, réappropriez-vous l’Etat !  – par Michel Keyah

Français, réappropriez-vous l’Etat ! – par Michel Keyah


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"Il serait temps que les français, les moins de cinquante ans en particulier, comprennent qu’ils doivent redevenir « maître et possesseur » de leur Etat, pour leur plus grand bien et celui de leurs enfants"

Macron: des mots, des mots !

Lors de sa déclaration, le candidat Emmanuel Macron avait souhaité rattacher son programme pour un deuxième quinquennat à la philosophie de « l’humanisme français hérité de la Révolution, des Lumières et de la Renaissance ».

A partir du XVème siècle en effet, la pensée humaniste s’est attachée à l’homme en lui-même et à sa dignité. La question de ses rapports avec ses semblables s’est naturellement posée. Depuis Bodin et Machiavel, la question de l’organisation de la société par elle-même occupe une place centrale dans l’histoire des idées. La définition de l’Etat moderne, comme organisation politico-administration qui exerce son autorité sur un territoire et dont dépend une population, est ainsi le fruit de la pensée humaniste.

Si la Révolution a gravé dans le marbre la définition de l’Etat moderne, sa raison d’être et ses limites héritées de la Renaissance et des Lumières, la question plus prosaïque de ses moyens a été un des ressorts les plus puissants de son histoire. A la frontière de la philosophie et des finances publiques, il y a l’Histoire de France et de son Etat. A cette aune, si, pour reprendre les mots de Richelieu, un des bâtisseurs de l’Etat moderne, « seuls les effets et non les paroles comptent », la logorrhée d’Emmanuel Macron ne résiste pas à ses effets.

Au-delà de l’esprit, c’est surtout la pratique qui importe

La Révolution n’est que l’expérimentation à grande échelle des préceptes des Lumières. Pour ses philosophes, il s’agit de trouver la meilleure façon de traduire les droits des hommes en pratique, de réaliser le « contrat social » passé entre l’homme et la société. En un mot, définir l’Etat. En France, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 exprime cette ambition. Les droits naturels et imprescriptibles de l’Homme sont gravés une fois pour toute à l’article 3 : la liberté, la sûreté, la propriété et la résistance à l’oppression. Pour atteindre cet objectif, l’Etat dispose de la force, comme l’énonce l’article 12, « la garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée». Enfin, la garantie de la bonne marche de l’Etat réside dans le contrôle qu’exercent effectivement les citoyens sur son action, « l’Etat de droit », dont la séparation des pouvoirs, définie par Montesquieu et reprise à l’article 16, en est la clé de voûte.

Au-delà de l’esprit, c’est surtout la pratique qui importe. La raison humaniste n’a de sens que dans sa réalisation. A défaut, elle sombre à son tour dans le despotisme et la tyrannie, et l’Etat en devient l’instrument implacable. Robespierre, lorsqu’il se réclame de « la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante », nous rappelle avec des lettres de sang comment la raison peut devenir meurtrière.

La construction de l’Etat

Si par leurs écrits, les philosophes ont forgé la pensée de la société depuis le XVème siècle, avec les Lumières au XVIIIème siècle en point d’orgue, le ressort le plus puissant de l’Histoire a été plus prosaïquement la lutte pour la construction de l’Etat et de son financement. Cette question hante l’histoire de l’Ancien régime, depuis Henri IV jusqu’à être la mèche de la Révolution.

La construction de l’Etat est consubstantielle à la défense et à la promotion des intérêts supérieurs du pays. A cet égard, les huit guerres de religion qui ont ravagé le pays au XVIème siècle sont autant le fruit du choc des idées, en l’occurrence religieuses, que de la lutte entre le pouvoir central naissant, l’Etat absolutiste de l’Ancien régime, et les pouvoirs locaux héritées de la féodalité. C’est parce que le roi de Navarre a compris que l’intérêt de la France primait sur les questions de religion, que les modérés des deux bords se sont ralliés à son « panache blanc ». Lorsque Henri IV abjure, « Paris valant bien une messe », c’est autant pour apaiser les catholiques, ce lui sera reproché par ses amis protestants, que pour arracher la capitale du royaume à la Ligue. Véritable « parti de l’étranger », cette dernière n’hésitait pas à vendre le pays à la puissante universelle dominante du moment, l’Espagne, pour préserver les privilèges de ses grands seigneurs.

Une fois l’Etat fondé, la question de ses moyens se pose avec acuité. L’incapacité depuis le XVIème siècle de la Couronne et des Parlements à trouver une réponse efficace au problème du financement de l’Etat, plongera le pays dans la tourmente de la Révolution, qui ne résoudra pas mieux la question. Les effets sont têtus. Dans sa récente biographie d’Henri IV, Jean-Christian Petitfils décrit comment le « bon roi Henri » et Sully instaurent la paulette, pour résoudre les désordres financiers du royaume. En instituant la vénalité et l’hérédité des charges publiques, ils créent de fait la noblesse de robe. L’incapacité de cette dernière à abandonner ses privilèges acquis au détriment de la noblesse d’épée, conduira à la catharsis de la Révolution. C’est en effet le refus de la banqueroute, qui a provoqué l’acte fondateur de la Révolution, le vote par tête et son corollaire la métamorphose des Etats généraux en Assemblée nationale. « La peur de la banqueroute a été le tocsin de ralliement dont se sont servis les philosophes pour exécuter leur révolution, note dans son journal le comte de La Galissonière, député de la noblesse d’Anjou. Les créanciers tremblants n’ont pas voulu voir le gouffre où le gage de leurs créances allait disparaître »[1]. Il faudra attendre 1797, après avoir mis la France et l’Europe à feu et à sang, pour que la République accepte enfin la banqueroute.

L’Etat n’assume plus sa mission première: défendre et promouvoir l’émancipation.

A l’évidence, la France de 2022 est loin de la philosophie de « l’humanisme français hérité de la Révolution, des Lumières et de la Renaissance ». Force est de constater que les « droits naturels et imprescriptibles » des français sont à maints égards virtuels. Les contre-pouvoirs institutionnels ont oublié que leur seule raison d’être est d’être contre. Quant à la séparation des pouvoirs, l’utilisation abusive du Conseil de défense, de conventions soi-disant citoyennes adhoc ou encore récemment, du Conseil national de la refondation, en dehors des institutions constitutionnelles, le Parlement en premier lieu, en montre les limites actuelles. La raison en est simple. L’Etat n’assure plus sa raison première, défendre et promouvoir l’émancipation des hommes au bénéfice du pays tout entier. « Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt assurément ». Ce qui est vrai pour les hommes, l’est tout autant pour les institutions. L’Etat socialisé par l’endettement illimité annihile toute velléité de vie en dehors de son emprise. Le « quoiqu’il en coûte » universel, omnipotent et perpétuel est une injure à la capacité des individus à s’élever. Lorsqu’en janvier, Emmanuel Macron déchoit de leur citoyenneté ceux qui ne n’adhèrent pas aux injonctions de l’Etat-Absurdistan pour pallier les défaillances du système de santé, il n’énonce rien moins qu’une inversion de la logique humaniste qui fonde l’Etat moderne. Ce n’est plus à l’Etat de défendre la liberté, la sûreté et la propriété privée mais aux individus d’assumer par souci « d’efficacité » les politiques de l’Etat, aussi défaillantes soient-elles et quel qu’en soit le prix. Seule l’illusion monétaire de la dette masque cette révolution car elle permet de confondre l’impossible et l’interdit, la richesse et l’argent, l’autorité et le pouvoir, la légitimité et la légalité. Son corollaire est la constitution d’un Etat réactionnaire. Le seul bénéficiaire de la production de monnaie, par le canal des déficits publics, n’est que le pouvoir lui-même, ses chimères et ceux qui en vivent. Cercle vicieux par excellence car leur médiocrité les protège tant que la banque reste ouverte. Une illustration parmi d’autres, aujourd’hui, la génération considérée comme la plus riche est celle des 70-74 ans, contre celle des 60-64 ans il y a dix ans et celle des 50-54 ans il y a vingt ans (Insee, rapport sur les Revenus et Patrimoines 2021). On ne saurait mieux expliquer la désillusion des jeunes générations.

Il serait temps que les français, les moins de cinquante ans en particulier, comprennent qu’ils doivent redevenir « maître et possesseur » de leur Etat, pour leur plus grand bien et celui de leurs enfants.

[1] Sept Jours, Emmanuel de Waresquiel


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