Après la condamnation de Sarkozy, l’inévitable duel Macron – Le Pen

Edouard Husson revient pour nous sur la très lourde condamnation de Nicolas Sarkozy par le tribunal correctionnel de Paris. Avec une peine de prison ferme pour corruption, l'ancien Président est "condamné" à faire appel pour empêcher l'exécution de la sentence. Mais cette décision très politique compromet ses chances d'être candidat en 2022, comme les poursuites contre François Fillon avait empêché sa candidature de passer le cap du premier tour. Décidément, ce gouvernement des juges tient à un duel Macron - Le Pen.

par Edouard Husson
Ancien vice-chancelier des universités de Paris, ancien directeur de l'ESCP
Dans l’affaire dite « des écoutes », Nicolas Sarkozy a été condamné à trois ans de prison, dont un ferme. Même si l’ancien président entend faire appel, c’en est fini des espoirs que caressaient beaucoup à droite, de lui voir jouer un rôle en 2022, renforçant la probabilité de ce duel dont les Français ne veulent pas : Emmanuel Macron contre Marine Le Pen.
Nicolas Sarkozy, condamné, fait appel
Le verdict est tombé lundi 1er mars en début d’après-midi. Dans l’affaire dite des « écoutes », Nicolas Sarkozy a été condamné à trois ans de prison, dont un ferme. L’ancien chef de l’Etat a été déclaré coupable de corruption et de trafic d’influence. Il lui est reproché d’avoir tenté d’obtenir des informations sur des affaires qui le visaient, en 2014, d’un magistrat à la Cour de Cassation, Gilbert Azibert, en échange d’une intervention en faveur du magistrat pour qu’il obtienne un poste à Monaco. Les éléments de l’accusation avaient été obtenus suite à la mise sur écoute judiciaire de lignes téléphoniques utilisées par Nicolas Sarkozy et son avocat Maître Thierry Herzog sous des prête-noms.
Le procès s’était ouvert devant le tribunal correctionnel de Paris fin novembre 2020 et le procureur avait requis le 8 décembre 2020 contre Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert quatre ans d’emprisonnement dont deux avec sursis. Les juges ont finalement tranché pour trois ans de prison, dont deux avec sursis pour les trois hommes.
Nicolas Sarkozy devient ainsi le deuxième ancien président de la Vè République condamné : Jacques Chirac l’avait été, en 2011, dans l’affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris. A l’époque, le président s’appelait Nicolas Sarkozy. L’ancien président a décidé de faire appel. Son avocate a dénoncé, lundi soir sur BFM TV un jugement « totalement infondé et injustifié » et déclaré que son client prendrait le temps de prouver son innocence.
Le parquet fait l’union des droites contre lui
Suite à l’annonce du verdict, de nombreuses voix se sont élevées au sein de LR pour dénoncer une « justice politique ». Christian Jacob, président du parti, a confirmé son « soutien indéfectible » à l’ancien président et déclaré :
« La sévérité de la peine retenue est absolument disproportionnée et révélatrice de l’acharnement judiciaire d’une institution déjà très contestée », visant ouvertement « les méthodes et l’indépendance » du Parquet National Financier.
Valérie Boyer, sénatrice LR des Bouches du Rhône a surenchéri, dénonçant des juges qui, après l’affaire Fillon en 2017, « entrent dans la vie politique de façon inédite. L’ancien président a aussi reçu le soutien appuyé de Bruno Retailleau, Renaud Muselier et Valérie Pécresse.
Plus inattendu est le concert de réactions critiquant la décision judiciaire au Rassemblement National : le député RN Gilbert Collard, avocat de profession, a déclaré qu’il ne voyait pas comment « juridiquement, la condamnation a pu être fondée ». Le porte-parole du parti, Sébastien Chenu, a dénoncé « l’acharnement judiciaire ». La « droite hors les murs » s’est aussi mobilisée : Jean Messiha, ancien membre du RN et Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France ont dénoncé, chacun de son côté, les « deux poids deux mesures » d’une justice qui s’acharne contre un ancien président mais oublie d’être aussi sévère avec les auteurs de violences urbaines ou les trafiquants de drogue.
Malaise dans les médias mainstream
Depuis plusieurs mois, un récit a tendance à s’établir dans les médias sur le scénario de la prochaine élection présidentielle devant inéluctablement se finir par un nouveau duel Emmanuel Macron/Marine Le Pen au deuxième tour. Et pourtant, avant l’annonce du verdict, toute la matinée, les médias mainstream développaient le scénario d’un acquittement de l’ancien président, qui lui aurait laissé les mains libres pour se battre et peser sur la prochaine élection présidentielle. Voire, insistaient les mêmes médias, se présenter lui-même en recours de la droite.
Ce faisant, les médias mainstream eux-mêmes sont en phase avec les Français. Selon une enquête de l’IfoP pour le Figaro publiée le 9 févirer 2021, les Français sont 67% à anticiper une réédition, en 2022, du duel de 2017 entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Mais ils sont 70% à souhaiter un autre match que celui qu’ils anticipent. Un acquittement de Nicolas Sarkozy aurait pu répondre à la recherche d’un autre challenger à Emmanuel Macron. Même s’il est mis en cause dans d’autres affaires (question du financement libyen présumé de sa campagne de 2007, affaire Bygmalion concernant le financement de la campagne de 2012, dont le procès commence dans quelques jours), l’ancien président aurait pu, en se débarrassant de « l’affaire des écoutes », montrer qu’il était capable d’inverser l’acharnement judiciaire. Mais le tribunal correctionnel de Paris a tranché.
Et, ce faisant, il a contribué, involontairement, à renforcer le malaise qu’inspire, dans des secteurs de plus en plus larges de l’opinion, un scénario écrit d’avance pour l’élection présidentielle.
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