Briefing: Macron, Biden et le système occidental comme simulacre de la liberté

"Nous avons besoin de l'esprit de résistance. Nous avons besoin de l'esprit protestant" a déclaré pompeusement Bruno Le Maire devant la Fédération des protestants de France. En fait, le gouvernement français se comporte avec tous sur le mode: "Protestez, protestez, nous ferons de toute façon ce que nous voulons". Nous en voyons la confirmation tous les jours: le macronisme aime bien mettre en scène des simulacres de liberté. Emmanuel Macron lui-même devra s'en souvenir lorsqu'il rencontrera Joe Biden qui vraisemblablement lui expliquera que l'Union Européenne est libre de protester autant qu'elle veut contre l'Inflation Reduction Act mais cela ne changera rien à la politique américaine - sans que les Occidentaux aient le droit, pour autant, de prendre leurs distance.

L’aveu de Bruno Le Maire aux protestants
Lundi 28 novembre, Bruno Le Maire s’est rendu à une invitation de la Fédération des Protestants de France que ni le président de la République, ni le Premier ministre n’ont daigné, au dernier moment, honorer de leur présence – après s’être fait annoncer! Bruno Le Maire a sauté sur l’occasion – il aime quand on lui fait miroiter la perspective de « remplacer Emmanuel Macron », cela a un petit parfum de 2027….Et le ministre de l’Economie et des Finaces n’a pas laissé passer cette occasion de prononcer des phrases bien ronflantes: « C’est dans ces temps où le monde bascule que nous avons besoin de vous, que nous avons besoin de l’esprit de résistance, que nous avons besoin de l’esprit protestant ! ». Enfin, pas trop non plus; quand il s’agit du débat à venir sur la « fin de vie » – entendez la volonté du gouvernement de faire avancer une forme d’euthanasie -, Bruno Le Maire a précisé les limites de la discussion: il faudra » débattre, s’interroger, respecter les positions des uns et des autres avant de parvenir à une position définitive ». Emmanuel Macron avait déjà tenu pareil discours aux catholiques en rencontrant les évêques de France au Collège des Bernardins en avril 2018. Parlez librement, même si ce n’est pas vous qui décidez.
Le macronisme comme mise en scène d’une liberté factice
Au fond, cette mise en scène d’un simulacre de liberté est ce que le macronisme affectionne particulièrement. Bruno Le Maire l’a d’ailleurs expérimenté à ses dépens, Interrogé sur le recours gouvernemental aux cabinets de conseil, le ministre de l’Economie avait déclaré dimanche 27 novembre sur France 3: « Je le reconnais bien volontiers, nous sommes allés trop loin, depuis des années, c’est ce gouvernement, les gouvernements précédents, des majorités précédentes… On avait pris sans doute trop l’habitude de dire ‘l’administration n’est pas capable de faire ce travail,on va externaliser et demander à des cabinets de conseil’« . Lundi 28 novembre, il s’est fait remettre à sa place par Olivier Véran, porte-parole du gouvernement et ancien ministre de la Santé (particulièrement concerné par le recours aux cabinets de conseil comme le Courrier des Stratèges l’avait analysé). Réponse cinglante d’Olivier Véran , qui confond allègrement son rôle passé et son rôle actuel au sein du gouvernement; « Je ne sais pas ce que c’est qu’une dérive ou un abus, je sais que quand j’ai eu besoin de rattraper l’Allemagne dans la campagne vaccinale, j’ai fait appel à une entreprise qui venait de conseiller l’Allemagne dans l’élaboration des centres de vaccination« .
Tout le monde est libre de donner son avis. Certains le sont plus que d’autres.
En fait, Bruno Le Maire a oublié une règle de base. Tout le monde est libre de donner son avis au sein du gouvernement et de la majorité. Mais il y en a qui sont plus libres que d’autres. Le Ministre de l’Economie devrait se souvenir qu’il vaut mieux venir de la gauche et avoir coché depuis toujours toutes les cases du « politiquement correct » pour être admis à tout dire. C’est le cas de Véran. Ce n’est pas son cas – lui qui servit Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy et fut candidat aux primaires de la droite en 2017. Ce n’est pas le cas non plus de Caroline Cayeux, que le gouvernement n’a pas soutenue quand la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique a mis en cause sa déclaration de patrimoine. Le ministre des Collectivités Territoriales avait eu le malheur, interrogée au mois de juillet 2022, de ne pas regretter s’être opposée au « mariage pour tous ». Quelle différence de traitement avec Agnès Pannier-Runacher, qui semble survivre à toutes les polémiques sur ses éventuels conflits d’intérêts, parce qu’elle est proche du premier cercle de la macronie (promotion d’Alexis Kohler à l’ENA, appartenance à l’inspection des Finances, comme le chef de l’Etat).
Emmanuel Macron va protester très fort auprès de Joe Biden
A vrai dire, la déclaration de Bruno Le Maire aux représentants des protestants de France ne manque pas de sel, au moment où Emmanuel Macron se rend aux Etats-Unis. Le président français va protester, au nom des pays membres de l’Union Européenne. L’Inflation Reduction Act contient des mesures pour protéger les entreprises américaines de la concurrence étrangère, qui ne passent pas de ce côté-ci de l’Atlantique. Gageons que le président américain fera preuve de beaucoup de compréhension envers le président français sans bouger d’un iota. Les pays européens se rendent compte, mais un peu tard, qu’ils n’ont pas forcément gagné au change, en troquant Donald Trump pour Joe Biden. Et que la solidarité transatlantique si souvent invoquée pour justifier l’engagement dans la guerre d’Ukraine, est en fait une machine à détruire l’économie européenne.
En réalité, le macronisme et ses « simulacres de liberté » n’est qu’une reproduction, à l’échelle de l’Hexagone, du fonctionnement général du système occidental. Au sommet du système, les Etats-Unis font ce qu’ils veulent, quoi que disent leurs alliés. Ces derniers sont tout à fait libres….pourvu qu’ils respectent l’ordre occidental. C’est aussi ce que le FMI vient de rappeler à la France, la laissant apparemment libre de continuer à s’endetter…pourvu qu’elle respecte la feuille de route qui lui est tracée: réforme des retraites, réforme de l’assurance-chômage et, surtout, accélération de la transition écologique.
En réalité, tout va bien à Paris. Elisabeth Borne vient de survivre à la sixième motion de censure déposde depuis qu’elle est Premier ministre. Quant à Emmanuel Macron, il se consolera de ses déboires prévisibles aux Etats-Unis en se rappelant qu’en France il est au sommet de la hiérarchie de ceux qui sont libres de s’exprimer. Il doit déjà commencer à songer au prochain projet grandiose qu’il proposera – sans obligations de résultats – après les RER des grandes métropoles.
Commentaires ()