Commission d’enquête : une Ministre très mal à l’aise lorsqu’il s’agit de justifier les dépenses de conseil externe

Commission d’enquête : une Ministre très mal à l’aise lorsqu’il s’agit de justifier les dépenses de conseil externe


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Mme Amélie de Montchalin, Ministre de la transformation et de la fonction publique, a été entendue mercredi 19 janvier dans le cadre de la Commission d’enquête du Sénat portant sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Après l’audition des représentants du cabinet McKinsey, c’est à la Ministre de justifier auprès des parlementaires le recours à des cabinets privés pendant le présent quinquennat. Les réponses de la Ministre se projettent au-delà, en faisant abstraction du fait qu’elle soit actuellement en poste et non à un entretien d’embauche.

L’entretien suivant doit se conjuguer au futur. Durant toute l’audition, la Ministre n’a pas mentionné les choses comme elles sont, mais comme elles seront après l’entrée en vigueur de différentes réformes et l’application d’une nouvelle doctrine ministérielle. Une chance que nous ne soyons en période d’élections présidentielles, auquel cas toutes ces bonnes résolutions pourraient être remises en question !

La bataille des chiffres

Le Président de la Commission d’enquête, le Sénateur Arnaud Bazin, commence l’entretien en s’inquiétant de la concordance des chiffres entre les informations qui lui sont remontées depuis la Direction du Budget et les montants qu’avancent la Ministre dans les médias.

En effet, on a pu l’entendre se réclamer d’un budget de 140 millions d’euros en frais de conseil extérieurs. Ceci résulte des déductions faites d’un rapport émanant de la Cour des Comptes qui établissait qu’entre 2011 et 2013, les dépenses en conseil hors informatique s’élevaient à 135 millions d’euros. Avec la même base de calcul, pour la période 2018-2020, les dépenses en l’espèce s’estimaient à 145 millions d’euros.

Le Président en déduit que la moyenne des dépenses est donc calculée sur les deux années. En 2020, la somme montait à 170 millions d’euros et en 2018 elle descendait à 107 millions d’euros.

La Ministre tient à rappeler, pour remettre à leur place de tels montants, qu’au Royaume-Uni, le budget en conseil privé s’élevait à 700 millions d’euros. Oui mais voilà, les chiffres précités ne prenaient pas en compte les montants pour le conseil en informatique, qui sont de 457 millions d’euros pour la période 2018-2020.

Le jeu sur les mots

La Ministre est fière d’annoncer que ce gouvernement est le premier à instaurer un accord-cadre interministériel avec la Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP) comme guichet unique sur les sujets de transformation, fonctionnant avec le système dudit « tourniquet » qui permet de ne pas avantager un cabinet de conseil privé par rapport à un autre. Le modèle de ce nouveau contrat cadre expire mi-mars et une nouvelle rédaction est en cours de préparation.

Le Président Bazin relativise et souligne un système de tourniquet plutôt souple. Le cabinet McKinsey a bénéficié de 11 contrats pendant la crise sanitaire pour une somme de 13,5 millions d’euros. Oui, il y a certes un « tourniquet », mais il y aussi un droit de suite : si un cabinet commence à travailler sur une mission et si d’autres missions sont consécutivement nécessaires, il garde la main (on peut aller loin comme ça). La Ministre précise que McKinsey a été moins sollicité sur d’autres sujets cependant.

Le Sénateur Bazin s’inquiète également de la sécurité des données sensibles au sein de cabinets de conseil étrangers. Ils sont souvent sollicités pour faire des études comparatives à l’international, sur quelles données s’appuient-ils ?

Sur les questions de souveraineté des données, si ces dernières sont stockées dans un cloud, les prestataires doivent respecter la doctrine interministérielle : les données publiques ne peuvent pas être hébergées sur un serveur cloud qui ne respecterait pas le niveau de validation  du label  SecNumCloud, et les hébergements de données cloud doivent passer par une validation juridique afin de prévenir leur accessibilité par une extra territorialisation de lois étrangères – ces données seraient accessibles par des services de renseignement qui ne seraient pas européens. Le Président de la Commission relève que cet accès ne serait pas plus normal de la part d’un service de renseignement européen … A la fin de l’intervention on ne comprend pas si ces mesures sont déjà mises en œuvre ou si elles seront appliquées désormais.

Enfin, la Sénatrice Eliane Assassi désire connaitre plus en détails le rôle des conseillers privés dans la prise de décision. La Ministre a indiqué qu’ils ne participaient pas à la prise de décision finale, mais dans la rédaction actuelle de l’accord cadre DITP, à la section des prestations attendues est précisé « contribution à la prise de décision ».

La Ministre se défend en rappelant qu’en tout état de cause, c’est le gouvernement qui est responsable devant le parlement. La Sénatrice perd ses nerfs face à cette réponse évidente et précise qu’elle n’a pas besoin de cours de droit constitutionnel. Eclairer n’est pas contribuer, elle souhaite que ce terme disparaisse de la rédaction future du contrat type.

La nouvelle doctrine qui va tout changer

Mme de Montchalin rapporte qu’au sujet des cabinets de conseil privés, elle observe des raccourcis parfois simplistes dans l’opinion publique. « l’Etat n’est ni omniscient ni omnipotent », même si elle avoue que le recours à des cabinets privés a peut-être été trop systématique. Cette Commission d’enquête arrive donc à un moment particulièrement opportun puisque le gouvernement est sur le point de présenter sa nouvelle doctrine sur le recours aux consultants.

Contrat McKinsey : « J’ai bien entendu ce que vous avez dit. Que c’était une erreur. C’était quand même une grosse erreur, 496 800 €. L’équivalent d’un million de masques FFP2 » indique @ElianeAssassi. @AdeMontchalin précise avoir « eu connaissance de cette mission hier » pic.twitter.com/vJB79ytIsL

— Public Sénat (@publicsenat) January 19, 2022


La nouvelle circulaire interministérielle proposera désormais que l’administration fasse la démonstration du fait qu’elle ne soit pas capable d’effectuer la mission sans recourir à une prestation externe et imposera le respect d’une charte de bonnes pratiques en la matière.

Des postes de brigades d’intervention numérique seront créés et internalisés pour réduire les coûts de conseil en informatique. Dans tous les projets informatiques, tout ministère confondu, au moins 30 % du personnel dans les équipes devront venir de l’administration. Il est prévu de réduire de 15% le recours en conseil extérieur, ce qui permettrait de faire des économies de 20 millions d’euros.

Enfin, la circulaire précisera qu’aucune mission probono ne donnera lieu à contrepartie, ni aucun droit de suite. La Commission demande si elles sont réellement indispensables. La Ministre en reste persuadée. Le changement n’est peut-être pas pour maintenant …


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