Retraites : jusqu’où le gouvernement pourra-t-il rester sourd à la grogne dans les rues ?

Retraites : jusqu’où le gouvernement pourra-t-il rester sourd à la grogne dans les rues ?


Partager cet article

Dans la contestation qui persiste sur le dossier des retraites, le gouvernement joue un jeu dangereux, qui échappe manifestement à Emmanuel Macron : passer en force, sans répondre clairement aux opposants qui se radicalisent (mais en lâchant de coûteuses concessions pour éviter des blocages majeurs). Cette technique qui s'assied allègrement sur la logique de dialogue expose fortement le pays à un risque d'implosion massive.

La réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron vire à l’affaire des Gilets Jaunes. D’un côté, une contestation rampante dans les rues, persistante, entêtante, tourne progressivement à la radicalisation. Les images que nous affichons ici le montrent. La manifestation parisienne de ce jour a donné lieu à des scènes violentes et les confrontations entre protestataires et forces de l’ordre tournent peu à peu au vinaigre. D’un autre côté, le gouvernement droit dans ses bottes tourne le dos à la contestation et impose une politique envers et contre tout.

Les retraites et l’étrange entêtement d’Édouard Philippe sur l’âge-pivot

Un jour, au calme, il faudra chercher à comprendre l’étrange scénario psycho-rigide qui a mis des centaines de milliers, probablement des millions de Français dans la rue pour la défense d’un âge-pivot qui n’a guère de sens. Bien entendu qu’il est important de défendre les comptes publics et leur équilibre. Mais la meilleure défense de ceux-ci passait par une négociation pacifique avec la CFDT pour faire passer la réforme avec un minimum de concessions à lâcher. Loin de cette solution de bon sens, Édouard Philippe a choisi l’inverse : cliver, affronter, et en bout de course payer plus cher l’adoption d’une mesure qui bénéficiait d’un soutien syndical initial utile.

Pour gagner quoi? Édouard Philippe souhaite un âge-pivot à 64 ans et les Français partent effectivement à la retraite aujourd’hui après 63 ans. Autrement dit, le coût politique de son entêtement sera très élevé (probablement plusieurs milliards par an pendant plusieurs décennies) pour un bénéfice financier quasi-nul. C’est absurde. C’est incompréhensible.

Les élites parisiennes n’aiment pas le dialogue social

En termes de gouvernance, le spectacle donné par Édouard Philippe procède au mieux d’un populisme poujadiste. Au lieu d’une réforme négociée à l’allemande, avec bon sens et mesure, le Premier Ministre choisit la voie d’un affrontement sans compromis apparemment possible. Cette attitude disqualifie par principe la notion de dialogue social. On retrouve la préférence de la bourgeoisie parisienne pour l’ordre imposé à la réforme négociée.

On comprend que cette stratégie flatte l’électorat de droite à l’approche d’élections municipales où En Marche n’a plus guère d’espace que sur les terres des Républicains. La fermeté est sans doute perçue comme payante électoralement. Le calcul du Premier Ministre, et peut-être d’Emmanuel Macron, ne doit pas aller au-delà. Pendant ce temps, c’est une sorte d’équilibre sous-optimal qui se met en place et se généralise : la dispute vaudrait mieux que la concorde.

Jusqu’où la surdité sociale peut-elle mener ?

Toute la question est de savoir à quel risque le Premier Ministre expose le pays en menant cette stratégie de l’extrême. En regardant les images tournées dans le cortège qui a défilé à Paris, la montée de la violence et des tensions est flagrante. C’est le prix à payer pour cette rigidité où le pouvoir exécutif assume de passer en force malgré les blocages. Progressivement, comme l’an dernier avec les Gilets Jaunes, la rue se durcit, et les opposants qui n’abandonnent pas le combat se montrent de plus en plus agressifs.

On a tous bien compris que le gouvernement ne peut pas abandonner la partie sans dommage politique majeur après plus d’un mois passé dans cette seringue du conflit social qu’il a absurdement choisi. Il n’en reste pas moins que le compromis rapide souhaité par le Président n’est pas prêt d’arriver, et que le projet de loi sera déposé sans compromis préalable.

C’est le genre de stratégie qui passe ou qui casse. Peut-être le gouvernement fera-t-il passer sa réforme sans avoir convaincu de son bien-fondé. Peut-être, à force de tirer sur la corde sociale, finira-t-elle (ce que nous croyons inévitable dans les six mois à venir sans pouvoir le prouver) par casser. Il faut que nous ayons bien conscience que cette rupture (pour, au fond, pas grand chose) risque d’avoir des conséquences désastreuses, voire cataclysmiques.


Partager cet article
Commentaires

S'abonner au Courrier des Stratèges

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter pour ne rien manquer de l'actualité.

Abonnement en cours...
You've been subscribed!
Quelque chose s'est mal passé
Guide opérationnel pour une épargne en "Barbell Strategy" : placer 100.000€ en anti-fragile !

Guide opérationnel pour une épargne en "Barbell Strategy" : placer 100.000€ en anti-fragile !

Aujourd'hui, le Courrier des Stratèges vous propose un Guide opérationnel pour placer 100.000€ en Barbell Strategy. Nous vous proposons un "portefeuille" qui sera mis à jour tous les mois. Vous pourrez ainsi suivre régulièrement les performances de ces placements. Dans un monde financier caractérisé par une complexité croissante et des chocs imprévisibles, les modèles traditionnels de gestion de portefeuille, fondés sur la diversification et l'optimisation du couple rendement/risque, montrent l


Rédaction

Rédaction

Le point complet sur la folie fiscale de l'Assemblée Nationale, par Elise Rochefort

Le point complet sur la folie fiscale de l'Assemblée Nationale, par Elise Rochefort

Cet article analyse les amendements adoptés par l'Assemblée nationale en séance publique sur la première partie du PLF 2026, en date du 31 octobre 2025. Le processus législatif étant en cours, avec un vote solennel prévu le 4 novembre 2025, le texte final est susceptible d'évoluer. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 a été présenté par le Gouvernement dans un contexte macroéconomique et budgétaire particulièrement contraint. Les prévisions tablent sur une croissance modérée à +1,0% en


courrier-strateges

courrier-strateges

Emmanuel Todd, le déclin de l'Occident et la séduction de l'ombre, par Thibault de Varenne

Emmanuel Todd, le déclin de l'Occident et la séduction de l'ombre, par Thibault de Varenne

Emmanuel Todd est l'un des chantres les plus en vue de la puissance russe et de sa capacité à combattre la décadence occidentale. Mais s'agit-il d'une approche scientifique, ou d'un récit ciselé pour nourrir les croyances et les fantasmes d'un public sous état d'hypnose ? Emmanuel Todd occupe une place singulière dans le paysage intellectuel français. Historien, démographe, anthropologue, il est célèbre pour ses analyses à contre-courant et ses prédictions audacieuses, dont la plus fameuse


Rédaction

Rédaction

Le crépuscule de l'Occident et l'appel du Sauveur Poutine, par Thibault de Varenne

Le crépuscule de l'Occident et l'appel du Sauveur Poutine, par Thibault de Varenne

L'Occident est en pleine décadence et Poutine est le défenseur des valeurs traditionnelles qu'il fera triompher face au nihilisme woke ! Cette chanson bien connue s'appuie-t-elle uniquement sur une analyse raisonnée de l'histoire contemporaine ? Dans quelle mesure projette-t-elle aussi les angoisses de ceux qui la propagent ? Thibault de Varenne passe cette vision au crible de la triade sombre. L'histoire humaine n'est pas un long fleuve tranquille. C'est un océan chaotique de causes et de


Rédaction

Rédaction