Ah, quel drame hier soir à l’Assemblée ! Les députés ont osé dire non à l’obligation du Nutri-Score sur tous les emballages. On a frôlé la révolution quinoa-bio. Heureusement, les lobbies du camembert et de la saucisse de Morteau ont tenu bon. La République est sauvée.

Mais pensons à lui. À ce pauvre Gaspard, 38 ans, chargé de mission « transition écologique et inclusion » à la Métropole de Lille, qui a vécu la pire soirée de sa vie depuis que son bar à poke a fermé pour cause de trop de graines de chia non sourcées.
7 h 12 – Petit-déjeuner de champion
Gaspard ouvre son frigo en inox brossé et sort fièrement ses « céréales croustillantes allégées en sucres » Nutri-Score A (vert pétant).
Composition : 47 ingrédients dont 12 édulcorants, 3 émulsifiants, du sirop de glucose-fructose « pour la texture » et un soupçon d’arôme naturel de vanille (extrait de castor chimiquement modifié).
Il verse dessus du « lait » d’avoine enrichi en calcium de synthèse (Nutri-Score A, évidemment). Résultat : 0 lipides visibles, 100 % de fierté.
Poids ce matin : +700 g par rapport à l’an dernier. Mais c’est de l’eau, il a lu ça sur Konbini.

10 h 27 – Pause « healthy » au bureau
Gaspard grignote des « biscuits apéritif soufflés aux légumes » (carotte 1 %, betterave 0,8 %, le reste étant amidon de maïs et huile de palme durable). Nutri-Score A.
Il se sent léger, presque aérien. Surtout quand il rote discrètement l’arôme oignon-fromage.
13 h 04 – Déjeuner « responsable »
Bol Buddha : quinoa blanc (importé du Pérou en avion), lentilles corail en boîte, dés de tofu aromatisé barbecue (Nutri-Score A), sauce soja sucrée allégée (Nutri-Score A) et… une cuillerée d’huile de colza « oméga-3 » (Nutri-Score A, parce que c’est végétal, voyons).
L’huile d’olive ? Hors de question. Nutri-Score B. C’est presque du poison, Gaspard l’a vu sur TikTok.

16 h 11 – Goûter « anti-coup de barre »
Barre protéinée vegan goût brownie : 22 g de protéines de pois isolées, maltitol, polydextrose, arôme chocolat identique naturel. Nutri-Score A.
Il a des ballonnements, mais c’est normal, c’est son microbiote qui « se rééquilibre ».
20 h 47 – Dîner « comfort food mais sain »
Pizza végétale ultra-transformée aux légumes grillés (Nutri-Score A, grâce à l’astuce géniale consistant à mettre 2 mm de sauce tomate et 48 % de fromage végétal à base d’huile de coco hydrogénée).
En dessert : yaourt 0 % aromatisé vanille édulcoré aux glycosides de stéviol. Nutri-Score A.
Gaspard se sent vertueux. Et un peu gonflé, mais c’est le prix de la planète.
22 h 36 – Crise existentielle devant le frigo
Il contemple, désespéré, la bouteille d’huile d’olive extra-vierge de son beau-père corse. Nutri-Score B.
« Papa, t’es sûr que c’est bio ? Ça va me tuer. »
Il referme la porte et se rabat sur une « crème dessert » au lait d’amande sans sucre ajouté (mais avec 7 épaississants). Nutri-Score A.
Minuit – Diagnostic du médecin (via Doctolib, bien sûr)
« Monsieur, vous avez pris 11 kg en deux ans, un syndrome métabolique débutant, une stéatose hépatique et un taux de triglycérides dans les chaussettes. Vous mangez quoi exactement ? »
Gaspard sort fièrement la photo de son bol du jour : « Que du A, docteur ! Je suis exemplaire ! »
Le médecin soupire : « Le Nutri-Score n’a jamais prétendu remplacer votre cerveau. »
Conclusion de Gaspard, en pleurs sur son canapé en lin bio :
« Si l’État ne m’avait forcé à mettre du Nutri-Score partout, j’aurais été sauvé ! »
Moralité : rien ne vaut un bon nudge quand on a laissé son esprit critique au vestiaire avec son tote-bag « Eat the rich but organic ».
Vive la liberté. Et vive l’huile d’olive, même si elle est « seulement » B.
Votre dévouée,
Veerle Daens
(qui mange des sardines à l’huile d’olive et du chocolat 85 % sans demander l’autorisation à un algorithme)
