80% de nos libertés fondamentales ont été bousculées par les mesures anti-pandémiques

80% de nos libertés fondamentales ont été bousculées par les mesures anti-pandémiques

Le confinement viole-t-il excessivement nos libertés publiques garanties par la Constitution ? Les lecteurs du Courrier des Stratèges savent que c'est une question que nous posons régulièrement. Nous ne sommes pas les seuls. En Allemagne, un juge de Berlin vient de saisir la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe en considérant que les mesures adoptées par Angela Merkel sont contraires aux libertés publiques. Voici la traduction de sa passionnante interview dans die Welt (traduction de François Stecher).

„C’est parfaitement clair – ce que nous vivons est contraire à la constitution“

De Andreas Rosenfelder

„Les droits fondamentaux sont là avant tout pour le temps de crise“: Pieter Schleiter, juge pénal au tribunal du Land de Berlin

La politique „Corona“ viole-t-elle la loi fondamentale ? Pour obtenir les éclaircissements nécessaires, le juge berlinois Pieter Schleiter a déposé un recours constitutionnel à Karlsruhe [ndt. : siège de la cour constitutionnelle fédérale]. Un échange sur l’attitude réservée du parlement – et le rôle douteux de la chancelière fédérale.

Pieter Schleiter est juge pénal au tribunal du Land de Berlin. Son bureau est spartiate : des volumes de commentaires sur les étagères, sur la table une plante solitaire. Le docteur en droit, 43 ans, a déposé un recours constitutionnel contre les mesures prises par l’État fédéral et les Länder dans le cadre de la lutte contre la pandémie. Il est par ailleurs co-fondateur du réseau „Kritische Richter und Staatsanwälte“ („Juges et procureurs critiques“).

WELT : Herr Schleiter, vous tenez la politique allemande menée dans le cadre de la pandémie pour une violation de la constitution. Reprochez-vous aux personnes qui la mènent d’agir avec cette intention ?

Pieter Schleiter : lorsqu’un politique admet la possibilité qu’il viole la constitution, mais agit néanmoins parce qu’il juge plus important le but qu’il poursuit, il s’agit bien d’une violation délibérée au sens juridique. Il en va de même d’un chauffard, qui, certes, n’a pas l’intention de tuer mais s’en accommode complaisamment – y compris lorsqu’il envisage seulement que par sa conduite, quelqu’un puisse perdre la vie. Si l’on transpose les principes de droit pénal du dol éventuel et du sens moral, les paragraphes 16 et 17 du code pénal à la politique, on peut à tout le moins poser la question de savoir s’il n’y a pas là une violation intentionnelle du serment prêté à leur prise de fonction aussi bien par le président fédéral que par la chancelière et les ministres fédéraux en vertu des articles 56 et 64 de la Loi Fondamentale : Je jure que je […] garderai et défendrai la constitution. Que Dieu me vienne en aide“.

WELT : Il y a beaucoup de gens qui se font une raison avec les restrictions liées à la pandémie. Pas vous. Pourquoi ?

Schleiter : Je respecte les règles, même si, à mon avis, elles n’ont en fin de compte aucun effet. Selon ma conception des choses, elles n’ont aucune valeur juridique. Mais je suis juge, et je crois qu’observer la loi a une valeur en soi. Si chacun disait qu’il les tient pour nulles et non avenues, nous aurions l’anarchie.

WELT : On doit respecter les lois même si elles ne sont pas contreviennent à la constitution ?

Schleiter : ce qui nous est imposé actuellement n’a pas encore atteint le point où apparaitrait une sorte de droit à la résistance. Si la situation juridique est encore dans deux ou trois ans celle que nous connaissons aujourd’hui, il faudra y réfléchir à nouveau. Mais j’espère que la justice va intervenir pour la corriger. Indépendamment de cela, en n’observant pas les règles, je m’attirerais une avalanche d’amendes que je ne pourrais absolument pas acquitter. Et mon supérieur hiérarchique s’en mêlerait. Je préfère donc soumettre une requête, comme il se doit dans un État de droit.

WELT : Un recours constitutionnel, cela s’envoie simplement à Karlsruhe par la poste ?

Schleiter : oui. Et le mien est vraiment une liasse épaisse, 190 pages imprimées en petits caractères, et encore 150 à 200 pages d’annexes. On l’envoie simplement comme un paquet par la poste au tribunal, et il est tamponné à la réception.

WELT : vous avez imprimé les pages internet qui sont citées comme preuves ?

Schleiter : j’ai imprimé en totalité les sources les plus importantes, que j’ai mises en annexe. Pour faciliter le travail, j’ai également ajouté un CD. De cette manière, les juges peuvent directement accéder aux preuves en cliquant sur les liens figurant dans le recours.

WELT : aviez-vous dès le départ des doutes quant à la conformité des mesures corona ?

Schleiter : en janvier 2020, j’ai été terriblement inquiet en voyant les images en provenance de Chine – j’ai même demandé à mon meilleur ami, qui est médecin, avec quels types de masque on pouvait se protéger. J’ai ensuite commandé des masques FFP2. J’étais alors, avec de l’avance, bien plus prudent que la plupart, et j’ai pris cela très au sérieux. Lors du premier confinement, j’ai commencé à lire les bulletins du RKI [ndt. : Robert-Koch-Institut], j’étais également un fan de Christian Drosten [ndt. : virologue de l’hôpital de la Charité, à Berlin, l’un des principaux conseillers de Merkel, bénéficiaire direct de la crise – il a mis au point le procédé des tests PCR spécifiques du SARS-CoV2, propagandiste de la peur ; actuellement sous le coup d’une multitude de plaintes, regroupées dans le cadre d’une „class action“ par maître Reiner Füllmich, avocat exerçant en Allemagne et en Californie]. C’est alors, à la fin de mars, que Drosten déclara que porter un masque était plutôt un geste de politesse. J’ai trouvé cela bizarre, parce qu’il me semble évident qu’un masque aide au moins à éviter les infections par les gouttelettes. Cela m’a semblé une manière charmante, pour le politique, de déconseiller à des millions d’Allemands d’aller dans l’instant acheter des masques, parce qu’il n’y en avait pas assez à ce moment-là.

WELT : à vous entendre, on comprend que vous tenez le masque pour une mesure raisonnable.

Schleiter : en partie, dans les espaces fermés, oui. Dehors, à l’air libre, je pense que c’est inutile, et c’est également ce que disent les scientifiques spécialistes des aérosols.

WELT : à cause de votre recours constitutionnel, le „Tagesspiegel“ vous a rangé au nombre de ceux qui minimisent la pandémie. Le journal a même rapporté, ce qui est très inhabituel d’un point de vue journalistique, qu’une fois, vous auriez enfreint la règle du port du masque dans la zone piétonne de Potsdam. Que s’est-il passé ?

Schleiter : cet article m’a passablement irrité. Je ne me vois pas comme j’y suis décrit. Pour ce qui est de l‘incident de Potsdam, il s’est passé que j’ai été encerclé par la police, elle-même accompagnée d’une équipe de télévision et de plusieurs journalistes de journaux régionaux, alors que je marchais au crépuscule dans une zone piétonne pratiquement vide de passants. Je ne portais pas de masque parce que cela me paraissait insensé dans la zone piétonne déserte, et que je regardais les fondements juridiques de l’ordonnance [prescrivant le port du masque, ndt] comme n’étant pas établis, la loi de protection contre les infections n’ayant pas encore été modifiée. C’est du reste ce que j’ai expliqué au représentant de la police, sous l’œil de la caméra. J’ai ressenti cela comme un guet-apens.

WELT : quand avez-vous commencer à remettre en question la stratégie du confinement ?

Schleiter : lorsque les premiers chiffres sont sortis, début avril, j’ai constaté que le 22 mars, date du début du confinement, la valeur du R était déjà retombée en-dessous de un. J’ai pensé, ce n’est pas vrai – et le politique nous a vendu le confinement comme une mesure impérative, afin d’éviter la propagation exponentielle. J’ai alors lu tout ce qui me tombait sous la main pour essayer de comprendre. Et j’ai commencé à lire les premiers essais et commentaires, des pièces juridiques. Pour moi, les questions décisives étaient les suivantes : comment le politique s’y prend-il avec les faits ? Avec quelle transparence agit-il ? Est-ce que l’on s’appuie sur toute la palette des expertises disponibles ? C’est seulement lorsque l’on écoute tous les partis que l’on peut se forger une opinion.

WELT : les experts sont également invités dans les tribunaux. Quel rôle y jouent-ils ?

Schleiter : un expert que l’on tient pour très mou aura de la responsabilité pénale de l’accusé une évaluation très différente de celle d’un dur. Le choix de l’expert peut donc influencer le résultat du procès. Et, dans la politique allemande face à la pandémie, on n’a, dès le début et pour l’essentiel, fait appel qu’aux experts de deux domaines, la médecine et la virologie-épidémiologie, les seuls à être écoutés et pris au sérieux. Où étaient les sociologues, les psychologues, les économistes, les juristes ?

WELT : y avait-il une expertise juridique ?

Schleiter : dès le 2 avril 2020, un rapport d’expertise du service scientifique du Bundestag, c’est-à-dire de la maison-mère elle-même, était disponible. À la lecture attentive et éclairée du document, on conclut que les amendements apportés à ce moment-là à la loi sur la protection contre les infections, amendements qui constituaient la base des atteintes de grande portée [aux droits fondamentaux], sont contraires à la constitution. Le 9 septembre, il y a eu une audition devant la commission de la Santé du Bundestag, avec des dépositions des professeurs Thorsten Kingreen, Ferdinand Wollenschläger et Michael Elicker. Kingreen et Elicker ont exposé sans détours que ce qui se passait violait la constitution. Seul Wollenschläger est resté abstrait et n’a pas émis de critique. Lors de l’audition suivante, le 12 novembre, les deux esprits critiques, Kingreen et Elicker n’étaient déjà plus là, alors que Wollenschläger avait été ré-invité. Lors de cette audition, deux femmes courageuses ont également pris la parole : Andrea Kießling et le professeur Anika Klafki. Les deux ont également déclaré : oui, c’est contraire à la constitution, comme du reste la grande majorité des juristes de droit public interrogés. Début janvier, lorsque la conférence du Bund et des Länder s’est réunie pour décider de la prolongation du confinement dur, on n’a auditionné comme experts que des médecins, des épidémiologistes et des physiciens.

WELT : et qu’est-ce que vous en concluez ?

Schleiter : à tout le moins qu‘il faut poser des questions : les acteurs politiques se sont-ils forgé une opinion définitive et sont-ils fermés à la nouveauté ? Ou bien est-ce que cela leur est simplement égal ? Les deux seraient inquiétants. Nous n’opérons pas dans un espace de non-droit. La république fédérale d’Allemagne s’est donnée une constitution. Et les droits fondamentaux sont là avant tout pour les temps de crise. Dans la vie de tous les jours, ils sont plutôt un bon guide pour ciseler la jurisprudence.

WELT : on a déjà apporté tous les dossiers possibles à Karlsruhe, avec la plus grande attention : le crucifix, le foulard [islamique, ndt.], la redevance de l’audiovisuel.

Schleiter: oui, et cela a fonctionné merveilleusement, jusqu’à aujourd’hui. Les jugements rendus ont même pu être presque trop fins dans de nombreux domaines, si bien que la justesse de traitement des cas particuliers a pu nuire à la clarté du droit. J’ai aujourd’hui le sentiment que nous vivons une évolution inverse. Nous avons établi la protection de la santé en but supérieur et nous lui soumettons tout le reste.

(à suivre)