La violence des cols blancs, la fin de l’état de droit et les territoires perdus de la République

Vendredi 19 novembre, un animateur de radio qui est la coqueluche de d'une partie de nos élites, a séquestré pendant une heure un jeune journaliste de "Livre Noir". Dimanche 21 novembre, le président d'un parti centriste parle de "mettre une balle dans la tête" d'Eric Zemmour. Quel est le rapport entre ces deux faits qui témoignent du recul des Principes du Droit dans la société française?

Les faits peuvent être rappelés rapidement tant ils ont été rendus publics durant la fin de semaine. Vendredi soir, Jordan Florentin, jeune reporter à Livre Noir fait un micro-trottoir devant le théâtre de Dix heures, dans le XVIIIè arrondissement. Puis il assiste au spectacle de Yassine Belattar. Lorsqu’il veut sortir du théâtre, il est séquestré pendant plus d’une heure par Belattar et plusieurs autres personnes, menacé physiquement et agressé psychologiquement. En particulier, l’animateur radio, qualifié d’humoriste par sa notice Wikipedia, le menace de la transformer en nouvelle Mila, suite au reportage effectué par Jordan Florentin en banlieue pour faire parler des jeunes sur Eric Zemmour et sur le Grand remplacement.
Dimanche 21 novembre au matin, sur France Info, Jean-Christophe Lagarde explique à propos d’Eric Zemmour, que ce dernier « se fou{t] du monde au point de dire ‘je suis un RPR’, Monsieur Zemmour, si Monsieur Pasqua était là, il te filerait une balle dans la tête ». Ces propos diffusés en direct, sont d’abord tweetés puis supprimés par la radio.
Dans les deux cas, on est frappé par le manque de réaction d’un petit monde politico-médiatique prompt à s’enflammer dès qu’Eric Zemmour a une formule cinglante ou qu’un média de droite tient des propos inhabituels. Hier soir, durant le débat des candidats LR, Xavier Bertrand répétait comme un disque rayé que Jean-Christophe Lagarde s’était excusé. Et, ce lundi 22 novembre, les titres des médias subventionnés répètent tous « Si ce que Jordan Florentin raconte est vrai… ».
Pourtant, ce n’est pas la première fois que Jean-Christophe Lagarde est au centre de polémiques: sa gestion de la ville de Drancy a été jugée opaque par des enquêtes qui lui ont été consacrées – même s’il a toujours nié les faits. Quant à Yassine Belattar, son comportement a souvent été jugé violent par employeurs et collaborateurs.
Le débat politique atteint une violence intolérable. Celle des mots annonce celle des actes. Et qu’ un centriste, le comble, prête au défunt #CharlesPasqua ( dont j’ ai été l’ un des collaborateurs ), des intentions de meurtre est insupportable . @franceinfo #Lagarde pic.twitter.com/mYXgooOXUg
— Bernard Carayon (@BernardCarayon) November 21, 2021
Violence des élites, violence des quartiers
En fait, quand l’on analyse ce qui se passe, on est renvoyé à un célèbre livre de David R. Simon intitulé Elite Deviance (la déviance des élites), qui analyse dans le cas américain la manière dont les « cols blancs » développent une violence, une prédation, éventuellement une criminalité spécifique. La question est de savoir dans quelle mesure le fait que les milieux dirigeants s’affranchissent des règles éthiques, juridiques et politiques a une influence sur le reste de la société. Dans la pensée de l’époque médiévale ou renaissante, on parlerait de bon ou mauvais exemple.
Yassine Belattar avait été invité par Emmanuel Macron a siéger dans un Conseil des villes en 2018. Or Belattar était connu depuis longtemps pour ses éruptions de violence. C’est le même Emmanuel Macron qui avait confié à Alexandre Benalla la réorganisation du service d’ordre de l’Elysée.
La violence première n’est-elle pas celle du sommet. Lorsqu »Alexandre Benalla intervient le 1er mai 2018 place de la Contrescarpe, ne se sent-il pas structurellement « couvert » par le le système de pouvoir? Lorsque Yassine Belattar se permet des paroles excessives et des actes violents, ne se sent-il pas conforté par un système général qui encourage jusqu’au sommet de l’Etat la transgression des règles? Ce qui s’est joué au sein des élites, entre Richard Descoings et Nicolas Sarkozy – qui avait dit à Claude Guéant qu’ l’on ne refusait rien au directeur de Sciences Po et voulut même en faire un ministre de l’Education – peut se reproduire plus largement au sein de la société: le rapport de la Cour des Comptes sur la gestion des années Descoings montre très clairement une dérive à partir du moment où Nicolas Sarkozy est au pouvoir.
Le monde que l’on a qualifié longtemps de néolibéral est un monde violent, très violent même. C’est le monde d’un George W. Bush et d’un Tony Blair déclenchant des guerres sur des allégations mensongères; c’est un monde où Jérôme Kerviel se sent autorisé, par l’atmosphère ambiante, à manipuler sans autorisation des milliards d’euros; c’est un monde où les Gilets Jaunes sont matraqués par la police; et où une élite à bout de souffle se permet de confiner des sociétés entières pour prétendument lutter contre une épidémie. Entre la séquestration de Jordan Florentin par Yassine Belattar et le confinement de la société française par Emmanuel Macron, qui imite l’autre?
Le monde sans frontières ....
Le cas de Jean-Christophe Lagarde est intéressant dans la mesure où il est ancien maire de Drancy, la ville où a grandi Eric Zemmour et qu’il est revenu visiter récemment dans le cadre de l’émission Morandini live. Jean-Christophe Lagarde se comporte exactement de la même manière que Belattar. L’ancien maire a beaucoup fait pour la détérioration de sa ville par renoncement à une politique d’assimilation. On a même constaté qu’il avait secrètement autorisé, sans débat, la construction d’une mosquée. Il ne séquestre pas l’ancien habitant de Drancy qu’est Zemmour, il fait dire à Charles Pasqua – faire parler les morts est une transgression absolue – que Zemmour mériterait une balle dans la tête. Lagarde est un « col blanc », adepte d’un monde sans frontières, de libre circulation des hommes, des capitaux et des marchandises. Il est aussi quelqu’un qui couvre la dynamique des « territoires perdus de la République ». Car un monde sans frontières est un monde toujours plus dur, où la violence des élites au sommet finit par gangrener l’ensemble des sociétés et des territoires.
La parenté de comportement entre Jean-Christophe Lagarde et Yassine Belattar nous rappelle qu’il n’y a pas de respect universel des Principes du Droit (c’est ainsi que je traduis le Rule of Law) s’il n’y a pas des souverainetés concrètes pour que ces principes puissent s’incarner et être défendus. La souveraineté, c’est la faculté de dire le droit sur un territoire délimité, identifiable. Nous le savons depuis les Grecs: le nomos, la loi, est de la même étymologie que le verbe « nemo », « répartir ». La loi permet de répartir les territoires entre les individus. Principes du Droit, loi, souveraineté et territoires: l’humanité a le choix entre un monde sans frontières gouverné par la violence d’élites impériales prédatrices dont le pouvoir est garanti par des comportements mafieux au niveau local; ou monde de souverainetés qui coexistent aussi pacifiquement que possible entre elles et qui sont en mesure de garantir chez elles paix civile, tranquillité individuelle et prospérité.
Le monde sans frontières voulu par nos dirigeants et réellement mis en œuvre en une génération est un monde où les micro-violences locales ne sont jamais que le reflet des macro-violences globales. Où la violence d’élites qui se sentent déliées de toute contrainte morale, éthique ou politique est une incitation à tous les individus sans scrupules, jusqu’en bas de l’échelle sociale, qui imitent les puissants.
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