En Italie, y a-t-il ou non un miracle Meloni ? par Thibaud de Varenne

En 2022, Giorgia Meloni arrive au pouvoir sur un programme radical et de rupture populiste de droite, annonçant un blocage de l'immigration. Trois ans plus tard, nous faisons le point sur ce qui reste de ce programme, et sur ses réussites économiques, mais aussi ses faiblesses. Un exemple à méditer pour l'opinion française...

L'arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni et de sa coalition de droite en octobre 2022 a été accueillie avec une appréhension palpable au sein des capitales européennes et sur les marchés financiers. Les craintes se concentraient sur la possibilité d'un gouvernement populiste, susceptible d'entrer en conflit avec Bruxelles sur les questions budgétaires et de défaire les réformes engagées par son prédécesseur, Mario Draghi. Les investisseurs redoutaient une flambée des coûts d'emprunt de l'Italie, ravivant le spectre d'une crise de la dette souveraine dans la troisième économie de la zone euro.

Pourtant, la réalité qui a suivi a déjoué ces pronostics pessimistes. Le gouvernement Meloni a fait preuve d'un pragmatisme inattendu, adoptant une posture pro-européenne et atlantiste sur la scène internationale et, surtout, une orthodoxie budgétaire sur le plan intérieur. Cette approche a permis de maintenir une stabilité politique notable, de calmer les marchés financiers – comme en témoigne la maîtrise de l'écart de taux (spread) avec l'Allemagne – et d'engager une trajectoire de consolidation des finances publiques qui a surpris de nombreux observateurs. Cette performance a donné naissance à l'expression de "miracle Meloni", suggérant une rupture positive et inespérée avec les décennies de stagnation et d'instabilité politique qui ont caractérisé le pays.

Cette synthèse se propose de répondre à une problématique centrale : les améliorations observées sur les indicateurs budgétaires et la perception des marchés constituent-elles un véritable "miracle Meloni"? Ou sont-elles plutôt le fruit d'une conjonction de facteurs plus complexes, incluant les vents porteurs de la reprise post-pandémique, un soutien financier européen sans précédent via le Plan de Relance et de Résilience (PNRR), et une continuation pragmatique des politiques antérieures? L'objectif est de déconstruire cette narration en procédant à une analyse rigoureuse et factuelle de la situation économique et des finances publiques de l'Italie, afin de livrer un diagnostic nuancé sur la solidité et la pérennité des résultats obtenus.

Une croissance résiliente mais modeste

L'économie italienne a fait preuve d'une résilience certaine face à un environnement international complexe, marqué par les tensions géopolitiques et le ralentissement du commerce mondial. Toutefois, cette résilience se traduit par une croissance modeste, dont les moteurs apparaissent fragiles et dépendants de soutiens externes.

L'épreuve du ralentissement mondial

Après une forte reprise post-pandémique, la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) réel de l'Italie s'est stabilisée à un rythme modéré. Les prévisions des principales institutions internationales convergent vers une expansion contenue. La Commission Européenne anticipe une croissance stable à 0,7% en 2025, suivie d'une légère accélération à 0,9% en 2026. Le Fonds Monétaire International (FMI) se montre légèrement plus prudent, avec des prévisions de 0,5% pour 2025 et 0,8% pour 2026. Si cette performance permet à l'Italie d'éviter la récession qui a touché son principal partenaire commercial, l'Allemagne, elle reste néanmoins inférieure à la moyenne de la zone euro, qui est attendue à +1,5%.

Les moteurs de cette croissance révèlent une dynamique contrastée. Le principal soutien provient de la demande intérieure, et plus spécifiquement de l'investissement public. Les dépenses liées au Plan National de Relance et de Résilience (PNRR), financé par l'Union Européenne, alimentent une forte hausse de la construction non résidentielle et des travaux d'infrastructure. Sans cet apport massif de fonds européens, la croissance italienne serait probablement proche de la stagnation. En effet, les autres composantes de l'économie montrent des signes de faiblesse. La consommation privée, bien que soutenue par des créations d'emplois, ne devrait croître que de 1,2% en 2025, freinée par une augmentation du taux d'épargne et une progression limitée du revenu disponible réel.

L'analyse sectorielle confirme ce tableau en demi-teinte. Un clivage net s'observe dans le secteur de la construction : alors que les projets du PNRR stimulent le segment non résidentiel, l'investissement résidentiel est en forte contraction annuelle suite au retrait progressif du coûteux dispositif de crédit d'impôt "Superbonus 110%". Le secteur industriel, pilier de l'économie, affiche une performance volatile, avec une production qui fluctue de mois en mois, témoignant d'une certaine fragilité face à la conjoncture mondiale. En revanche, le secteur des services, et notamment le tourisme, demeure un pilier robuste, avec des recettes qui ont dépassé en 2024 leurs niveaux d'avant la pandémie, atteignant plus de 55 milliards d'euros.

Inflation et marché du travail : des signaux positifs mais des salaires à la traîne

Sur le front de l'inflation, l'Italie a enregistré des résultats particulièrement positifs. La forte baisse des prix de l'énergie a permis de ramener le taux d'inflation annuel sous la barre des 2% en 2025, avec une prévision de 1,5% pour 2026. Cette maîtrise de l'inflation est un facteur de soutien pour le pouvoir d'achat des ménages et contribue à la stabilité sociale.

Le marché du travail a également montré un dynamisme remarquable, constituant l'un des points forts de la conjoncture italienne. Le taux d'emploi continue de progresser, notamment grâce à une augmentation des contrats à durée indéterminée, et le taux de chômage poursuit sa décrue. Les prévisions de l'ISTAT, l'institut national de statistique, tablent sur un taux de chômage de 6,0% en 2025 et de 5,8% en 2026. Cette amélioration quantitative est indéniable et contribue à la résilience de la demande intérieure.

Cependant, cette image positive masque une faiblesse structurelle persistante : la dynamique des salaires. Malgré les créations d'emplois, la croissance des salaires nominaux devrait rester modérée. Plus préoccupant encore, les salaires réels à la fin de l'année 2025 devraient rester inférieurs à leur niveau d'avant la crise sanitaire. Ce décrochage du pouvoir d'achat, lié à la faible productivité chronique de l'économie, explique pourquoi la consommation des ménages peine à accélérer malgré un taux de chômage au plus bas. Il s'agit d'un succès quantitatif (plus d'emplois) qui peine à se traduire par une amélioration qualitative (meilleurs revenus) pour une large partie de la population.

Risques externes et incertitudes

L'économie italienne, très ouverte sur l'extérieur, reste exposée à plusieurs risques. Le plus fréquemment cité est l'impact des tensions commerciales, notamment l'augmentation des tarifs douaniers américains, qui pourrait peser sur la compétitivité des exportations italiennes, en particulier à partir de 2026. Par ailleurs, bien que l'assouplissement progressif de la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE) soit de nature à réduire les coûts de financement et à soutenir l'investissement, une volatilité accrue sur les marchés financiers pourrait resserrer les conditions de crédit et tempérer cet effet positif.


Tableau 1 : Principaux Indicateurs Macroéconomiques (Italie, 2024-2026, Prévisions)

Indicateur

Source

2024 (p)

2025 (p)

2026 (p)

Croissance du PIB réel (%)

Commission Européenne

0,7

0,7

0,9


FMI

-

0,5

0,8


ISTAT 

-

1,1

1,2

Inflation (IPCH, %)

Commission Européenne 

-

< 2,0

1,5


ISTAT (Déflateur consommation) 

-

1,8

1,6

Taux de chômage (%)

Commission Européenne

-

En baisse

En baisse


ISTAT

-

6,0

5,8

(p) : prévision






Une tâche herculéenne : naviguer les finances publiques italiennes

La gestion des finances publiques constitue le défi majeur et le principal terrain sur lequel le gouvernement Meloni est jugé. Si des progrès notables ont été accomplis dans la réduction du déficit, la trajectoire de la dette publique reste une source de préoccupation majeure et révèle un paradoxe complexe.

Le fardeau de la dette et la trajectoire du déficit

La dette publique de l'Italie demeure la deuxième plus élevée de l'Union Européenne en pourcentage du PIB, un fardeau qui contraint fortement la marge de manœuvre budgétaire du pays. En 2023, le déficit public a atteint 7,2% du PIB, un niveau très élevé. Le gouvernement a cependant engagé une consolidation budgétaire rapide et plus forte que prévu. Le déficit devrait chuter à 3,4% du PIB en 2024, puis à 3,3% en 2025, pour finalement passer sous la barre des 3% fixée par les règles européennes en 2026, à 2,9%. Cette performance, qui permettrait à l'Italie de sortir de la procédure de déficit excessif de l'UE un an plus tôt qu'anticipé, est un succès politique et économique indéniable.

Toutefois, et c'est là que réside le paradoxe, cette amélioration spectaculaire du solde budgétaire annuel ne se traduit pas par une réduction du poids total de la dette. Au contraire, après avoir diminué suite au pic de la pandémie, le ratio de la dette publique sur le PIB devrait repartir à la hausse. De 135,3% du PIB fin 2024, il est projeté de continuer à augmenter jusqu'en 2026. Cette dynamique contre-intuitive s'explique principalement par l'impact différé du "Superbonus". Les crédits d'impôt massifs accordés dans le cadre de ce dispositif ont été comptabilisés dans le déficit des années précédentes, mais leur coût se matérialise dans la trésorerie de l'État sur plusieurs années, lorsque les citoyens les utilisent pour réduire leurs impôts, obligeant ainsi l'État à emprunter davantage pour couvrir ses dépenses courantes. Le gouvernement est donc contraint de réaliser des efforts budgétaires importants simplement pour compenser le coût d'une politique passée, ce qui rend la tâche de réduction de la dette particulièrement ardue.

La stratégie de consolidation budgétaire du gouvernement Meloni

Pour atteindre ses objectifs de déficit, le gouvernement a mis en œuvre une stratégie combinant des mesures de maîtrise des dépenses et d'augmentation des recettes, tout en faisant preuve de pragmatisme en reportant certaines promesses électorales coûteuses. Un rapport de la Fondation IFRAP a identifié quatorze mesures clés qui sous-tendent cet assainissement. Parmi les plus significatives, on peut citer :

  1. La réduction drastique du "Superbonus 110%" : La mesure la plus impactante a été de restreindre ce dispositif de rénovation énergétique extrêmement généreux. En ramenant progressivement le crédit d'impôt à 65% en 2025, le gouvernement a réduit la facture budgétaire de 41 milliards d'euros.
  2. La relance de la "Spending Review" : Des plafonds de dépenses pluriannuels ont été imposés à chaque ministère, avec des économies attendues de 5,7 milliards d'euros d'ici 2026.
  3. Un programme de privatisations : Le gouvernement a annoncé un plan ambitieux visant à céder des participations dans des entreprises publiques (comme Poste Italiane, ENI ou la compagnie aérienne ITA) pour un montant total de 20 milliards d'euros entre 2024 et 2026, soit environ 1% du PIB.
  4. La lutte contre l'évasion fiscale : L'effort se poursuit avec le renforcement de dispositifs comme la facturation électronique obligatoire (SdI), qui a déjà permis de récupérer 16,3 milliards d'euros de TVA entre 2018 et 2022, et l'interconnexion des bases de données fiscales et sociales.

Perception des marchés et risque souverain

Cette stratégie de consolidation budgétaire, jugée crédible et prudente, a été très bien accueillie par les marchés financiers et les agences de notation, dissipant les craintes initiales. L'agence Moody's a relevé la perspective de la note de l'Italie de "stable" à "positive" en mai 2025, tout en maintenant la note à Baa3, juste au-dessus de la catégorie spéculative. Elle a salué la "performance budgétaire meilleure que prévue" et la "stabilité de l'environnement politique". De son côté, Standard & Poor's maintient une note de BBB+ avec une perspective stable.

Cette confiance retrouvée est cruciale. Elle s'est traduite par un écart de taux (spread) entre les obligations d'État italiennes à 10 ans (BTP) et leurs homologues allemandes (Bund) qui est resté contenu, et s'est même resserré en 2024, passant sous les 130 points de base. Pour un pays avec une dette aussi élevée, la confiance des investisseurs n'est pas un simple indicateur ; c'est un pilier fondamental de la stabilité économique. En maintenant des coûts d'emprunt raisonnables, le gouvernement Meloni s'est assuré la marge de manœuvre nécessaire pour mener sa politique sans risquer une crise de la dette, transformant ainsi sa crédibilité sur les marchés en son principal capital politique et économique.


La salle des machines et ses failles : réalités structurelles de l'Italie

Au-delà des indicateurs conjoncturels et budgétaires, la trajectoire à long terme de l'économie italienne est déterminée par des forces structurelles profondes. Celles-ci combinent une puissance exportatrice indéniable avec des faiblesses persistantes en matière de démographie et de productivité, que le plan de relance européen est censé corriger.

La puissance exportatrice et le tissu industriel

L'Italie est une puissance industrielle et exportatrice de premier plan. Sixième pays exportateur mondial, ses ventes à l'étranger représentent entre 35% et 40% de son PIB. La force du "Made in Italy" repose sur une grande diversification de ses produits et une réputation de haute qualité, notamment dans les secteurs de la mécanique, de la mode, de l'agroalimentaire et de la pharmacie, dont la production a atteint 56 milliards d'euros en 2024. Cette puissance commerciale est géographiquement très concentrée : les régions du nord (Lombardie, Émilie-Romagne, Vénétie) réalisent à elles seules plus de 72% des exportations nationales.