????Sanofi : quand les Français veulent le beurre, l’argent du beurre, et le sourire des Américains

????Sanofi : quand les Français veulent le beurre, l’argent du beurre, et le sourire des Américains

Sanofi fait scandale en annonçant une possible mise à disposition de son (éventuel) prochain vaccin anti-COVID19 au bénéfice prioritaire du public américain. Beaucoup reproche au laboratoire pharmaceutique français de profiter du CICE et du Crédit Impôt Recherche sans contrepartie. La polémique pose clairement la question des attaches françaises de notre entreprises transnationales. Et si les Français voulaient le beurre, l’argent du beurre, et le sourire de la crémière américaine dans cette affaire ?

Une chose est sûre : Paul Hudson, le directeur général de Sanofi, ne remportera pas un grand prix de communication. L’intéressé vient de faire scandale en déclarant à Bloomberg que les États-Unis seraient servis en premier si Sanofi découvrait le bon vaccin contre le Covid19. En réalité, les propos de l’intéressé ont été plus nuancés, mais cette nuance n’intéresse évidemment ni la presse française ni une opinion chauffée à blanc par la gestion désastreuse de l’épidémie.

L’affaire illustre à merveille la relation compliquée des Français avec leurs entreprises et avec la mondialisation.

Ce que Sanofi a réellement dit

Dans les colonnes de Bloomberg, Paul Hudson a eu une communication maladroite, il faut bien le reconnaître, puisqu’il a donné le sentiment d’accorder par principe une priorité au public américain, alors que la réalité est très différente. Dans la pratique, Sanofi mobilise plusieurs équipes sur la recherche d’un vaccin, certaines en Europe, d’autres aux États-Unis.

Il se trouve que la recherche américaine est menée avec le soutien financier (à hauteur de 30 millions $) par le BARDA, Biomedical Advanced Research and Development Authority, entité du ministère américain de la Santé, qui exige une contrepartie à son aide : les Américains doivent être servis en premier.

On peut critiquer la méthode, il n’en demeure pas moins qu’elle obéit à une certaine logique : l’argent du contribuable américain doit profiter aux Américains. Ce principe est d’ailleurs parfaitement compris et revendiqué par ceux qui considèrent que, Sanofi bénéficiant d’un important crédit d’impôt en France, devrait servir les contribuables français en premier.

“The U.S. government has the right to the largest pre-order because it’s invested in taking the risk,” Hudson said. The U.S., which expanded a vaccine partnership with the company in February, expects “that if we’ve helped you manufacture the doses at risk, we expect to get the doses first.”   

Paul Hudson

Sanofi avait prévenu depuis un mois du défaut de coopération des Européens

Dans ce dossier, Sanofi explique depuis plusieurs semaines que l’Union Européenne n’a pas trouvé la bonne méthode pour coopérer avec l’industrie pharmaceutique. Dans une interview à l’Usine Nouvelle, Paul Hudson avait déjà averti qu’il risquait d’être contraint à servir les USA en premier, faute d’un engagement européen, et notamment français. Il a réitéré ses propos dans les colonnes de Bloomberg, en affirmant qu’un débat devait s’ouvrir en Europe sur les relations avec l’industrie pharmaceutique…

La France plus attentive aux laboratoires américains qu’à SANOFI ?

Ce conflit avec Sanofi intervient dans le contexte épineux du dossier de l’hydroxychloroquine, que de nombreux décideurs français ont diabolisé à outrance, alors même qu’il est produit par Sanofi. Le rapprochement des deux opérations est cocasse. Il y a un mois, les élites françaises n’avaient pas de mot assez durs pour dénoncer le recours à l’hydroxychloroquine de Sanofi comme n’étant pas sérieuse. Un mois plus tard, les mêmes reprochent à Sanofi de privilégier les États-Unis.

Voilà bien ce qui s’appelle vouloir le beurre et l’argent du beurre.

"nous produisons aujourd’hui les lots cliniques pour lancer le développement clinique, comme des lots d’antigène contre ce coronavirus, a annoncé à L’Usine Nouvelle Philippe Luscan, le vice-président en charge des affaires industrielles du groupe Sanofi. Seuls deux ou trois acteurs mondiaux disposent de cet outil industriel pour le faire. Chaque année depuis cinq ans, nous investissons plus de 1 milliard d’euros dans nos usines, dont 400 millions dans les vaccins. Là nous avons deux pistes de travail, nous sommes en train de monter en puissance notre outil industriel, car dans les vaccins il faut tout de suite avoir une vision de système planétaire, être capable de produire des centaines de millions de doses."   

Philippe Luscan, Sanofi

Sanofi n’est plus vraiment une entreprise française

Au demeurant, les liens de Sanofi avec la France ont quand même beaucoup perdu en intensité ces dernières années, compte tenu de la difficulté qu’il y a à maintenir une activité industrielle en France. Sanofi emploie 100.000 personnes en tout, mais seulement 25.000 en France.

Affirmer que Sanofi est un laboratoire français vivant des largesses du contribuable français relève donc du fantasme totalement obsolète. En réalité, l’internationalisation du groupe commencée dans les années 80 a débouché sur une authentique mondialisation de l’entreprise. L’essentiel de son activité est aujourd’hui réalisée à l’étranger, dont plus du tiers sur les marchés émergents, et un huitième aux États-Unis.

Dans ces conditions on voit mal pourquoi l’entreprise se sentirait moralement obligée de privilégier la France, alors que celle-ci ne lui a guère accordé de privilège dans l’affaire de l’hydroxychloroquine, et alors même que l’Union Européenne s’est révélée incapable de soutenir l’effort de recherche contre le coronavirus, quand les autorités américaines investissaient 30 millions $ en urgence.

Au demeurant, les autorités européennes ne semblent guère pressées d’autoriser un éventuel vaccin de Sanofi…

Le débat compliqué sur la relocalisation commence

Derrière le caractère très passionnel de ce débat, on comprend bien que la question des relocalisations de l’activité commence à occuper l’opinion française. Dans la pratique, ce débat est bien mal embouché en France, avec un point de vue biaisé dans l’opinion française qui veut à la fois dénoncer les dégâts du néo-libéralisme mondialiste, et récupérer pour son propre profit les pires travers de celui-ci.

Rappelons qu’il y a trois semaines, la France n’a pas hésité à briser la solidarité européenne pour restreindre l’exportation de certains médicaments fabriqués sur notre sol. Et là, on n’a entendu aucune déclaration bienveillante de la art des donneurs de leçons.