Une légende tenace, patiemment cultivée, nourrie, durcie par la très efficace propagande israélienne, fait croire que, en 1948, Israël serait née dans l'hostilité de ses voisins arabes. Nous reprenons ici le contenu des travaux de l'historien israélien Avi Shlaim, qui démontre le contraire ! Le conflit des civilisations est un mythe propagandiste.

Le livre d'Avi Shlaim, Collusion Across the Jordan: King Abdullah, the Zionist Movement, and the Partition of Palestine, constitue une œuvre fondamentale dans l'historiographie du conflit israélo-arabe. Publié pour la première fois en 1988, cet ouvrage s'inscrit au cœur du mouvement des « Nouveaux Historiens » israéliens, un groupe de chercheurs qui, à la faveur de l'ouverture des archives d'État, ont entrepris de réexaminer de manière critique les mythes fondateurs de l'État d'Israël. La thèse centrale de Shlaim remet radicalement en cause le récit traditionnel de la guerre de 1948, souvent dépeinte comme une lutte héroïque d'un « David » juif contre un « Goliath » arabe monolithique et déterminé à l'anéantir.
Shlaim révèle l'existence d'un accord tacite, mais explicite, conclu en 1947 entre le mouvement sioniste et le roi Abdallah Ier de Transjordanie. Cet accord visait à la partition de la Palestine mandataire, en contournant la création d'un État arabe palestinien indépendant. Selon cette entente, le mouvement sioniste établirait son État sur les territoires qui lui étaient alloués par le plan de partage de l'ONU, tandis que le roi Abdallah annexerait la majeure partie des territoires destinés aux Arabes palestiniens. Cette « collusion », argumente Shlaim, fut le principal facteur politique qui a façonné les événements de 1948, bien plus que les dynamiques militaires sur le terrain.
Les motivations des principaux acteurs étaient dictées par des impératifs stratégiques convergents. Le roi Abdallah, souverain d'un royaume hashemite créé de toutes pièces par les Britanniques, nourrissait l'ambition de bâtir une « Grande Syrie » sous son égide. L'annexion de la Palestine arabe était une étape cruciale de ce projet. Pour les dirigeants sionistes, menés par David Ben-Gourion et guidés par la doctrine du « Mur de fer », un accord avec un dirigeant arabe pragmatique comme Abdallah était préférable à l'émergence d'un État palestinien nationaliste et hostile, probablement dirigé par leur ennemi commun, le mufti de Jérusalem, Hajj Amin al-Husseini. Enfin, la Grande-Bretagne, puissance mandataire sur le déclin, a joué un rôle essentiel en tant que facilitateur silencieux. Cherchant à préserver ses intérêts impériaux dans la région, le gouvernement britannique, sous la direction du ministre des Affaires étrangères Ernest Bevin, a favorisé cette « option transjordanienne », la considérant comme le meilleur moyen de garantir la stabilité et de maintenir son influence par l'intermédiaire de son allié hashemite fiable.

L'ouvrage de Shlaim a suscité un débat académique intense. Des historiens comme Yoav Gelber ont contesté la notion de « collusion », y voyant plutôt un dialogue pragmatique entre deux acteurs aux intérêts mutuels. D'autres, comme Efraim Karsh, ont accusé Shlaim de distorsion idéologique et de manipulation des sources. Néanmoins, l'influence de Collusion Across the Jordan demeure indéniable. En s'appuyant sur des archives diplomatiques et militaires jusqu'alors inaccessibles, Shlaim a non seulement brisé le mythe d'un front arabe unifié, mais a également fourni un cadre historique essentiel pour comprendre la nature complexe et souvent clandestine des relations israélo-jordaniennes, dont le traité de paix de 1994 est l'aboutissement logique. Le livre révèle ainsi que la carte du Moyen-Orient moderne a été dessinée non seulement par la guerre, mais aussi par une diplomatie secrète où les ambitions dynastiques, le réalisme politique et les calculs impériaux ont convergé, scellant le sort de la nation palestinienne.
Déconstruction de la « collusion » : la thèse centrale d'Avi Shlaim
L'ouvrage d'Avi Shlaim, Collusion Across the Jordan, représente une réévaluation radicale des événements qui ont conduit à la guerre de 1948 et à la création de l'État d'Israël. Sa contribution majeure réside dans sa thèse centrale, qui déplace le centre de gravité de l'analyse d'un conflit purement militaire vers une entente politique secrète qui en aurait prédéterminé l'issue.
L'accord tacite : la partition de la Palestine entre deux puissances
Le cœur de l'argumentation de Shlaim est qu'un accord explicite, bien que secret, a été conclu en novembre 1947 entre le mouvement sioniste et le roi Abdallah de Transjordanie. Cet accord portait sur le démembrement de la Palestine à la fin du mandat britannique. L'objectif commun était d'empêcher la naissance d'un État arabe palestinien indépendant, tel qu'envisagé par la résolution 181 des Nations Unies. Selon les termes de cette entente, les dirigeants sionistes procéderaient à la création de leur État sur les territoires qui leur étaient assignés, tandis que le roi Abdallah, en contrepartie, annexerait la Cisjordanie, c'est-à-dire la partie centrale de la Palestine arabe.