Une partie grandissante des Français est obsédée par la question de son identité. Celle-ci serait menacée par le Grand Remplacement, notamment. Mais cette identité existe-t-elle vraiment ? Nouvel épisode du débat conservateur contre libertarien, avec Sophie de la Motte.
L'identité française se présente moins comme une essence immuable que comme un débat permanent. Elle se caractérise par une tension constante entre, d'une part, un modèle politique universaliste hérité de la Révolution française, et d'autre part, des réalités historiques, culturelles et sociologiques plurielles et souvent contradictoires. La difficulté à cerner une définition stable de l'identité française n'est donc pas un symptôme de faiblesse, mais constitue la nature même de ce projet national, un projet en perpétuelle redéfinition.

Cette synthèse explore cette complexité en trois temps : d'abord le socle conceptuel et juridique qui a formellement défini la nation française, à travers les pensées d'Ernest Renan et de Patrick Weil ; ensuite les strates profondes – géographiques, historiques et migratoires – qui constituent la substance de cette identité, en s'appuyant sur les travaux de Fernand Braudel et Gérard Noiriel. Enfin, elle se penchera sur la crise contemporaine, marquée par la fragmentation de ce socle commun, à la lumière des analyses de Pierre Nora, Jérôme Fourquet et Alain Finkielkraut.
La Nation comme projet politique et juridique
La conception républicaine de la nation repose sur deux piliers fondamentaux : la volonté politique, incarnée par l'idée d'un contrat social, et le cadre juridique qui définit les contours de la nationalité. Ces deux piliers, bien que souvent idéalisés, révèlent dès leur origine les tensions et les compromis pragmatiques qui caractérisent le modèle français.
Ernest Renan et le "plébiscite de tous les jours" : la Nation comme contrat
La célèbre conférence d'Ernest Renan, "Qu'est-ce qu'une nation?", prononcée en 1882 à la Sorbonne, n'est pas une simple dissertation philosophique. Elle constitue une réponse politique directe à l'annexion de l'Alsace-Moselle par l'Empire allemand en 1871, une annexion justifiée par Berlin sur la base de critères ethniques et linguistiques. La pensée de Renan est donc une arme intellectuelle, conçue pour défendre une vision française de la nation, fondée sur la volonté, contre une vision allemande, fondée sur des déterminismes.

Au cœur de sa thèse se trouve une définition "élective" de la nation. Pour Renan, une nation est "une âme, un principe spirituel", qui repose sur deux composantes indissociables : "L'une est dans le passé, l'autre dans le présent." Le passé est "la possession en commun d'un riche legs de souvenirs" ; le présent est "le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis". C'est cette volonté active et constamment renouvelée qu'il immortalise par la formule du "plébiscite de tous les jours".