Exclusif : Clausewitz et Sun Tze contre la trop molle stratégie russe – par Nicolas Bonnal

Exclusif : Clausewitz et Sun Tze contre la trop molle stratégie russe – par Nicolas Bonnal


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Nicolas Bonnal  mobilise Clausewitz et Sun Tze pour nous faire part de ses doutes sur la stratégie russe. L'armée russe va trop lentement, la guerre dure trop longtemps. De ce point de vue, il partage largement les analyses de l'ancien conseiller de Ronald Reagan, Paul Craig Roberts

Beaucoup reprochent aux Russes leur lenteur et leur maladresse ; certes pour d’autres cette lenteur et cette maladresse sont des démonstrations de génie : dans la guerre orwellienne que j’ai décrite récemment l’important est l’affaiblissement du peuple combattant. De ce point de vue Churchill a débilement et définitivement affaibli son pays (son empire y est passé) par sa vraie-fausse guerre contre l’Allemagne (quelques dizaines milliers de morts britanniques dans les combats), tactique du gendarme qui a certainement inspiré Orwell pour son 1984. Pénurie, misère, dépression morale, humiliation, décolonisation ratée, rien n’a été épargné à l’Angleterre après sa belle victoire contre le nazisme ! Evidemment on ne peut pas le crier sur les toits : les peuples sont toujours contents de se faire tondre par leurs maîtres, alors autant ne pas les détromper. On comptera les miséreux et les morts de froid au printemps, et espérons que le petit nombre de victimes d’Ursula-Joe-Manu ne tempère pas notre joie (Bloy).

Clausewitz (et Girard)

Mais j’en arrive à Clausewitz qui ne serait pas d’accord avec l’opération russe. Girard commente :

« Le concept de guerre n’apparaît pas avec l’attaque…Il apparaît avec la défense car celle-ci a pour objectif direct le combat, parer et combattre n’étant qu’une seule et même chose…Celui qui dicte ses lois à la guerre est le défenseur. »

On verra qui aura raison. René Girard surenchérit dans son extraordinaire livre sur Clausewitz :

« Voyez Napoléon, toujours contraint d’attaquer et de mobiliser de plus en plus de forces ! Celui qui se défend, par contre, peut préparer une contre-attaque décisive, plus redoutable que l’attaque : c’est alors, mais alors seulement, que la polarité s’appliquera. Ce point est absolument fondamental, et nous touchons ici à la seconde grande intuition de Clausewitz, qui prend la forme d’un paradoxe : le conquérant veut la paix, le défenseur veut la guerre. »

Citons Clausewitz lui-même : il faut cogner dur (ce que ne fait pas Poutine, ce qui désespère Craig Roberts) ! C’est au début de De la Guerre :

« Comme l’usage de la force physique dans son intégralité n’exclut nullement la coopération de l’intelligence, celui qui use sans pitié de cette force et ne recule devant aucune effusion de sang prendra l’avantage sur son adversaire, si celui-ci n’agit pas de même. De ce fait, il dicte sa loi à l’adversaire, si bien que chacun pousse l’autre à des extrémités auxquelles seul le contrepoids qui réside du côté adverse trace de limites (p. 52). »

Il faut éviter douceur et philanthropie (les Prussiens s’en souviendront en 1871, 1914 et 1941) :

« Les âmes philanthropes pourraient alors aisément s’imaginer qu’il y a une façon artificielle de désarmer et de battre l’adversaire sans trop verser de sang, et que c’est à cela que tend l’art véritable de la guerre. Si souhaitable que cela paraisse, c’est une erreur qu’il faut éliminer. Dans une affaire aussi dangereuse que la guerre, les erreurs dues à la bonté d’âme sont précisément la pire des choses (p .52). »

Sun Tze

Je laisse le soin de la réflexion à mes lecteurs. Et je rebondis sur Sun Tze toujours cité à tort et à travers (je ne le lis quotidiennement que pour m’endormir, comme le Hagakure) et qui lui aussi recommande une campagne courte et efficace (article 2, l’Engagement) :

« Je dis plus : ne différez pas de livrer le combat, n’attendez pas que vos armes contractent la rouille, ni que le tranchant de vos épées s’émousse. La victoire est le principal objectif de la guerre. S’il s’agit de prendre une ville, hâtez-vous d’en faire le siège ; ne pensez qu’à cela, dirigez là toutes vos forces ; il faut ici tout brusquer »…

La punition est terrible sinon :

«  Si vous y manquez, vos troupes courent le risque de tenir longtemps la campagne, ce qui sera une source de funestes malheurs. Les coffres du prince que vous servez s’épuiseront, vos armes perdues par la rouille ne pourront plus vous servir, l’ardeur de vos soldats se ralentira, leur courage et leurs forces s’évanouiront, les provisions se consumeront, et peut-être même vous trouverez-vous réduit aux plus fâcheuses extrémités. »

 

Usée par une guerre trop longue, l’armée va souffrir d’un réveil ennemi :

« Instruits du pitoyable état où vous serez alors, vos ennemis sortiront tout frais, fondront sur vous, et vous tailleront en pièces. Quoique jusqu’à ce jour vous ayez joui d’une grande réputation, désormais vous aurez perdu la face. »

L’armée perd sa gloire (cf. Craig Roberts qui accuse Poutine d’avoir déshonoré l’armée russe – on verra…) :

« En vain dans d’autres occasions aurez-vous donné des marques éclatantes de votre valeur, toute la gloire que vous aurez acquise sera effacée par ce dernier trait. Je le répète : On ne saurait tenir les troupes longtemps en campagne, sans porter un très grand préjudice à l’État et sans donner une atteinte mortelle à sa propre réputation. »

Le mot-clé : abréger les campagnes.

« C’est pour prévenir tous ces désastres qu’un habile général n’oublie rien pour abréger les campagnes, et pour pouvoir vivre aux dépens de l’ennemi, ou tout au moins pour consommer les denrées étrangères, à prix d’argent, s’il le faut. »

Mais comme je l’ai dit, la guerre moderne, c’est Orwell. Vietnam, Afghanistan, Syrie, elle est interminable. Sinon on ne serait pas dans ce présent perpétuel qui est la marque de cette répugnante époque.

 

Sources :

Sun Tze – Art de la Guerre.

Clausewitz – De la Guerre

Girard – Achever Clausewitz

Orwell – 1984


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