USA-Europe: comment le COVID a accéléré le « virage à droite » des jeunes

USA-Europe: comment le COVID a accéléré le « virage à droite » des jeunes
Supporters cheer as Republican presidential candidate former President Donald Trump speaks at the “People’s Convention” of Turning Point Action Saturday, June 15, 2024 in Detroit. (AP Photo/Carlos Osorio)

La crise COVID-19 a profondément marqué la génération Z et les millennials, non seulement sur le plan sanitaire, mais aussi politique. Alors que les jeunes électeurs étaient traditionnellement progressistes, des enquêtes récentes révèlent un virage significatif vers la droite, aux États-Unis comme en Europe. Entre défiance envers les institutions, repli identitaire et immersion dans les réseaux sociaux, cette tendance interroge: les restrictions COVID ont-elles semé les graines d’un nouveau conservatisme jeune ?

La popularité des partis d’extrême droite a fortement augmenté. Ils commencent à attirer la jeune génération et il s’agit d’une tendance mondiale. Qu’est-ce qui motive ce virage à droite ? On peut citer plusieurs facteurs comme l’inflation ou la faible croissance économique. Mais la pandémie du Covid-19 a également joué un rôle crucial. A priori, elle a réduit la confiance des jeunes dans les autorités scientifiques et politiques.

Fin du monopole progressiste chez les jeunes

Pendant des décennies, les jeunes Américains ont été un bastion démocrate. En 2008, Barack Obama devait sa victoire à un raz-de-marée électoral chez les 18-29 ans. En 2020, Joe Biden les remportait encore par 24 points. Mais en 2024, la donne a changé : Donald Trump a réduit l’écart à seulement 4 points (51 % contre 47 %), selon un sondage CBS. Plus surprenant, certains enquêtes montrent même les moins de 30 ans plus pro-Trump que les baby-boomers.

Ce phénomène dépasse les frontières américaines. En Europe, l’extrême droite séduit une jeunesse désenchantée. En Allemagne, l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) est désormais le premier parti chez les moins de 30 ans. En France, le Rassemblement National creuse son ancrage parmi les jeunes, tandis qu’en Finlande, les Vrais Finlandais (extrême droite) réalisent des scores historiques. Ce « Rechtsruck » (virage à droite en allemand) mondial s’explique par un cocktail explosif : inflation, crise migratoire, et surtout, l’héritage politique de la COVID-19.

Erosion de la confiance dans les institutions

La gestion de la crise sanitaire a mis à rude épreuve la confiance des citoyens dans leurs institutions. Les jeunes, particulièrement impactés par les restrictions, ont développé un scepticisme profond envers les autorités scientifiques et politiques. Une étude du Systemic Risk Center de la London School of Economics montre que ceux qui ont vécu une pandémie entre 18 et 25 ans ont tendance à perdre durablement confiance dans leurs dirigeants. Cette défiance a alimenté une remise en question du progressisme associé à ces institutions.

L’an dernier, la journaliste Hanne Cokelaere a écrit dans un article pour Politico que « les partis d’extrême droite sont en plein essor partout en Europe, et les jeunes électeurs y adhèrent ». Une enquête réalisée en Allemagne en 2024 auprès de 2.000 individus a révélé que les jeunes avaient une « vision sombre » de l’avenir. Cela explique la hausse de la popularité de l’Alternative Für Deutschland d’extrême droite chez les Allemands de moins de 30 ans.

Aux États-Unis, la Harvard Political Review observe que les jeunes électeurs de 2024 sont « plus blasés que jamais envers le leadership américain ». Leur confiance dans la présidence a chuté de 60 % en dix ans, et celle envers la Cour suprême ou le Congrès de plus de 30 %. La gestion chaotique de la pandémie – entre restrictions contestées et inégalités vaccinales – a exacerbé ce scepticisme, ouvrant la voie aux discours anti-establishment de la droite populiste.

Le COVID à l’origine de ce virage à droite mondial

Quelle serait la cause de ce virage à droite mondial ? Il est difficile de l’expliquer avec précision. On peut penser que c’est le fruit de la protestation contre l’inflation. Plusieurs pays du monde ont dû faire face à une hausse considérable et durable des prix à la consommation l’année dernière.

Mais la cause la plus probable de ce virage à droite mondial, c’est la pandémie du Covid-19. Le confinement a favorisé une augmentation du temps passé en ligne, exposant les jeunes à des contenus polarisants. Selon le chercheur norvégien Ruben B. Mathisen, les réseaux sociaux ont créé des sphères de discussions distinctes pour les hommes et les femmes, renforçant une perception anti-féministe chez certains jeunes hommes. Ce phénomène, couplé à une montée du discours populiste et anti-establishment, a participé à l’essor des idéologies de droite. La « Génération C » (COVID) pourrait conserver durablement les traits acquis pendant la pandémie : défiance envers l’État, repli identitaire, et adhésion à des idéologies hybrides mêlant scepticisme scientifique et mysticisme.

En Norvège, cette fracture est flagrante : les jeunes hommes adhèrent massivement à des partis anti-immigration, portés par une « vague d’anti-féminisme politisé ». Un phénomène qui s’étend à l’Occident, où les garçons reprochent aux mouvements féministes (comme #MeToo) d’avoir « diabolisé la masculinité ». Les influenceurs masculinistes (Andrew Tate, Jordan Peterson) capitalisent sur ce ressentiment, fusionnant critique du « wokisme » et promotion d’un conservatisme viriliste.

Comme l’écrit Anne Applebaum dans The Atlantic, les nouveaux partis populistes européens mélangent aujourd’hui anti-vaccinisme, fascination pour l’ésotérisme et rejet de l’immigration.

Cependant, la « Génération C » reste marquée par un paradoxe : elle critique l’inaction des gouvernements, mais rejette les solutions collectives portées par la gauche.

Cette tension pourrait définir la prochaine décennie politique. Comme le résume Derek Thompson, « les jeunes ne sont pas devenus conservateurs par amour de la tradition, mais par désillusion envers le progrès ». Reste à savoir si cette défiance se muera en un nouveau populisme durable… ou en une simple crise d’adolescence politique.