La visite du pape François en Corse est un message à tous les Français – par Lucien Persignac

Après Strasbourg en 2014 et Marseille en 2023, le Pape François visite pour la troisième fois la France. Il atterrit ce matin, dimanche 15 décembre 2024, … en Corse ! Ce voyage hautement symbolique, organisé à l’initiative du cardinal-évêque d’Ajaccio François Bustillo, oblige le maître des horloges déréglées de l’Elysée à courir après le Saint-Père pour pouvoir s’exhiber à ses côtés. Au-delà de ce spectacle pathétique et désopilant à la fois, nous devrions prendre au sérieux ce que signifie, pour tous les Français, la visite du Pape François en Corse.
Ce déplacement-éclair du Pape François est étroitement minuté : il a participé ce matin, au Palais des Congrès d’Ajaccio, à la session conclusive d’un colloque sur « La Religiosité populaire en Méditerranée », au cours de laquelle il a prononcé un discours. Il s’est rendu ensuite à la Cathédrale Santa Maria Assunta pour célébrer l’Angélus avec le clergé et les religieux de Corse, avant de présider cette après-midi une grande messe populaire sur l’Esplanade du Casone. Une rencontre est prévue avec le Président de la République, accouru sur place.
Le pape tourne le dos à la caste
Emmanuel Macron comptait sur lui pour la réouverture de Notre-Dame, la semaine dernière, espérant pouvoir accrocher son portrait parmi la galerie des puissants venus célébrer avec lui, non la cathédrale elle-même et son existence pluriséculaire, mais son œuvre de reconstructeur, non le message millénaire de l’Eglise, mais sa gloire fugitive. Il avait seulement oublié qu’un président ne dicte pas son agenda au Pape, dont on ne peut que comprendre le dédain qu’il afficha en cette occasion pour toute une caste, politique, financière, artistique, plus préoccupée par ses petits intérêts matériels et égoïstes que par le salut et de la prospérité des peuples. Qu’avait-il à faire par ailleurs, le Pape François, aux côtés d’un président, de ministres, de sénateurs et de députés de tous horizons qui semblent bien unanimes, à quelques exceptions près, dans leur désir de légaliser au plus vite cette « aide à mourir », qui n’est que le cache-misère sémantique du suicide assisté et de l’euthanasie ? Faut-il rappeler qu’un prédécesseur du Pape François, Saint Jean-Paul II, a déjà tout dit sur la question dans son encyclique Evangelium vitae de 1995, considérant l’euthanasie comme l’un des symptômes d’une « culture de mort » envahissant nos sociétés ? Un vieux pape, fatigué et digne, dans son habit blanc, n’avait rien à faire dans une telle assemblée, toute rutilante et bijoutée soit-elle.
La Corse avec le Pape
Le pape François vient en revanche parler aux Corses à un moment où la France n’a plus grand-chose à leur dire. Elle n’offre plus à l’île de Beauté et à ses habitants que le spectacle de ses divisions, de ses fractures, politiques, sociales et économiques, de ses quartiers en feu, de son insécurité galopante, de son marasme moral et de ses errances sociétales et culturelles. L’effondrement de l’Etat et de l’école ne permet plus non plus, depuis longtemps, aux élites et aux capacités corses de faire carrière au service de la France, ce qui avait été, depuis le XIXe siècle, l’un des moyens les plus sûrs d’arrimer à la nation cette île, qui fut toujours peuplée d’irréductibles rebelles. La France ne fait plus rêver les Corses ; pire, elle commence à leur faire horreur : au moment même où, à la fin du mois de novembre, le Pape François confirmait sa venue à Ajaccio, suscitant une vague d’enthousiasme et de ferveur dans l’île, la cour administrative d’appel de Marseille interdisait, au nom de la Constitution, l’usage de la langue corse dans les débats à l’Assemblée de Corse, provoquant, dans l’île, une vague d’émotion et de colère. Quel contraste !
Le Pape avec les Corses
Certes, la Corse connaît, comme tous les territoires, son lot de difficultés. Elle affronte de multiples défis, qu’il s’agisse de l’immigration, de la paupérisation d’une partie de ses populations ou de l’emprise croissante du crime organisé… L’Eglise elle-même y est confrontée, comme ailleurs en Europe, à la déchristianisation et à la crise des vocations. Pourtant, la visite du Pape François distingue aujourd’hui un peuple qui a su préserver son identité à travers les tribulations de la période contemporaine. Rattaché tardivement à la France, à partir de 1768, le peuple corse est de culture italienne. Même si la foi catholique est loin d’être uniformément partagée dans l’île, il reste fier de son identité chrétienne, quand on s’efforce de l’oublier sur le continent, et attaché à des pratiques de piété populaire, dont témoigne la vitalité des confréries et des pèlerinages locaux. Aujourd’hui, le peuple corse est aussi un peuple qui revendique sa culture et sa langue, grâce à une véritable entreprise de reconquête culturelle accomplie dans l’île, depuis les années 1970, pour faire de cet héritage un trésor partagé. Le peuple corse a su enfin faire le ménage dans sa classe politique, balayant les vieux partis clientélistes qui ne répondaient plus aux attentes des populations, pour favoriser l’avènement d’une nouvelle génération d’élus qui cherchent et pensent désormais l’avenir de leur île : lors du 1er tour des élections territoriales de 2021, les partis indépendantistes ont dépassé pour la première fois 15% des voix et les autonomistes ont atteint 42,41%, se plaçant désormais au centre du système politique corse.
En venant en Corse aujourd’hui, le Pape François vient s’adresser à un peuple qui est peut-être traversé de contradictions et d’incertitudes, mais qui est un peuple vivant. Nous devrions regarder ce qui se fait du côté de cette île avec un peu moins de condescendance et un peu plus d’intérêt, voire nous en inspirer, et peut-être alors qu’un jour, le Pape reviendra véritablement en France.
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