Comment Poutine et Trump sont en train de marginaliser l'Europe, par Thibault de Varenne

L'Europe se rêvait puissance. Trump la fait atterrir : comme au bon vieux temps de la guerre froide, elle est redevenue un simple terrain de jeu pour les USA et la Russie. Thibault de Varenne nous décrypte le nouvel ordre international qui se met en place.

La relation entre les États-Unis de Donald Trump et la Russie de Vladimir Poutine ne s'analyse pas comme une série d'événements isolés, mais comme une trajectoire stratégique cohérente dont chaque étape renforce la précédente. Le sommet d'Anchorage du 16 août 2025 n'était pas une fin en soi, mais l'acte fondateur d'une nouvelle méthode diplomatique. L'échange téléphonique de plus de deux heures du 16 octobre n'était pas une simple conversation, mais l'aboutissement de cette séquence : la mise en œuvre d'une diplomatie du levier, bilatérale et brutale, qui redessine l'architecture de sécurité européenne en excluant délibérément ses principaux acteurs. Cette synthèse retrace l'évolution de cette dynamique, d'un accord de principe en Alaska à sa mise en application concrète en vue d'un sommet décisif à Budapest.

Anchorage, acte fondateur d'un "deal" bilatéral

Le sommet d'Anchorage, par sa brièveté et son opacité, a posé les bases de la relation actuelle. En moins de trois heures, Donald Trump et Vladimir Poutine ont validé une convergence d'intérêts fondamentale : la gestion des crises mondiales, et notamment de la guerre en Ukraine, doit se faire par des accords directs entre grandes puissances, en dehors des cadres multilatéraux jugés contraignants. Pour Poutine, le simple fait de se rendre en Alaska malgré un mandat d'arrêt international était une victoire diplomatique, brisant son isolement et le légitimant comme un interlocuteur incontournable.

Cette rencontre a été la manifestation la plus pure des doctrines respectives des deux dirigeants. D'un côté, le "réalisme transactionnel" de Donald Trump, qui perçoit la géopolitique comme une série de "deals" où il faut "limiter les coûts". Pour lui, les territoires ukrainiens occupés sont un passif dont il faut se délester en échange de la fin des hostilités, et ses déclarations publiques sur la non-adhésion de l'Ukraine à l'OTAN ou sur le fait que la Crimée "est revenue aux Russes" constituent des concessions offertes en amont pour faciliter la transaction.