Un réquisitoire contre l'échec de la Sécurité Sociale, la perversité du "compte pénibilité" et l'oubli de la seule véritable lutte : l'espérance de vie en bonne santé.

Le débat public français est aujourd'hui saturé. Une cacophonie de revendications "sociétales", de luttes "intersectionnelles" et de "complexifications" de la question sociale domine l'espace médiatique et politique. De doctes analyses néo-marxistes, important des concepts nés outre-Atlantique, nous expliquent la nécessité d'intégrer l'apport du féminisme, de l'anti-racisme et de l'anti-colonialisme pour enfin comprendre la domination de classe.

Pourtant, cette "intersectionnalisation" du débat, aussi intellectuellement stimulante soit-elle pour l'industrie académique, a surtout servi de puissant anesthésiant. Elle s'est révélée, comme le notent certains de ses critiques, un "outil du complexe néolibéral de gestion de la diversité". Elle a fragmenté le corps social en une myriade de chapelles identitaires, chacune cherchant la reconnaissance de sa souffrance spécifique, tout en refusant de "renoncer au monopole explicatif de la classe" pour ceux qui y restent attachés.

Cette polarisation est une aubaine. Elle oppose une vieille garde marxiste, qui ne jure que par les rapports de production , à une nouvelle garde "sociétale", qui ne parle que d'identité et de discriminations. Les deux, dans leur querelle stérile, occultent avec une complicité objective le fait social le plus brutal, le plus matériel, le plus indiscutable : la manifestation biologique de l'inégalité.
Car pendant que l'on débat du "plafond de verre" ou du "privilège blanc", un silence assourdissant recouvre l'inégalité fondamentale, celle qui sépare une vie saine d'une vie mutilée. La France, obsédée par la traque de la moindre discrimination , a organisé une discrimination de masse : celle qui condamne le prolétariat à une vie non seulement plus courte, mais surtout plus douloureuse. Le véritable scandale social français, le seul combat progressiste qui vaille , n'est pas "sociétal". Il est sanitaire.

La France, championne de la longévité, ventre mou de la santé
Le premier pilier du mensonge collectif français repose sur une confusion sémantique délibérément entretenue. La France se gargarise de son espérance de vie globale, l'une des plus élevées d'Europe. C'est le grand narratif de la réussite de notre modèle social, la preuve de l'excellence de notre système de santé.
Mais cette victoire est un trompe-l'œil. La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) a dû le concéder : si "les Français vivent plus longtemps", leur espérance de vie en bonne santé (EVBS), elle, "reste stable". Les gains de longévité ne sont pas des gains de vie saine. Ce sont des années de maladie, d'incapacité et de dépendance qui sont gagnées.


