Quelques condoléances amicales à Xavier Bertrand, victime de la lutte des castes et du suffrage censitaire

Quelques condoléances amicales à Xavier Bertrand, victime de la lutte des castes et du suffrage censitaire


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La candidature de Xavier Bertrand,  présentée dans une interview exclusive au Point, semble avoir fait flop... Une semaine plus tard Le Point, l'hebdomadaire de la caste managériale qui s'est imposée comme le maillon indispensable dans l'exercice du pouvoir, sort la carte Edouard Philippe, candidat  de remplacement mis en test auprès de "l'opinion" (celle qui ne vote par principe ni Le Pen ni Mélenchon) pour faire barrage au Rassemblement National l'an prochain à la place d'un Emmanuel Macron de plus en plus hollandisé. C'est dommage pour Xavier Bertrand, qui n'a pourtant ménagé ni son temps ni sa peine pour s'attirer les bonnes grâces de ceux qui tirent les ficelles dans ce pays. Qu'il trouve ici des condoléances amicales : voici pourquoi nous les lui adressons.

Après avoir publié une interview de Xavier Bertrand où il déclare sa candidature à l’élection présidentielle, Le Point publie une interview d’Edouard Philippe où… il ne déclare pas encore sa candidature, mais c’est tout comme. On comprend bien à quoi joue l’hebdomadaire de François Pinault : l’émergence d’une candidature de droite modérée est désormais une affaire trop sérieuse pour être laissée, comme en 2016, à une primaire qui avait écarté le poulain Sarkozy et avait vu le triomphe écrasant d’un candidat qui prodiguait des conseils à l’establishment russe (en l’espèce François Fillon).

Alors qu’Emmanuel Macron est de plus en plus hollandisé, la désignation du principal adversaire de Marine Le Pen est une affaire trop sérieuse pour être laissée à l’opinion et à la démocratie.

Un suffrage censitaire qui ne dit pas son nom

Beaucoup de Français sont nourris dans le mythe d’autant plus facile qu’il est apparent, d’une élection du Président de la République au suffrage universel direct. Constitutionnellement, bien entendu, c’est vrai. Sauf que les différentes forces qui structurent le jeu démocratique ont inventé de nombreuses astuces pour rétablir un suffrage censitaire qui ne dit pas son nom.

Dans ces coulisses du pouvoir, les castes dominantes, à savoir, pour aller vite, le CAC 40 et la noblesse d’Etat structurée en grands corps (inspection des Finances, Conseil d’Etat, en particulier), font feu de tout bois pour conserver le contrôle de la situation et trouver un candidat qui défendra leurs intérêts, c’est-à-dire fera barrage à un Rassemblement National par nature étranger à leur vision du monde.

Ces classes avaient sorti Emmanuel Macron du chapeau en 2016. Mais l’expérience tourne mal : non seulement, la capacité de leur créature à diriger le pays pose de sérieuses questions, mais la créature elle-même leur a largement échappé. On pense en particulier à Jean-Pierre Jouyet ou à Jacques Attali qui n’ont pas caché leur dépit de ne plus être pris au téléphone par le Président quand ils le souhaitaient.

La hollandisation de Macron devient un problème

Laissons là encore la parole au Point, qui s’adresse en priorité à cette caste managériale dont le CAC 40 a besoin pour « tenir » le pays. Alors que l’hebdomadaire a commandé un sondage sur les chances qu’Édouard Philippe avait de gagner, il relaie un autre sondage, au moins aussi important : 2 Français sur 3 ont une mauvaise opinion de la gestion du COVID par Emmanuel Macron.

Voilà le problème de fond qui effraie les castes dominantes : Emmanuel Macron pourrait perdre face à Marine Le Pen. C’est très gênant, cette hollandisation du président sortant qui risque de livrer la France à une aventure d’autant plus risquée qu’elle n’est pas sous contrôle.

Marine Le Pen, honnie par les castes au pouvoir

Malgré sa dédiabolisation, Marine Le Pen continue à faire peur aux castes dominantes, et surtout elle continue à les répugner. Elle fait peuple. Elle porte encore sur elle l’odeur de soufre qui précédait son père. Intellectuellement, elle n’impressionne pas. Et surtout, elle ne fait aucun effort.

Pour comprendre la distance entre les castes et Marine Le Pen, il faut lire entre les lignes de ce portrait du président du MEDEF, Geoffroy Roux de Bézieux, dressé par Paris Match :

« Elle n’a jamais cherché à me rencontrer », confie le patron des patrons, qui ne s’en plaint pas. Il refuserait, dit-il, tout déjeuner amical avec elle : « Son isolationnisme économique est un problème pour nous, les entrepreneurs. »

Voilà les deux clés à comprendre. D’abord, Marine Le Pen ne fait pas la cour aux « milieux économiques » (comprenez le CAC 40), et c’est un défaut majeur. Ensuite, elle n’est pas « européenne ». Voilà deux bonnes raisons de l’écarter coûte-que-coûte du pouvoir.

Xavier Bertrand, une bonne roue de secours ?

C’est dans ce contexte angoissant que Xavier Bertrand a pointé le nez de sa candidature, longtemps préparée depuis les Hauts-de-France. Rompu depuis des années aux arcanes du système, Xavier Bertrand a mis les formes nécessaires pour être adoubé par les puissants.

Commençons par la fin. Ces dernières semaines, Xavier Bertrand, si l’on en croit la presse bien informée (en l’espèce le Journal du Dimanche, propriété de Lagardère), s’est allié au banquier Philippe Villin pour draguer le CAC 40.

Énarque, inspecteur des finances et ancien homme de presse – il a été vice-PDG du Figaro et président de France Soir avant d’être débarqué par Robert Hersant en 1994 –, Philippe Villin conseille désormais les patrons du CAC 40.

Bertrand ne pouvait rêver meilleur entremetteur pour s’attirer les bonnes grâces des castes dominantes dont il n’est pas issu. Pour tous les Français qui s’imaginent que la course à la présidentielle est un 100 mètres couru loyalement par des candidats qui partent tous avec les mêmes chances, il n’est pas inutile de comprendre ici qu’on ne peut réellement concourir si de puissants intérêts financiers ne vous soutiennent pas.

Il faut au moins 20 millions € pour réussir une campagne électorale. Et cette somme se trouve d’autant moins sous le sabot d’un cheval que l’hypothèse d’un candidat suffisamment riche pour se payer sa propre campagne n’est pas en odeur de sainteté en France.

La candidature Bertrand, une usurpation ?

Ces efforts « d’intégration », qui confinent à la docilité, de Xavier Bertrand pour obtenir le soutien des puissants ne le dispensent pas d’en subir les mauvaises manières. Voilà ce « gaulliste social » venu d’un quartier populeux de Troyes, rompu à cette France du Nord en souffrance depuis si longtemps après une industrialisation massive qui reste une blessure vive et profonde, humilié par l’establishment. Le seul fait qu’une semaine à peine après le lancement de sa candidature l’hebdomadaire de Pinault la zappe déjà pour présenter celle d’Edouard Philippe en dit long sur le mépris que le CAC 40 peut avoir pour le petit gars du Nord.

Ah ! Edouard Philippe, voilà un vrai candidat ! un homme du système, qui a fait Sciences-Po, puis l’ENA, puis le Conseil d’Etat. Voilà un pedigree dans la lignée de Chirac, de Hollande, de Macron, et en partie (mais en partie seulement, on le sait) de Sarkozy. Dans un Philippe, on peut se reconnaître quand on est un grand manager d’entreprise ou d’administration, quand on est l’un de ceux qui comptent dans le CAC 40.

Mais dans Xavier Bertrand… C’est évidemment beaucoup moins facile.

Le mauvais calcul de Bertrand face à la crise des castes

Bertrand avait pourtant une carte à jouer dans ce paysage compliqué qu’offrent la France et sa crise des élites.

Car à quoi assistons-nous, au fond, si ce n’est à la tentative désespérée des élites consanguines, des castes conniventes qui tiennent le capitalisme français et le conduisent à sa perte à force de médiocrité, de sectarisme et de courtes vues, à leur tentative désespérée, dis-je, de conserver leurs privilèges en mettant à l’Elysée un candidat qui leur irait bien, mais qui aurait les apparences d’un homme du peuple. Macron a joué ce rôle à une époque, Sarkozy aussi. Bertrand en rêvait.

Ce que n’a pas compris Xavier Bertrand, c’est que les règles du jeu changent et se durcissent à chaque élection. La présidence normale de François Hollande a laissé des traces. La présidence baroque d’Emmanuel Macron encore plus. La synthèse entre la défense des puissants et le soutien populaire est de plus en plus difficile à réaliser.

Sur le fond, le conservatisme des castes, leur sectarisme, leur goût pour le mimétisme le plus crétin et pour le bannissement à tout-va de tous ceux qui ne répètent pas inlassablement les idioties entendues au dernier dîner du Siècle, leur médiocrité, pour faire simple, rendent impossible la préservation durable de leur domination.

Il y avait là une carte à jouer pour Xavier Bertrand dans la relation avec les castes élitaires. Au lieu de chercher à être leur caricature, au lieu d’épouser leur mépris, leur haine de la divergence, du débat, de l’originalité, au lieu d’être leur pâle copie au fond, Xavier Bertrand était légitime à les mettre en garde contre leur manque de vision et à leur imposer autre chose : une ambition, un renouvellement, un souffle, une ouverture sur d’autres réalités que l’étiquette boursouflée des beaux quartiers parisiens.

Bien entendu, cet exercice-là demandait un certain courage, que Bertrand n’a pas eu. Il aurait dû être l’homme qui réinventait le système. Il s’est présenté comme l’homme qui voulait le préserver et le garantir. Il a livré une déclaration de candidature qui s’est contentée d’empiler tous les poncifs du genre avec une imagination et une pulsion de vie proches de zéro. Dommage qu’il n’ait pas compris qu’à ce jeu-là, les castes produisent des candidatures endogamiques bien meilleures que la sienne, avec un verbe plus haut et une palette de couleurs qu’il n’égalera jamais.

Aux yeux du CAC 40, du Conseil d’Etat, de l’inspection des Finances, Bertrand est un petit chose. Et, au lieu de tirer parti de ce statut de paria qu’il occupera toujours dans les beaux quartiers, Bertrand l’a vécu comme une faiblesse qu’il fallait gommer. Il a patiemment gommé toutes ses aspérités, toutes ses grossièretés, pour se faire admettre dans les salons. Voilà une grande faute : on ne gagne jamais rien à trahir ses origines, ni à devenir le domestique d’un monde auquel on n’appartient pas.

La vraie crise de la caste managériale en France

Si Edouard Philippe a le bon goût de « cartonner » dans les sondages, nous parions donc sur le rapide oubli de la candidature Bertrand et son remplacement par le chouchou de ces élégantes en pamoison. Un candidat qui plaît aux castes dominantes aura été trouvé. Il n’en restera pas moins que la crise restera, profonde, incontrôlable, pendante : sans un renouvellement profond des élites qui ont torpillé ce pays depuis cinquante ans, le pire est à craindre. Non seulement en termes de compétitivité internationale, mais en termes même de cohésion sociale.

Les Français sont suffisamment orgueilleux pour aimer des élites dignes de les conduire. Et le spectacle offert par les Duhamel, les Cohn-Bendit, les Lang et quelques autres, ne correspond pas exactement à l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes.


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