Les corporatismes égoïstes triomphent en France, et le mouvement de protestation contre les retraites en donne de superbes exemples jusqu’à l’écoeurement. Dans une certaine mesure, ce mouvement constitue d’ailleurs une longue suite d’hypocrisies où des donneurs de leçons s’invectivent sur ce vaste théâtre d’ombres qu’est la société française. Alors que les salariés du secteur privé sont priés de contempler sagement le spectacle dans la salle, et de mettre le main à la poche pour financer l’ensemble de la pièce, deux camps de pharisiens bobos s’affrontent sur scène. D’un côté, les partisans de la « solidarité » qui se livrent à une série de petits meurtres entre amis. De l’autre, les partisans de la transparence et de l’équité, qui sont sans cesse pris la main dans le pot de confiture.

Les corporatismes égoïstes triomphent. On le savait bien avant toutes ces grèves, bien avant le 5 décembre, une fois de plus, le smicard de l’industrie serait forcé d’assister sans mot dire au navrant spectacle des bobos pharisiens échangeant leurs insultes sur une scène illusoire pendant que le pays tente de travailler et de produire pour assurer la subsistance à tous.
Les corporatismes égoïstes façon CGT, FO, et quelques autres
Dans l’idée macronienne de la réforme systémique des retraites, telle qu’elle a été « vendue » à l’opinion, il y a une inspiration juste : celle qui consiste à se demander pour quelle raison l’ouvrier de Peugeot ou de Renault cotise pour sa propre retraite et pour celle des autres. C’est le propre des régimes spéciaux d’accorder des conditions de départ à la retraite plus favorables que le régime général, et de les financer grâce à la solidarité des cotisants au régime général. Autrement dit, pour que certains puissent partir jeunes, il faut l’argent de ceux qui partent vieux à la retraite.
Lorsque les syndicalistes de la CGT ou de FO empêchent les ouvriers de Peugeot ou de Renault d’aller travailler grâce à une merveilleuse grève de décembre, ils ne défendent pas autre chose que cette curieuse notion de solidarité, fondée sur le principe que les moins favorisés paient pour les plus favorisés. Le seul argument moral opposé à ce terrible constat se résume à dire qu’il faudrait faire payer d’encore plus favorisés qu’eux pour qu’ils conservent leurs privilèges.
C’est le propre de cette société qui marche sur la tête que de renverser le sens des mots, et que de rebaptiser « solidarité » ce qui n’est rien d’autre que de l’égoïsme corporatiste.
La solidarité, oui, mais vraiment dans une certaine limite…
Que n’entendons-nous pas, depuis plusieurs semaines, ces syndicalistes bien-pensants nous accabler de leçons de solidarité. Il y aurait d’un côté le grand méchant capitalisme égoïste soumis aux géants de la finance, et de l’autre les gentils défenseurs de la solidarité qui se battraient pour la justice sociale. Cette approche binaire d’un simplisme confondant trouve rapidement ses limites lorsque les gentils défenseurs de la solidarité sont appâtés par une bonne gamelle fumante.
Le gouvernement l’a bien compris. La perspective d’une loi de programmation consistant à augmenter le salaire des enseignants en échange d’une reprise du travail devrait faire son petit effet. La solidarité, c’est bien, le passage à la caisse, c’est mieux, pourvu que le lâchage soit discret et se fasse tout en continuant à mettre en scène des valeurs généreuses de gauche. Bien entendu…
Plus tôt dans la semaine, les policiers avaient montré le chemin, en renonçant à leur mouvement de grève après avoir reçu les assurances qui leur allient bien.
Le gouvernement se noie dans ses contradictions
De son côté, le gouvernement joue la même partition pétrie de mensonges et de contradictions. D’une part, on fait l’éloge du dialogue, d’autre part, on foule au pied les attentes des syndicats exprimées depuis plus d’un an… D’une part, on appelle à l’équité, d’autre part, on découvre que le ministre en charge du dossier des retraites a allègrement profité de la sienne (pourtant grasse) pour faire des ménages parfois grassement payés dans treize officines qu’il avait oublié de déclarer. Jean-Paul Delevoye, surnommé le « Grand Con » par Jacques Chirac, auteur en son temps des désastreuses investitures aux législatives de LREM, est encore une fois rattrapé par une réputation que seul Emmanuel Macron semblait ignorer.
Même si tout le monde au gouvernement soutient Delevoye, il faut bien admettre que treize oublis, sur sa déclaration de transparence, ça risque de ne pas lui porter bonheur.
Dans tous les cas, ce petit cumul emploi-retraite fait perdre un certain crédit moral à une réforme qui n’en avait déjà plus beaucoup.
Et pendant ce temps, le salarié du privé paie
Pendant que toutes ces huiles, les unes en grève les autres sur la sellette, déclament leur texte coupé des réalités, les salariés obligés de cotiser au régime général sont priés de rester discrètement assis sur leur chaise. Le spectacle tourne, la salle se tait et sera priée d’applaudir à la fin de la tragédie. Ainsi, les salariés du secteur privé doivent galérer pour aller travailler dans les grandes villes. Et à la fin de la pièce, ils devront mettre la main à la poche.
N’oublions pas que le calcul de la retraite sur la totalité de la carrière au lieu des vingt-cinq meilleures années conduira à une baisse mécanique des pensions. Mais de ce point, les bobos pharisiens qui sont sur scène n’en ont cure. Ainsi va l’étrange société française, où ceux qui ont le droit de s’exprimer et d’être entendu ne sont pas ceux qui paient leur billet d’entrée.