Face au mythe d’un souverainisme sans ordolibéralisme, il faut attendre la fin des illusions

Face au mythe d’un souverainisme sans ordolibéralisme, il faut attendre la fin des illusions


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À bas le néo-libéralisme ! à bas l’ordolibéralisme ! à bas la rigueur budgétaire ! vive le souverainisme qui nous rendra la vie d’avant sans effort ! Que ces mots sonnent harmonieusement aux oreilles de tous ceux qui ne veulent pas entendre que la crise a détruit des richesses et qu’un effort sera nécessaire pour les produire. Comme si le souverainisme allait éviter le pire. Face à cette illusion, il faut attendre que le valium idéologique se dissipe.

Donc le souverainisme, couplé au protectionnisme, serait le remède à tous nos maux, ou presque. D’un coup de baguette magique, on reprendrait le contrôle de nos politiques, au besoin en sortant de la zone euro, et tout deviendrait simple : c’en serait fini de cet odieux néo-libéralisme qui compte les sous à la manière des technocrates radins. L’argent coulerait à flots pour l’hôpital public. On ne parlerait plus de réduction des déficits. On dépenserait comme on voudrait, et la France redeviendrait le paradis qu’elle fut avant la signature du traité de Maastricht.

La France souverainiste sans téléphones portables

Ces rêves font évidemment plaisir à attendre, mais on s’amuse par avance de la mine déterrée de tous nos Gaulois consommateurs effrénés, tous, bien entendu, amis de la nature, ennemis du réchauffement climatique, mais tous hyper-connectés, qui découvriront un beau matin que le prix de leur téléphone portable ou de leur ordinateur dernier cri a doublé après des mesures de rétorsions économiques sans pitié prises par les États-Unis ou par le reste du monde consécutives au rétablissement par la France de ses tarifs douaniers. Nous avons déjà vécu ce psychodrame il y a quelques mois lorsque Donald Trump a annoncé une surtaxation des alcools et vins français en représailles à la levée d’une taxe GAFA. L’industrie agro-alimentaire française s’est précipitée en masse à Bercy pour demander que la France mette de l’eau dans son vin.

Les choses se passeront encore plus brutalement lorsque le protectionnisme deviendra la règle.

Les souverainistes confondent un peu vite indépendance et solitude de la France. La France aura beau reprendre le contrôle de son économie, elle n’en restera pas moins installée sur la planète terre, avec des voisins ou des concurrents qui ne lui feront pas de cadeaux le jour où elle décidera de rétablir ses tarifs douaniers. Et il se trouve que ces voisins ou concurrents savent produire de milliers de biens de consommation que les Français sont incapables de produire. L’addition va rapidement monter.

Et encore, on ne dit rien ici de l’augmentation générale des prix de tous les produits importés de pays où la main d’oeuvre est moins chère et (terrible aveu politiquement incorrect) bien plus travailleuse que les Français drogués à l’assistanat public depuis plusieurs décennies.

Il faut relocaliser l’essentiel de la production industrielle et engager un tournant vivrier dans l’agriculture. Nous pouvons produire tous les biens de première nécessité en France, et assurer les conditions de notre alimentation collective au niveau national tout en luttant contre la malbouffe, source d’obésité qui augmente le risque de mortalité. Toutes ces actions créeraient de l’emploi.   

Tribune de Marianne

Des millions de chômeurs, mais une immense pénurie de main-d’oeuvre

En lisant la tribune folklorique publiée dans Marianne sur le monde d’après, on mesure l’étendue des illusions qui intoxiquent aujourd’hui les esprits souverainistes. Il paraît par exemple que nous pourrions recréer une agriculture vivrière en France, et que cela créerait de l’emploi. Oh ! la belle fake news de bobo bien-pensant.

D’abord il faudra expliquer aux Français que les oranges, les ananas, les avocats, les mandarines, les pastèques, c’est fini. Comme ça vient de l’étranger, on taxe et on fait exploser les prix. Ensuite, il va falloir expliquer aux Français que, désormais, il faut se remettre aux travaux des champs. Et là, on s’amuse par avance, parce que l’idée simpliste selon laquelle des millions de chômeurs signifieraient des millions de candidats à l’emploi va montrer ses limites. Manifestement, cette équation peine déjà à être prouvée, si l’on en croit les agriculteurs qui réclament aujourd’hui à cors et à cris l’ouverture des frontières aux saisonniers bulgares ou roumains.

En réalité, les chômeurs français ne constituent pas une main d’oeuvre immédiatement employable dans n’importe quel secteur. Et les grandes idées sur la relocalisation de la production en France qui créerait de l’emploi risque de subir quelques désillusions.

Mais où trouver de l’argent pas cher pour relancer le pays ?

Mais l’illusion que la main-d’oeuvre française disponible permettrait à la France de vivre en autarcie n’est pas la seule fadaise devenue vérité d’évangile dans certains milieux. Une autre conviction, dérivée des théories sur l’endettement français qui serait plus facile s’il s’effectuait directement auprès de la Banque Centrale, a désormais libre cours : la France aurait moins de contraintes budgétaires si elle sortait de la zone euro que si elle y restait. On entend ici la critique contre les engagements de maintenir un déficit budgétaire inférieur à 3% pris avec le traité de Maastricht. Comme si un Frexit nous autorisait brutalement à vivre indéfiniment et sans limite à crédit.

Or une sortie de la zone euro se révèlerait en réalité bien plus contraignante qu’un maintien de la France dans la garantie apportée par l’épargnant allemand. Car il faudrait trouver de l’argent pour financer nos déficits. Et sauf à faire tourner la planche à billets pour éponger les dettes, ce qui plongerait la France dans un épisode inflationniste politiquement insoutenable, la France devrait bien convaincre ses créanciers qu’elle est une emprunteuse solide.

Et ce travail de conviction se ferait cette fois sans la garantie apportée par les épargnants allemandes. Autant dire que l’emprunt coûterait beaucoup plus cher qu’aujourd’hui.

Le vrai enjeu, c’est maintenant car on va avoir besoin non plus de 80 000 saisonniers par mois, mais de 160 000 personnes en juillet et jusqu’en 190 000 en août et septembre pour les récoltes en arboriculture, après le maraîchage, puis en viticulture. La situation des travailleurs étrangers est appelée à se détendre (1) et c’est tant mieux, car il y a une telle demande, de la part de Bulgares, de Roumains, et de la part d’exploitants habitués à travailler avec cette main-d’œuvre très productive, bien plus que les gens du coin. Quand on ramasse 20 kg de fraises par heure, le prix de revient n’est pas le même qu’avec 5 kg de l’heure…   

Jean-Baptiste Vervy, directeur de Wizifarm

Pas de souverainisme sans ordolibéralisme

Ce que ne disent pas clairement les souverainistes, c’est que l’indépendance de la France obligera à beaucoup plus de rigueur budgétaire que son maintien dans la zone euro.

Pour l’instant, la France peut emprunter à un taux quasi nul sur les marchés grâce à la signature de l’Allemagne qui sert de caution à tous nos excès. Dès lors que cette caution disparaîtra, il faudra redoubler de rigueur et de sérieux pour convaincre les créanciers d’apporter leurs liquidités au financement de nos déficits.

Pour l’instant, il suffit de quelques génuflexions et effets de manche d’Emmanuel Macron auprès d’Angela Merkel pour que le problème soit réglé. Dans l’hypothèse d’un Frexit, le travail de persuasion sera beaucoup plus long. L’utilisation des deniers publics pour financer l’épaisse couche de bureaucratie inutile et arrogante que tout le monde tolère aujourd’hui risque même de poser un problème insurmontable.

En réalité, le souverainisme obligera à beaucoup plus d’efforts et de rigueur que toutes les politiques prétendument néo-libérales menées depuis 20 ans. C’est ici que se niche le mensonge des souverainistes que l’on lit un peu partout : l’indépendance de la France sera créatrice de bien plus d’obligations que de droits…

Attendre la fin des illusions souverainistes

Sur le fond, le souverainisme est possible en France, à condition de subir un sévère remède ordolibéral. Mais on a bien compris que ce discours de réalisme et de vérité se heurte aux illusions de tous ceux qui propagent l’idée que l’Union Européenne est la cause de tous nos maux et que sans elle nous pourrions nous endetter sans limite. Face à ce mythe propagé avec malice par un certain nombre de démagogues, il faut faire le dos rond.

Tout le monde a bien compris, en France, l’intérêt qu’il y aurait à sortir d’une construction européenne germano-centrée. Mais personne n’a réellement validé le prix à payer pour y parvenir. Pour l’instant, beaucoup ont l’illusion que ce prix sera nul. Il faut laisser le temps au temps, laisser le temps à la dissipation de ce doux rêve. Car tant que l’expérience n’aura pas été menée à terme, la certitude que des miracles solitaires sont possibles demeurera tenace.


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