????Exclu: La vraie histoire de de Zemmour et d’Albin Michel

????Exclu: La vraie histoire de de Zemmour et d’Albin Michel
30.05.1968, manifestation de soutien au général de Gaulle.

Aujourd'hui, dans les "Droites de Husson": - Gribouille est de droite et il est légion ! - A quoi sert la droite ? - Eric Zemmour et Albin Michel : la vérité sur une rupture

"La droite la plus bête du monde": l'expression est de Guy Mollet, en 1957. Souvent citée,  la formule n'est jamais placée dans son contexte. L'ancien président du Conseil reprochait à la droite parlementaire de ne pas vouloir s'associer à la SFIO pour mettre en oeuvre une politique raisonnable de transferts sociaux. Et il ajoutait que c'était faire le jeu des partis "anti-démocratiques": communistes et gaullistes du RPF. Non seulement Mollet utilisait une ficelle qui a resservi maintes fois depuis, de l'interdit mitterrandien sur l'alliance avec le Front National au "en même temps" macronien. Mais la bêtise de la droite ne vient pas de ce qu'elle refuserait de s'allier au centre-gauche. Puisque le faire la conduit à chaque fois à sa perte. Elle ne tient pas seulement aux divisions qui la minent; et qui bien des fois lui ont fait perdre le pouvoir. Elle vient essentiellement de ce que la droite, qu'elle soit orléaniste, bonapartiste ou légitimiste, a le plus souvent une fâcheuse tendance à mépriser ce qui est sa raison d'être: la nation telle qu'elle est, avec son besoin de protection et d'adaptation - et non telle que des idéologues ou l'étranger voudrait qu'elle soit. Or, il faut bien le dire, de Xavier Bertrand à Marine Le Pen, d'Eric Zemmour à Valérie Pécresse on joue actuellement d'autres cartes que celles de la nation et du réel face aux abstractions et aux sectarismes  de la gauche.

Gribouille est de droite. Et il est légion !

On a connu la lettre de Monsieur de Rastignac – célèbre pastiche proposé depuis de longues années par Valeurs Actuelles – plus inspirée. Si vous voulez comprendre les petites manœuvres qui ont vu s’affronter cette semaine, Xavier Bertrand d’une part (que le chroniqueur affuble du nom Jérôme-Nicolas Séchard) et, d’autre part, le trio Laurent Wauquiez (Léopold de Werther), Bruno Retailleau (Bruno de Morsauf) et Valérie Pécresse (Sidonie L’Estorade), vous aurez toutes les informations que vous souhaitez. Le trio veut à tout prix empêcher Xavier Bertrand de s’envoler dans les sondages, pousse à des primaires, ce sur quoi le bureau politique du parti est sorti très divisé d’une réunion mardi 6 juillet. Xavier Bertrand, lui, refuse les primaires.   Notre ami Rastignac dédramatise et assure espérer que le bon sens l’emportera. On l’a connu plus mordant et féroce dans la retranscription de la comédie politique française.  

En fait, cela ne traduit-il pas l’angoisse qui est celle de beaucoup de gens sincèrement de droite? Tout devrait être fait pour battre Emmanuel Macron. A commencer par l’organisation des forces, la construction d’un collectif. Une petite dynamique était possible au soir du second tour des régionales. Et ceci d’autant plus que Marine Le Pen a subi un véritable échec; et que son discours de Perpignan a confirmé qu’elle était peu portée à apprendre de ses défaites. 

Eh bien non ! Gribouille est de droite et il a tendance à proliférer. Xavier Bertrand, loin de tendre la main à Laurent Wauquiez pour lui proposer une alliance en vue de gagner, continue sa course solitaire. Un sentiment diffus se répand dans l’opinion selon lequel l’homme manquerait de l’envergure nécessaire à la fonction à laquelle il aspire. Est-ce normal qu’un hashtag ait fait fureur toute la soirée du 8 juillet #XavierBertrandLeProuteur, qui transforme le président réélu des Hauts de France en personnage de la Soupe aux Choux? Mais comment Laurent Wauquiez et Valérie Pécresse peuvent-ils sérieusement, chacun d’entre eux, penser que la France va se passionner pour leur éventuelle candidature alternative à celle de Xavier Bertrand? 

Et puis, en même temps que l’on parlait primaires chez LR, Christian Jacob en a profité pour mettre fin aux fonctions de Guillaume Peltier comme vice-président du parti. Guillaume Peltier lui-même essaie de sauver la face à son parti en expliquant que c’est parce qu’il a pris parti pour Xavier Bertrand. En fait, tout le monde sait bien que c’est la conséquence du coup de barre à droite que Guillaume Peltier avait suggéré de donner, avant les élections régionales. On peut, comme Nicolas Sarkozy, cette semaine, auprès de plusieurs interlocuteurs qui me l’ont rapporté, se lamenter sur le faible niveau des candidats potentiels et du parti en général. Mais l’ancien président a-t-il vraiment envie de se réjouir à nouveau en 2022, après 2017, d’avoir été le « dernier président de droite »? 

A quoi sert la droite ?

C’est en France que sont nées, à l’occasion du débat sur le droit de veto du roi dans la constitution en août-septembre 1789, les notions de droite et de gauche. Les partisans du veto royal sont allés se placer  à droite du président de séance et les adversaires à gauche. Le débat était entre ceux qui partaient de la souveraineté réelle, incarnée dans le monarque, capable de modérer les passions de l’Assemblée – et Louis XVI en fit un usage si efficace et intelligent politiquement qu’après  l’émeute du 20 juin 1792, où il avait tenu seul face à la foule pendant six heures, des « pétitions » arrivèrent de toute la France pour « féliciter le Roi d’avoir sauver la Constititution au péril de sa vie ». Hélas, ayant perdu le contact avec le pays profond, les frères du Roi et les émigrés, comme l’ont définitivement établi Paul et Pierrette Girault de Coursac, poignardèrent le souverain dans le dos par la proclamation du Manifeste de Brunswick, publié, nous le savons maintenant, contre la volonté de Louis XVI. Au fond, l’histoire de la Révolution est celle du « péché originel de la droite »: le souverain réformateur fut d’abord confronté  au refus des privilégiés d’acquitter leur part d’impôt; puis à la passion anticatholique dont l’historien Jean Dumont a bien montré qu’elle envenimait en permanence les compromis politiques possibles et imaginés par cette très grande intelligence politique qu’était Louis XVI (dont le meilleur portrait, fidèle à l’histoire, se trouve dans le livret de La Clémence de Titus, l’avant-dernier opéra de Mozart, en 1791). Or, loin de faire bloc autour d’un souverain qui avait lu les cahiers de doléance et prenait au sérieux leur demande de plus de gouvernement local en même temps que leur aspiration à l’égalité de tous devant l’impôt, les orléanistes comme les émigrés, pour des motifs différents mais avec un résultat convergent, jouèrent contre la souveraineté réelle.  Ils jouèrent contre l’aspiration au renforcement des libertés locales.  Ils se firent soit les complices soit les alliés objectifs de tous les idéologues voulant soumettre la réalité du pays à des expressions abstraites de la souveraineté; et de tous les prédateurs qui utilisaient le slogan de la « liberté individuelle » pour déchirer le tissu des libres associations qui font le maillage des « libertés collectives » – et donc la meilleure défense, au final, des droits des personnes. C’est ce que Tocqueville a magnifiquement analysé dans L’Ancien Régime et la Révolution ou dans la Démocratie en Amérique (éloge d’une « République conservatrice »). 

Tout se passe aujourd’hui, comme si les courants éclatés de la droite s’acharnaient à reproduire les erreurs du passé.

Ce que nous disons de la politique sanitaire s’applique à bien d’autres domaines. Alors que le baccalauréat 2021, avec une réussite de 95%  au bac général, est une diplomation désormais sans signification, qui laisse les jeunes gens les plus vulnérables  partir sans défense dans les études et dans la vie professionnelle, Laurent Wauquiez juge adéquat de féliciter les bacheliers pour leur réussite!  Alors que de moins en moins de zones du territoire échappent à l’insécurité et qu’il faut attendre qu’un Ministre prenne l’avion pour que le Président se fâche de l’absence de contrôle aux frontières, l’obsession de Madame Le Pen est d’avoir l’air moins à droite qu’Eric Zemmour. Etc…

En fait, si la droite n’est pas là pour défendre le réel contre tous les nominalismes de la gauche; si la droite ne refuse pas cette moderne version de la lutte des classes qu’est le macronisme , expression française de la « révolte des élites » si brillamment analysée par Christopher Lasch, Christophe Guilluy ou Joel Kotkin; si la droite ne s’interroge pas sur les moyens concrets de rétablir la méritocratie scolaire ou de réindustrialiser la France. Si elle ne dénonce pas l’imposture écologiste, nouvel horizon utopique d’une gauche post-marxiste, à quoi la droite peut-elle bien servir? Elle trahit sa raison d’être. 

On dit souvent que la droite est potentiellement majoritaire dans le pays. mais c’est parce qu’une population refuse toujours majoritairement les idéologies et va spontanément vers les forces politiques qui lui proposent protections et libertés. La droite française est le plus souvent perdante non seulement du fait des rivalités individuelles qui la déchirent mais aussi de par le refus partiel du réel de ses différentes composantes. Nous vivons dans un pays dont les élites croient souvent que l’on innove mieux à l’étranger qu’en France; dont la bourgeoisie, depuis la Révolution, entretient les conflits sociaux comme des prophéties auto-réalisantes; et où les débats de principe relèvent à la fois d’un passe-temps national mais aussi de la paresse face au réel. S’il est vrai que la formule de Guy Mollet sur « la droite la plus bête du monde » était celle d’un homme de gauche intéressé à diviser ses adversaires, on hésite à qualifier le fiasco de ces derniers jours chez LR: paresse intellectuelle, manque de courage et vanités individuelles s’y disputent la palme. 

Eric Zemmour et Albin Michel: la vérité sur une rupture

Depuis qu’il joue publiquement avec l’idée d’une candidature, Eric Zemmour cite régulièrement la déclaration de Jacques Bainville à la fin de sa vie, regrettant d’être resté dans le domaine de l’analyse et de ne pas être entré dans le royaume de l’action.  Lisons le compte-rendu que Zemmour faisait, récemment, de confidences citées par le biographe le plus récent de l’historien: 

« Son fils, Hervé, a raconté à Christophe Dickès le désespoir de ses dernières années: «Tout ce que j’ai fait est stérile…» Il regrette de ne pas avoir participé à la vie politique de manière plus active. De ne pas avoir abandonné son métier de journaliste. Il rumine sans apitoiement sur soi: «Pourquoi si bien prévoir et pouvoir si médiocrement? J’ai toujours eu le tort de ne pas viser assez haut. Excès de fausse modestie, fausse fierté! Méfiance exagérée de soi même, sentiment d’impuissance.»

Sur son lit de mort, à un de ses amis qui lui vante ses qualités journalistiques et son aura internationale, il réplique: «Que voulez-vous que cela me fasse! J’étais fait pour m’asseoir à la table de Vergennes» (le ministre des Affaires étrangères de Louis XVI qu’il admirait).

Il faut imaginer Cassandre malheureuse ». 

Eric Zemmour pourrait commenter en disant que l’on sait aujourd’hui que Vergennes n’était que le fidèle exécutant de la stratégie définie par Louis XVI. Mais ce qui n’est pas ce qui l’intéresse. Les propos de Bainville lui ont fait l’effet d’une révélation personnelle.

Le regretté René Girard (1923-2015) aurait pu épingler Eric Zemmour dans la liste, aussi vieille et universelle que l’humanité, des individus victimes du désir mimétique. Zemmour est trop supérieur à la plupart de ses contemporains pour succomber à un désir mimétique ordinaire. Il est doté en particulier d’un courage rare dans notre société. Mais Girard aurait ajouté que le démon du mimétisme est protéiforme. Eric Zemmour va chercher chez Jacques Bainville un modèle à imiter. Il admire certainement Bainville, sincèrement. Mais en l’occurrence Bainville est le prétexte pour justifier l’ambition politique venue sur le tard au chroniqueur de C-News. 

Mais Eric Zemmour croit-il vraiment que l’on puisse rendre Cassandre heureuse?  En tout cas s’il croit que la politique viendra combler la frustration que génère la lucidité face au déclin du pays, il se trompe. Il se pourrait même que l’homme Zemmour perde beaucoup dans une aventure dont il n’est pas sûr qu’elle soit faite pour lui. 

Je vais peut-être surprendre mes lecteurs; mais dans la querelle qui oppose l’écrivain à son éditeur Albin Michel, j’ai tendance à écouter l’éditeur avec attention. Faisant beaucoup de politique depuis quelques mois, Eric Zemmour était en retard pour rendre son manuscrit. Or il a voulu maintenir le calendrier initialement imaginé et imposer, en vue d’une éventuelle candidature à la présidentielle, que le livre sorte bien en septembre, comme prévu. Comme si l’édition n’avait pas ses rythmes, ses lenteurs, même. Dans l’édition française, le délai aujourd’hui incompressible entre la remise d’un manuscrit à un éditeur et sa mise en place en librairie est de quatre mois minimum, plus souvent cinq ou six.  Si Eric Zemmour a vraiment pensé qu’il pourrait contraindre un éditeur à presser le pas pour cause de calendrier politique, certains jugeront sans doute que c’est un comportement très « France d’en haut » (pourquoi faire, même à Zemmour, un statut d’exception par rapport à l’auteur lambda, demanderont-ils?); pour ma part, je me contenterai de penser que l’éditeur a raison de distinguer les ordres. L’édition n’est pas un meeting politique. Il  y avait bien risque d’instrumentalisation. 

Je comprends bien qu’on puisse vouloir alimenter le récit d’un Monsieur Z  se battant contre l’establishment.  Pour autant je ne suis pas sûr qu’Eric Zemmour se rende service par un tel raccourci en ce qui concerne son livre. Et le geste de Philippe de Villiers quittant Albin Michel par solidarité a du panache. Mais je ne suis pas sûr qu’il soit intelligent sur le long terme d’abandonner une position de force chez un grand éditeur parisien quand on a l’audience d’un Zemmour ou d’un Villiers. 

A vrai dire, la question à poser va bien au-delà de l’édition d’un livre. Eric Zemmour est devenu l’un des plus grands influenceurs de France à force de courage et de lucidité. Travaillé par l’ambition, il semble désormais vouloir se lancer dans l’arène du combat politique. Au risque de voir s’éroder rapidement les positions très solides qu’il a conquises. Je trouve fort sympathiques tous les jeunes qui s’engagent pour Zemmour. A vrai dire, ils sont l’étalon de la confusion chez LR dont nous parlions précédemment. Car la plupart sont des déçus de LR plutôt que des militants RN.. Ils étaient venus en nombre à la Convention de la Droite en septembre 2019.  Mais précisément, Zemmour n’a-t-il pas un rôle à jouer pour faire gagner la droite? Non pas en étant lui-même candidat à la présidence mais en devenant faiseur de roi: peut-être LE faiseur de roi. Imaginons que soir après soir, intervention après intervention, sur C-News, l’éditorialiste trace les contours d’un vrai programme présidentiel  de droite; ou bien invite, quand sa compétence est limitée, ceux qui ont quelque chose à dire sur le sujet. Son influence pourrait être énorme et le pouvoir pourrait difficilement le faire taire.  

En réalité, Eric Zemmour, s’il se lance, prendra peu d’électeurs au Rassemblement National. Il mordra surtout dans l’électorat de François Fillon, de Nicolas Dupont-Aignan et dans celui de la « droite hors les murs ».  C’est Emmanuel Macron qui a le plus d’intérêt à la candidature d’Eric Zemmour car ce dernier pourrait empêcher un candidat LR d’arriver au second tour. Alors qu’un candidat LR avec le soutien de Zemmour – intelligemment négocié par les deux parties – pourrait gagner. Et imaginons même qu’aucun candidat LR n’ait le courage de se montrer avec Zemmour:  Marine Le Pen pourrait-elle mieux combattre l’abstention et accroître ses (maigres mais existantes) chances de gagner  qu’en ayant rallié à elle un candidat capable d’attirer  entre 5 et 10% de l’électorat (et sans doute son potentiel électoral de 13% s’il n’est pas candidat) ? 

Eric Zemmour sera-t-il vaincu par le démon mimétique de l’ambition ou sera-t-il l’un de ceux qui permette ce qui devrait être la priorité de toute la droite: faire battre Emmanuel Macron?