La caste de Mauduit et le paradoxe de Mediapart

La caste de Mauduit et le paradoxe de Mediapart


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Le journaliste de Mediapart Laurent Mauduit vient de publier La Caste aux Éditions de la Découverte. Il y épingle la technostructure qui a pris le pouvoir en France depuis les années 60 et a fait de la République sa chose. Mediapart semble découvrir que l’État est un instrument de domination. Cette prise de conscience ne suffit pas à faire taire l’étatisme constant du journal…

Chez Mediapart, on aime bien réinventer l’eau chaude. On lira ici le résumé du livre (fourni par les Éditions de la Découverte) pour le comprendre:                                                                    L’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron n’est pas seulement la conséquence d’un séisme historique, qui a vu l’implosion du Parti socialiste et du parti Les Républicains. C’est aussi l’aboutissement de l’histoire longue de la haute fonction publique, qui a cessé de défendre l’intérêt général pour se battre en faveur de ses seuls intérêts. Pour comprendre cette sécession des élites publiques et décrypter les débuts du nouveau quinquennat, il faut savoir comment la caste a d’abord réalisé, grâce aux privatisations, un hold-up à son profit sur une bonne partie du CAC 40 ; puis comment, par le jeu des pantouflages ou de rétropantouflages, elle est parvenue à privatiser quelques-uns des postes clés de la République jusqu’à porter l’un des siens au sommet de l’Etat.

En France, l’État (et la société elle-même) serait donc aux mains d’une aristocratie baptisée « haute fonction publique », qui confondrait dangereusement ses intérêts avec les affaires dont elle a la charge, et qui ferait un usage capricieux du pouvoir? Non, sans blague! Quelle révélation! Et dire qu’en lisant Mediapart, on en ressort systématiquement avec la conviction que nous vivons sous la coupe d’un secteur privé ultra-dominant, néo-libéral et générateur de crises systémiques, dont seule une étatisation générale peut nous sauver.

L'État comme instrument de domination

Dans mon livre « Jusqu’ici tout va bien », j’avais consacré un chapitre à l’État comme instrument de domination. C’est en effet la vocation de l’État de porter la loi et la force pour la faire respecter. Un chapitre de livre ne suffit pas, d’ailleurs, pour revenir au sens fondamental de cette réalité: toute société crée un État pour s’organiser, c’est-à-dire pour édicter des règles de fonctionnement et pour garantir leur respect. Par sa nature, l’État fixe donc des limites aux libertés de chacun et repose sur les contraintes qu’il est capable d’imposer pour empêcher la violation des règles communes.

En France, ce rôle de l’État est fondamental, plus fondamental que dans des pays comme la Grande-Bretagne ou l’Italie. Historiquement, la France est en effet un ramassis de territoires non fédérés, occupés par des tribus gauloises peu à peu mélangées à des Francs envahisseurs. Pour transformer ce salmigondis de féodalités en une nation, il a fallu une construction étatique patiente, souvent impitoyable, centralisatrice, entamée bien avant les Jacobins, et même bien avant Louis XIV. Sans son État, la France n’existerait pas, et cette particularité historique explique largement le réflexe français (plus ou moins mis en scène par l’État lui-même) du tout État.

Les mêmes causes ont aussi, dans l’histoire, produit les mêmes effets. Sous l’Ancien Régime, la mainmise de la noblesse sur l’État a provoqué des secousses répétées, jusqu’à la Révolution de 1789. Celle-ci peut être analysée, rétrospectivement, comme une « désaristocratisation » traditionnelle de l’État, et comme un remplacement de la noblesse de sang par une noblesse de robe sécularisée dans les rouages publics. Ce remplacement n’a pas réglé les problèmes: le régime de Vichy a largement fait son beurre des critiques adressées contre la « noblesse d’État » qui avait étouffé la Troisième République.

Régulièrement la caste qui conduit l’État dérape et construit son propre destin au mépris de l’intérêt général. Cette règle est au coeur du dilemme étatique et on peut se demander dans quelle mesure la Vè République ne prépare pas, patiemment, un phénomène de réaction similaire à ce que fut Vichy contre la Troisième République.

La technostructure tue-t-elle la Vè République?

Bien entendu, l’État n’est pas que producteur de contrainte et de violations de liberté. Il suffit d’examiner les sociétés où l’État est faible, voire inexistant, pour désirer peu ou prou d’État. Les chaos divers qui existent en Afrique généralement par absence d’un État capable d’agir de façon impartiale le montrent abondamment: il vaut mieux vivre avec l’État que mourir dans l’anarchie.

Tout le problème est évidemment de savoir comment et où fixer la limite de l’intervention de l’État dans l’organisation de la société. C’est ici qu’il existe un paradoxe français et un dilemme structurel.

Le paradoxe d’abord: chaque fois que l’État est en faute, chaque fois qu’il déborde de sa mission pour devenir un instrument de domination excessivement au service de la haute fonction publique, il s’exprime dans le pays une demande de « toujours plus d’État ». Par exemple, alors que l’école publique est incapable d’améliorer ses performances malgré un important effort budgétaire, la France parvient à étendre l’obligation scolaire dès l’âge de 2 ans!

Le dilemme ensuite: par nature, tout État est porteur d’une caste qui le dirige et qui tend à mettre tôt ou tard l’État à son service. Toute construction étatique est instable: elle porte en elle-même de l’ordre et du futur désordre, la règle et la violation inévitable de la règle.

C’est précisément cette question qui se pose avec la Vè République: la haute fonction publique exerce-t-elle aujourd’hui sa domination au détriment du reste de la société? On comprend que poser la question, c’est déjà y répondre. Nous vivons une période où l’État étouffe la société. La pression fiscale atteint des records, le poids de la dépense publique accable le pays et décourage la prospérité, et surtout, le foisonnement de réglementations insanes castre toute initiative durable.

Mediapart et les fantasmes nourris par l'empire du bien

Face à la caste, le bon sens ne tolère pas une multitude de solutions. En dehors d’un rétrécissement du périmètre de l’État, et en dehors d’une mise sous contrôle de la haute fonction publique, on voit peu d’issues. C’est ce qu’on appelle le libéralisme, qui apparaît comme la condition d’un retour à une prospérité solide en France.

Bien entendu, on peut discuter de la meilleure façon de décliner cet objectif. Plusieurs schémas sont possibles. Mais, qu’on le veuille ou non, ils passent tous par une réduction massive du poids de la dépense publique dans la société, et par une réduction massive du nombre de fonctionnaires, et singulièrement du nombre de hauts fonctionnaires.

Selon une technique fantasmatique propre à l’empire du bien dont Mediapart est l’un des apôtres favoris, la solution qui est proposée par Mauduit, et par son employeur, participe d’un autre raisonnement. Il s’agit, au lieu de dresser le constat de la nature en quelque sorte ambiguë de tout État, de reconstruire une réalité de toutes pièces, en appelant de ses voeux une autre fonction publique. Faire abstraction du réel et prôner une société qui consacrerait l’avénement d’un homme nouveau, débarrassé des défauts de l’homme ancien, telle est l’idée de Mediapart.

Il faut donc continuer à pratiquer intensivement la dépense publique et l’intervention de l’État à tout crin, mais en pariant sur l’émergence d’une autre caste, d’une autre fonction publique, conforme à nos voeux. Telle est la fiction critique proposée par la pensée Mediapart. Cette fonction publique serait évidemment pure, incorruptible, altruiste, débarrassée de tous les défauts, de tous les vices qui affectent la fonction publique d’aujourd’hui.

Tous les régimes totalitaires du vingtième siècle se sont appuyé sur le même type de construction psychique. Il ne faut pas adapter nos idées à l’homme, il faut adapter l’homme à nos idées. C’est ici que l’étatisme propagé par Mediapart porte en lui les germes de débordements indésirables. Car, à part recourir à des solutions radicales dont l’efficacité est un leurre, on voit mal comment changer l’ordre des choses.


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