Macron, le Président des riches? non, le Président de la rente

Macron, le Président des riches? non, le Président de la rente


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Macron, président des riches? Cette légende tenace, forgée par l’extrême gauche, a beaucoup envahi les esprits. Mais à y regarder de plus près, on la nuancera fortement, car la politique mise en place depuis deux ans, au-delà des querelles partisanes, vise beaucoup plus à protéger les rentes de situation qu’à favoriser l’enrichissement d’une fumeuse et introuvable start-up nation. Disons-le: Macron n’a pas levé le petit doigt pour faire émerger une nouvelle élite de la richesse, en revanche, il se satisfait très bien d’une protection d’un ordre social figé.

Officiellement, bien sûr, Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir pour provoquer un big bang. On l’a vu dans le domaine des retraites: le nouveau monde devait parachever la prétendue oeuvre du Conseil National de la Résistance en dissolvant les régimes qui avaient survécu aux années 40, rebaptisés régimes spéciaux, dans un grand système solidaire universel, avec une seule règle de calcul des droits. Enfin, on allait réformer.

Et patatras! chassez le naturel…

Retraite et protection de la rente publique et syndicale

Un an après le début de la concertation sur le sujet, menée par le très prévisible Jean-Paul Delevoye, Emmanuel Macron annonce une nouvelle concertation, cette fois-ci bien au-delà des organisations syndicales. Il faut dire qu’une rapide dissection de ce qui s’est passé avec le futur ministre des Retraites n’est guère réjouissant et ne porte pas le Président à l’optimisme. Delevoye a concerté les corps intermédiaires comme on dit, c’est-à-dire les syndicats déclarés représentatifs en 1966 par un arrêté ministériel, et dont tout le monde a discrètement défendu le bout de gras depuis lors, pour être sûr que la vie syndicale continue à jouer imperturbablement son rôle d’éteignoir social.

Résultat: par défaut de représentativité de ces corps intermédiaires que le bureaucrate Laurent Berger, de la CFDT, voudrait transformer en alpha et oméga du débat social, le Président est aujourd’hui obligé de consulter les « vrais Français » (c’est-à-dire monsieur et madame tout le monde qui exècrent ces syndicats devenus machines à pouvoir déconnectées de leur existence quotidienne). Ajoutons que cette nouvelle prise de température succède à une année de loupé concertatif, puisque FO avait quitté la table de Delevoye pour protester contre la réforme.

Donc, il faut reprendre le dossier à zéro.

Sentant l’affaire mal partie, Macron commence un très joli mouvement arrière avec son torpedo. D’abord, on dit un jour que rien ne se fera avant les municipales, ensuite, on dit que non, puis on dit qu’on jouera surtout sur la durée de cotisation, et non sur l’âge de départ comme Delevoye le dit depuis des mois. Bref, on embrouille, on disperse, on ventile. On enfume, pour finalement, surseoir, comme on le savait depuis longtemps. Car peu d’observateurs ont une seule fois pensé que cette réforme irait d’elle-même et même qu’elle aurait lieu, compte tenu de la méthode en crabe utilisée par Macron pour expliquer aux petites gens à quelle sauce il veut les manger.

Les retraites, et l’échec de Macron à créer une dynamique collective

Car, contrairement aux élucubrations de la technostructure et des organisations syndicales que nous évoquions récemment, la France n’est pas un pays d’égalité. Ce projet d’un grand régime unique de retraite, le même pour tout le monde, est à la mode dans les salons parisiens, où un rationalisme obsolète enseigné dans les bons lycées il y a trente ans fait croire que l’égalité, c’est la même chose pour tout le monde et que les Français la veulent. Ce qui s’appelle prendre ses rêves pour la réalité.

Derrière les projections psychiques des élites, la réalité sociale et mentale française est différente. Les Français aiment le libre choix, la concurrence et les inégalités. Ce système, au fond très girondin, d’un régime « général » pour plusieurs millions de salariés du privé, concurrencé par une quarantaine de régimes plus favorables pour quelques millions d’autres, concurrencé aussi par des régimes spécifiques pour les 5 millions de fonctionnaires, cette espèce de foutoir social, convient très bien aux Français. Et tant pis pour le smicard de Peugeot ou Renault s’il est le dindon de cette farce.

Les Français aiment les différences de traitement et résistent encore et toujours à la réduction égalitaire que les élites veulent leur faire subir. Macron en prend progressivement la mesure. Les bienfaits de la sécurité sociale sont présentés à Sciences-Po et à l’ENA comme le résultat d’une aspiration collective. Notre Président, pur produit de ces écoles déconnectées de la réalité, commence à comprendre qu’on lui a bourré le mou, qu’un gouvernement profond relayé par des médias complaisants, se ment et ment aux autres sur ce que la France veut et ne veut pas.

En réalité, depuis toujours, la France ne veut pas d’une sécurité sociale unitaire. Elle se satisfait très bien des petites rentes de situation dont bénéficient les fonctionnaires, les cheminots, les gaziers, les lignards d’EDF et les danseurs de l’opéra de Paris. Faute de l’avoir compris plus tôt, Emmanuel Macron a, dès les premiers jours de la concertation sur les retraites, cornérisé sa réforme en imaginant que les Français adhéreraient à son sens « égalitaire », alors que, malgré les injonctions médiatiques qu’ils subissent quotidiennement, les Français n’aiment pas l’égalité et résistent de tout leur soûl à la potion de cheval que leurs idéologues au pouvoir veulent leur faire avaler.

Conséquence: faute de comprendre son pays, Macron quittera le pouvoir sans avoir remis en cause les régimes spéciaux et il apparaîtra alors clairement comme l’homme de la rente (même petite!).

Macron n’a pas débloqué l’ordre social qui sclérose la France

Personne ne soutient ici que le renouvellement des élites, en profondeur, dont ce pays a besoin pour relever la tête et reprendre une place crédible dans la compétition internationale, est chose facile. Mais force est de constater que, sur tous les chapitres qui pourraient concourir à ce renouvellement, Macron a déclaré forfait.

Prenons l’exemple de la réforme de l’État. Tout le monde sait que la société française est bloquée par un État dépassé, tatillon et profondément hostile à l’innovation. Sur ce point, l’héritage macronien est absolument vide. Le Président n’a pratiqué aucune purge dans ce qu’il appelle lui-même l’État profond, qui bloque toute modernisation collective et passe allègrement par-dessus l’épaule des choix démocratiques pour imposer sa vision à lui. On sait tous que la seule mesure efficace pour réformer le pays consiste à licencier immédiatement une forte proportion de directeurs d’administration centrale rétifs à tout changement systémique, et à expliquer aux autres qu’eux aussi rejoindront les files d’attente de Pôle Emploi s’ils continuent à préférer leurs choix personnels à ceux du peuple français.

Qu’a fait Macron sur ce point? Rien. Sa réforme du statut de la fonction publique évite savamment de secouer le cocotier de la haute administration. Il a annoncé le remplacement de l’ENA par une nouvelle école. Mais concernant le stock d’incompétents qui tient les rennes du pouvoir réel, il n’a pas levé le petit doigt.

On dira la même chose de l’éducation. On sait aujourd’hui que l’immobilisme social qui épuise le pays est produit par l’école. A-t-on vu que la « liberté pédagogique » en vigueur dans nos écoles, qui est en réalité un droit reconnu à chaque enseignant de perpétuer une culture cléricale (au sens où la culture « populaire » de l’Internet est vomie et l’esprit critique sévèrement combattu) qui ne profite qu’aux bourgeois des beaux quartiers, était reprise en main au profit d’une vraie préparation au monde contemporain? Non, bien sûr. La culture dominante, celle des élites, continue à sévir et à dégager chaque année une élève sur sept sans aucun diplôme.

Bref, la France de Macron fera avec, et ne touchera rien aux fondamentaux d’un ordre social à bout de souffle. On attendait une évolution profonde. On a un brassage d’air qui cache un profond conservatisme.


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