Tribune: Non, Monsieur le Président, la dissuasion nucléaire ne se partage pas

Le Colonel Alain Corvez, le Contre-amiral Gaucherand et le Colonel Hogard ont porté à la connaissance du Courrier des Stratèges un texte qu’ils ont rédigé. Ils le proposent à la signature de personnalités, militaires et civiles, qui considèrent qu’étendre notre dissuasion nucléaire à d’autres pays, comme l’a fait Emmanuel Macron, est un abandon de la doctrine qui a présidé à la création de notre arme suprême (voir l’article publié hier par Le Courrier sur la dissuasion française). Le président français laisse planer une ambiguïté puisqu’il assure que la France garderait de bout en bout le contrôle de l’arme atomique et de son utilisation. Mais la question plus fondamentale que pose la tribune que nous publions est de savoir si l’arme par excellence de la souveraineté nationale peut être du tout partagée. Les auteurs jugent que c’est une trahison de la volonté du Général de Gaulle. Le débat est lancé.

« Le Président Macron se dit ouvert à une dissuasion nucléaire européenne tranchant avec des décennies d’indépendance française sur le sujet.
L’arme nucléaire n’est pas une arme plus puissante que les autres, elle est l’arme ultime de défense d’une nation dont la seule existence, en dehors de tout corps de bataille classique, doit dissuader un quelconque ennemi potentiel de l’attaquer de peur des représailles terribles, insupportables, qu’elles entraîneraient pour l’attaquant.
C’est le principe fondamental de la dissuasion nucléaire, conçu par les stratèges français -les généraux Gallois, Ailleret et quelques autres – que le général de Gaulle avait envisagée dès la fin de la deuxième guerre mondiale, préparant le pays à y accéder en organisant les recherches et créant le Commissariat à l’Energie Atomique en 1945, et qu’il a mis en œuvre pour la France dès son retour au pouvoir en 1958.
C’est l’arme qui rend « invulnérable», avait-il dit, et doit préserver la paix par la peur de l’emploi. « Nous n’en avons pas fini avec la bombe atomique. Le plus puissant moyen de guerre a commencé par apporter la paix. Une paix étrange, la paix tout de même. Attendez la suite. »
« La force de frappe française n’est pas faite pour frapper mais pour ne pas être frappé», avait-il expliqué à Alain Peyrefitte.
Peu de responsables politiques ont assimilé ce concept au cours du temps, et notamment pas les dirigeants actuels. La dissuasion nucléaire est, par essence, l’expression d’une volonté nationale et ne peut être partagée. Toute sa force réside dans la légitimité du Président de la République, élu par la nation au suffrage universel, seul à pouvoir décider en dernier recours du déclenchement du feu nucléaire.
Au milieu de tant d’affaiblissements, la France dispose encore d’une protection ultime, crédible, de sa souveraineté. Brader notre dissuasion est inacceptable. Nous appelons à marquer une opposition ferme et complète au projet évoqué par le Président Macron. L’Union Européenne est un conglomérat d’entités diverses, elle n’est pas une nation.
La dissuasion nucléaire ne se partage pas.
Colonel Alain CORVEZ – Contre-amiral Claude GAUCHERAND – Colonel Jacques HOGARD
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