Et si les élites françaises s’inspiraient de l’horizontalisme allemand au lieu de (mal) singer l’ordo-libéralisme ?

Et si les élites françaises s’inspiraient de l’horizontalisme allemand au lieu de (mal) singer l’ordo-libéralisme ?


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Depuis le traité de Maastricht, les élites françaises font mine d’imiter l’ordo-libéralisme allemand, en préconisant des logiques comptables et de coupes budgétaires. Mais ce réflexe conditionné montre toute leur incompréhension de ce qui fait le succès allemand et rend possible sa bonne santé budgétaire : l’horizontalisme de la société rhénane.

Les élites françaises ont-elles compris que l’ordo-libéralisme allemand n’était pas une technique comptable fondée sur des coupes sombres dans les dépenses publiques, mais un principe d’organisation horizontale de la société, fondée sur la responsabilisation des individus et sur la lutte contre le centralisme étatique ? Pas de vertu économique sans remise en cause de la verticalité élitaire.

L’ordo-libéralisme à la française

Depuis la ratification du traité de Maastricht, les élites françaises savent (abstraitement) qu’il faut restaurer les termes de notre compétitivité économique en comprimant les dépenses publiques. Cet effort est rendu d’autant plus indispensable que les réformes Schröder de 2000 ont « purgé » le radiateur public allemand. En quelques mois, la part des prélèvements obligatoires avait alors baissé de 3 points de PIB.

Face à cette concurrence, les élites françaises ont repris à leur compte un discours quasi-machinal sur le thème de la baisse de la dépense publique. Il faut faire comme l’Allemagne ! Et pour y parvenir, la technostructure a puisé dans l’école dite du « New Public Management » des recettes toutes faites pour la réforme de l’État. Comme si l’ordo-libéralisme s’apprenait dans les livres…

Au fond, la référence à l’Allemagne a servi de prétexte commode, en France, pour asseoir la domination d’une élite, plus que pour réformer la société.

L’opinion selon laquelle la réduction des dépenses publiques et la réforme de l’État, étaient une affaire de technocrates qui allaient imposer d’en haut leur vision des choses s’est répandue comme une tarte à la crème sur un trottoir tout au long des années 2000. C’était un discours commode : les petits marquis de la fonction publique pouvaient sans peine disserter sur la dernière rumeur entendue la veille au soir dans un dîner du Siècle.

On trouvera par exemple dans « Notre État », un ouvrage collectif de 2001 rédigé par des hauts fonctionnaires un condensé de ces platitudes paresseuses qui ont cimenté l’idéologie des élites françaises depuis 20 ans.

Pourquoi cet échec impressionnant ?

De l’inutilité de ce vade-mecum technocratique, on en trouvera mille traces à chaque coin de rue. Tout au long des années 2000, pendant que, à l’ENA, les hauts fonctionnaires français apprenaient le New Public Management, le différentiel de dépenses publiques entre la France et l’Allemagne n’a cessé de se creuser. Plus les hauts fonctionnaires expliquaient qu’il fallait réduire les dépenses, dépenser mieux, encourager la productivité du service public, plus ils dépensaient et plus ils recrutaient de fonctionnaires pour assumer toujours moins de missions !

L’explication de cet échec retentissant ne tient pas seulement au fait que les élites françaises, et singulièrement les élites publiques, sont faites de grands diseux mais de petits faiseux, tout en arrogance, mais incapables d’agir. Elle tient aussi à une incompréhension majeure de ce qu’est la logique profonde de l’ordo-libéralisme allemand.

Au fond, la référence à l’Allemagne a servi de prétexte commode, en France, pour asseoir la domination d’une élite, plus que pour réformer la société.

Ordo-libéralisme et horizontalité de la société

La purge dans les dépenses publiques et le maintien de celles-ci en eaux basses ne sont en effet possibles que grâce à une organisation de la société beaucoup plus horizontale qu’en France. Contrairement à la représentation pour ainsi dire post-nazie de l’Allemagne qui domine en France, nos voisins germaniques vivent dans un régime infiniment moins autoritaire et vertical que le nôtre.

On ne reviendra pas ici sur le fédéralisme allemand, bien connu, qui s’explique d’abord par la quasi-inexistence historique de l’Allemagne. Jusqu’au Zollverein des années 1830, mais qui a mis 30 ans à se réaliser, jusqu’à la proclamation de l’unité nationale… à Versailles, en 1870, l’Allemagne était un patchwork d’États indépendants. L’unité allemande n’a été possible que dans le respect des particularismes locaux.

Mais au-delà de cette contrainte historique, l’Allemagne est restée empreinte d’une culture communale, surtout dans sa partie occidentale. Elle se méfie des aristocraties et valorise les valeurs d’égalité et de coopération horizontale. En ce sens, la société allemande est organisée à rebours de la société française telle qu’elle est vue, pratiquée, ordonnée par nos élites jacobines.

L’exemple flagrant de la santé

Cette différence d’organisation est apparue dans toute sa puissance dans la crise du coronavirus. Alors que la France a essentiellement parié sur l’augmentation de nombre de lits en réanimation (jusqu’à en avoir 15.000 à disposition pour seulement 7.000 patients finalement admis), sans se préoccuper de disposer de tests ni de masques en nombre suffisant pour prévenir la propagation de l’épidémie, l’Allemagne a fait un choix inverse.

Il n’est de réduction du rôle de l’État sans augmentation de l’initiative individuelle. Faute de l’admettre, la France est condamnée à s’étouffer sous le poids de sa bureaucratie.

Fidèle à sa tradition, l’Allemagne a parié sur la prévention et la responsabilisation des comportements individuels. Contrairement ce que la gauche française croit, ce choix n’est pas tombé par hasard, et il n’a pas été improvisé par Angela Merkel par une révélation du Saint-Esprit. La prévention sanitaire est, en Allemagne, une tradition culturelle profonde qui explique le succès des médecines naturelles et des HeilPraktischers outre-Rhin, cause de tant de ricanements dans les élites françaises.

Prévenir la maladie en adaptant le comportement individuel au lieu de solliciter la collectivité pour financer des soins lourds, voilà une logique d’horizontalité sociale qui explique la faible mortalité de l’épidémie en Allemagne. C’est grâce à cette éthique que les autorités sanitaires allemandes ont fait le choix de tester massivement la population, pendant que les autorités françaises faisaient le choix inverse. Et c’est grâce à cette éthique que l’Allemagne a pu identifier les chaînes de contamination et compter sur le civisme individuel pour les rompre.

Serait-ce possible en France ?

Tout au long de la crise, la société française a multiplié les signaux qui montrent qu’il existe, en France, une immense attente de responsabilisation individuelle. Mais ces signaux se heurtent à la stratégie élitaire de captation du pouvoir. Quand on veut dominer un peuple, on dit de lui qu’il est réfractaire et ingouvernable !

Cette méfiance vis-à-vis de l’initiative individuelle qui domine la haute fonction publique française condamne par avance tout horizon ordo-libéral. Il n’est de réduction du rôle de l’État sans augmentation de l’initiative individuelle. Faute de l’admettre, la France est condamnée à s’étouffer sous le poids de sa bureaucratie.


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