Après la chute d’Andry Rajoelina, le colonel Michael Randrianirina promet une refondation de Madagascar. Sous des airs de « révolution populaire », cette prise de pouvoir soulève toutefois une question centrale : la Grande Île a-t-elle échappé à la dérive autoritaire ou vient-elle d’y plonger à nouveau ? Par ailleurs, derrière les appels au dialogue, la réserve de la communauté internationale s'explique par les enjeux stratégiques.

Réforme ou militarisation du pouvoir ?Madagascar entre dans une nouvelle ère politique. Après trois semaines de manifestations massives menées par une jeunesse en colère, le président Andry Rajoelina a fui le pays. Son successeur autoproclamé, le colonel Michael Randrianirina, a été investi président le 17 octobre 2025, lors d’une cérémonie solennelle à Antananarivo.
Un discours de rupture des méthodes autoritaires
Lors de son investiture, le colonel a promis une « refonte profonde des systèmes administratifs et politiques ».
Malgré un ton apaisant et inclusif – « travailler avec toutes les forces vives » –, la réalité est que le pouvoir est désormais entre les mains d’un comité militaire.
Pour l'heure, les civils, eux, ont été invités à la table, mais pas à la direction.
Le colonel Randrianirina se présente comme le réformateur d’un État gangrené par la corruption. Mais l’histoire de Madagascar enseigne que les coups d’État justifiés au nom du “renouveau national” débouchent rarement sur la liberté politique ou la prospérité. Sans institutions solides et sans pluralisme réel, la refondation promise risque de n’être qu’un mot d’ordre servant à prolonger la domination militaire.
Les jeunes de Gen Z, qui ont fait tomber Rajoelina, pourraient rapidement comprendre que leur révolution a changé de visage, mais non de nature.
La Haute Cour constitutionnelle : légitimation ou reconversion opportuniste?
Le rôle de la Haute Cour constitutionnelle est un point nodal de la crise à Madagascar. En présidant la cérémonie d'investiture et en entérinant le serment du colonel, l'institution confère une apparence de légalité à un processus de facto insurrectionnel. Cette validation pose question : s'agit-il d'un acte de sagesse pour canaliser la transition, ou d'une capitulation face à la force des armes ?
La décision rendue par la Haute Cour constitutionnelle (HCC) établit que le colonel Michaël Randrianirina est désormais le seul dépositaire de l’autorité de l’État. En l’absence d’un président de la République, d’un président du Sénat et d’un gouvernement en fonction, il incarne l’unique pouvoir légitime chargé d’assurer la continuité institutionnelle.
Placée sous la supervision de la HCC, sa mission consiste à prendre “toutes les mesures rendues strictement nécessaires par les circonstances”, selon la formulation officielle. Ainsi, cette décision confère un cadre légal à la période de transition, mettant fin à plusieurs jours de vide constitutionnel et d’incertitude politique.
Les partisans de Rajoelina dénoncent des « illégalités procédurales ». Dans son allocution, le président de la Haute Cour constitutionnelle (HCC), Florent Rakotoarisoa, a appelé Andry Rajoelina à faire preuve de patriotisme et de responsabilité, le qualifiant explicitement d’ancien président lors de son discours suivant la prestation de serment du président de la Refondation de la République.
« Nous vous demandons de cesser de discréditer la Haute Cour constitutionnelle à l’étranger et auprès des organisations internationales »
a-t-il déclaré, invitant l’ex-chef de l’État à démontrer qu’il possède encore « le sens de la démocratie et de l’écoute ».
La Haute Cour constitutionnelle (HCC) se présente aujourd’hui comme le garant de la continuité de l’État, pourtant beaucoup rappellent qu’elle a joué un rôle non négligeable dans le déclenchement même de cette crise.
Les élections polémiques (présidentielles, législatives, communales), durant le régime Rajoelina validées par cette même HCC avaient déjà suscité nombreuses accusations de fraudes et d’irrégularités massives.
Autre épisode marquant : la validation par la HCC de la candidature d’Andry Rajoelina, alors même que des doutes sérieux pesaient sur sa double nationalité franco-malgache — une situation normalement incompatible avec la fonction suprême selon la Constitution.
Aujourd’hui, la HCC tente de se poser en arbitre neutre et en pierre angulaire de la transition, mais cette posture est perçue par beaucoup comme une reconversion opportuniste.
Les réactions internationales : une question de principe... et de ressources
A part l’Union africaine et la SADC, qui ont condamné le "coup d'état" et qui ont annoncé des missions d’enquête, rappelant le précédent de 2009 où Madagascar avait déjà basculé dans une longue transition.

Les autres chancelleries étrangères étaient présentes à cette cérémonie. Si l’Union européenne appelle au dialogue et au respect des valeurs démocratiques ; la France, par la voix de Jean-Noël Barrot, plaide pour l’association des civils au processus de transition. La communauté internationale reconnaît le changement de pouvoir de facto, mais non de jure.
Pour autant, les appels à la démocratie et au dialogue de l'UE, de la France ou des États-Unis masquent une préoccupation stratégique plus tangible : la préservation de leurs intérêts dans un pays au sous-sol exceptionnel.

Madagascar n'est pas une île comme les autres ; elle est un coffre-fort de ressources naturelles essentielles. Elle détient d'immenses gisements de nickel, de cobalt et d'ilménite, minerais critiques pour la transition énergétique mondiale (batteries de véhicules électriques, électronique). Plus stratégique encore, le pays recèlerait certaines des plus importantes réserves mondiales de terres rares, ces métaux devenus un enjeu de souveraineté et de puissance dans la rivalité entre Chine, États-Unis et Europe.
Cette manne potentielle explique la prudence calculée des chancelleries. Une condamnation ferme du putsch risquerait de brûler les ponts avec le nouveau pouvoir et d'offrir une opportunité à des compétiteurs comme la Russie ou la Chine, dont les délégations étaient également présentes à l'investiture, pour étendre leur influence.
La communauté internationale se trouve ainsi face à un dilemme : défendre des principes démocratiques ou sécuriser l'accès à des ressources indispensables à son économie future.
Le colonel Randrianirina se trouve à la croisée des chemins. La gestion des ressources naturelles sera le test ultime de sa crédibilité. S'il cède à la tentation de la rente facile et du clientélisme géopolitique, il reproduira le schéma qu'il prétend combattre et s'ensablera dans une instabilité chronique.
S'il parvient à imposer une gouvernance transparente, à organiser des appels d'offres intègres et à canaliser les revenus vers des réformes structurelles, il pourrait, peut-être, jeter les bases d'un nouveau modèle de développement. La pression de la rue, la convoitise des puissances étrangères et les divisions internes à l'armée font de ce dossier un champ de mines politique.

Commentaires ()