Bien sûr, il y a la politique partisane, les calculs d'appareils, les débats présentés comme essentiels par la presse subventionnée. Il y a les indicateurs de l'INSEE, de la BCE, de la Banque de France, et d'une multitude d'organismes publics. Et il y a, au-delà de ces informations grises, une terrible réalité: les troubles musculo-squelettiques (TMS) atteignent la moitié des salariés... et ils coûtent 1% du PIB. C'est l'autre France. La France d'en-bas.

L'analyse approfondie des données de sinistralité, des rapports épidémiologiques de Santé Publique France et des bilans financiers de l'Assurance Maladie - Risques Professionnels pour la période 2023-2025 dresse le constat sans appel d'une crise sanitaire majeure, insidieuse et coûteuse. Les Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) ne constituent plus simplement le premier poste de maladies professionnelles en France ; ils représentent désormais une variable macroéconomique de premier ordre, pesant lourdement sur la compétitivité nationale.

Pour l'année 2025, le coût global de ces pathologies pour l'économie française est estimé à 23,7 milliards d'euros, une somme vertigineuse qui équivaut à 1 % du Produit Intérieur Brut (PIB). Cette estimation, loin d'être une abstraction comptable, reflète une perte de valeur ajoutée massive induite par l'absentéisme, la baisse de productivité, la désorganisation des chaînes de valeur et la surcharge des systèmes de protection sociale.
Le paysage de la santé au travail en France est marqué par une dichotomie structurelle inquiétante. Alors que les accidents du travail (AT) traditionnels, liés à des événements soudains et violents, connaissent une décrue tendancielle (baisse de 1,5 % en 2023), les pathologies d'usure et de sollicitation chronique explosent. Les maladies professionnelles (MP), dont les TMS constituent l'écrasante majorité (87 %), ont enregistré une augmentation de 7,3 % en 2023, suivie d'une hausse de 8 % des nouveaux cas reconnus en 2024. Ce rapport a pour vocation de déconstruire les mécanismes de cette épidémie silencieuse, d'en cartographier les disparités sectorielles et régionales, et d'objectiver les coûts cachés qui érodent le tissu économique français.

Anatomie d'une usure collective
La compréhension du phénomène TMS exige de dépasser les simples statistiques administratives de reconnaissance pour appréhender la prévalence réelle de la souffrance au travail. Les données croisées du Baromètre Santé de Santé Publique France et des rapports de gestion de la Sécurité Sociale permettent de dessiner le profil clinique et démographique de la France au travail.
La domination des TMS dans la pathologie professionnelle
Les Troubles Musculo-Squelettiques exercent une hégémonie absolue sur les statistiques de santé au travail. En 2023 et 2024, ils représentent invariablement 87 % de l'ensemble des maladies professionnelles reconnues par le régime général de la Sécurité Sociale. Cette proportion, stable à un niveau extrêmement élevé, indique que le risque "chimique" ou "biologique", bien que réel, est statistiquement éclipsé par le risque "biomécanique".
En volume, cette prédominance s'est traduite par la reconnaissance officielle de 42 300 nouveaux cas pour la seule année 2024. Il est crucial de noter que ce chiffre ne comptabilise que les cas ayant abouti à une reconnaissance administrative complète (dossier instruit, lien de causalité établi, taux d'incapacité fixé), et ne reflète donc que la partie émergée de l'iceberg clinique.
Cartographie clinique : du rachis aux extrémités
L'analyse des localisations anatomiques révèle que l'usure professionnelle cible prioritairement les zones de charnière et de levier du corps humain.
Le fléau lombaire
Le dos demeure le premier point de fragilité des travailleurs français. Les lombalgies (hors sciatiques et hernies discales complexes) constituent une part massive de la morbidité. Le "mal de dos" est identifié comme la cause de 22 % des accidents du travail déclarés. Plus inquiétant encore, la prévalence déclarée des TMS du rachis dans la population générale atteint des sommets : 47 % des femmes et 40 % des hommes rapportent souffrir de douleurs dorsales liées à leur activité.

La pathologie du membre supérieur
Le second front épidémiologique se situe au niveau des membres supérieurs (épaules, coudes, poignets), directement sollicités par la répétitivité des tâches et l'usage intensif des interfaces numériques.
- Prévalence déclarée : environ 30 % des femmes et 27 % des hommes signalent des affections chroniques du membre supérieur.
- Indicateurs chirurgicaux : la surveillance épidémiologique via les données hospitalières (PMSI) fournit des indicateurs de gravité tangibles. En 2022, le système de santé a enregistré 124 011 interventions chirurgicales pour le seul syndrome du canal carpien.
- Pathologies rachidiennes lourdes : pour la même année, 20 971 interventions pour hernie discale lombaire ont été recensées, témoignant de l'aboutissement ultime de processus de dégradation discale souvent initiés des années auparavant.
Inégalités de genre : une surexposition féminine structurelle
L'un des enseignements majeurs des données récentes est la forte inégalité de genre face aux TMS. L'analyse genrée ne révèle pas seulement des différences physiologiques, mais surtout des ségrégations professionnelles.
Les femmes sont statistiquement plus touchées par les TMS du membre supérieur et les lombalgies chroniques. Cette surexposition s'explique par une concentration de l'emploi féminin dans des secteurs à fortes contraintes biomécaniques "légères" mais hautement répétitives (services à la personne, grande distribution, nettoyage, industrie agroalimentaire), souvent caractérisés par une faible latitude décisionnelle, un facteur aggravant connu (Risques Psychosociaux). De plus, la "double journée" de travail (professionnelle et domestique) réduit les fenêtres de récupération physiologique nécessaires à la régénération des tissus musculo-squelettiques.
Le phénomène massif de sous-déclaration
Il est impératif pour les décideurs de considérer que les statistiques officielles de l'Assurance Maladie souffrent d'un biais de sous-évaluation majeur. Les estimations de Santé Publique France et les retours de terrain des services de santé au travail alertent sur une sous-déclaration qui repart à la hausse.

Plusieurs facteurs concourent à cette invisibilité statistique :
- Précarité de l'emploi : les salariés en contrat court ou intérimaires hésitent à déclarer une maladie professionnelle par crainte de non-renouvellement.
- Complexité administrative : le parcours de reconnaissance des tableaux de maladies professionnelles est jugé complexe et dissuasif par de nombreux assurés.
- Méconnaissance médicale : certains médecins traitants ne font pas systématiquement le lien entre la pathologie et l'activité professionnelle, orientant les soins vers le régime maladie classique plutôt que le régime AT/MP.
Par conséquent, le poids réel des TMS sur la santé publique et l'économie est vraisemblablement supérieur aux 42 300 cas reconnus.

Chapitre 2 : dynamique de la sinistralité et disparités sectorielles
L'évolution des indicateurs de sinistralité entre 2023 et 2024 met en évidence un déplacement des risques. Si l'industrie lourde reste un pourvoyeur historique de TMS, la tertiarisation et la digitalisation de l'économie font émerger de nouveaux foyers de pathologies.
Analyse des tendances générales (2023-2024)
Le rapport annuel 2023 de l'Assurance Maladie - Risques Professionnels, publié en janvier 2025, acte une rupture dans les tendances historiques. Pour la première fois de manière aussi marquée, on observe une divergence entre la sécurité (accidents) et la santé (maladies).
- Accidents du Travail (AT) : une baisse de 1,5 % des accidents avec arrêt a été enregistrée en 2023. Le nombre total d'accidents est passé sous la barre des 600 000 (environ 590 000 en première estimation consolidée), confirmant l'efficacité relative des politiques de sécurisation des équipements et des sites.
- Maladies Professionnelles (MP) : à l'inverse, les maladies professionnelles ont bondi de 7,3 % en 2023, une tendance qui s'est accélérée en 2024 avec une hausse estimée à +8 % des nouveaux cas de TMS.
Cette augmentation des MP est un indicateur d'alerte : elle signale une intensification des rythmes de travail et une dégradation des conditions ergonomiques qui ne provoquent pas d'accident immédiat, mais consument le capital santé des travailleurs sur le moyen terme.

Focus sectoriel : les nouveaux et anciens visages du risque
L'analyse sectorielle détaillée pour 2024 permet de classer les secteurs selon l'intensité du risque TMS et leur dynamique d'évolution.
