Renault enterre toutes les élucubrations sur la relance verte et les relocalisations

Renault enterre toutes les élucubrations sur la relance verte et les relocalisations


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Relance verte, relocalisations… Tous ces mots ont bien animé la galerie et les apéros Zoom parisiens pendant le confinement. Mais ils n’auront pas résisté plus de deux semaines au déconfinement. L’arrivée imminente de vagues de licenciement en sonnent le glas. Et on entre dans le vif avec Renault.

Les élucubrations post-modernes sur la relance verte et les relocalisations (marottes temporaires qui dissimulent à peine une volonté propre à l’écologie superficielle de conserver tous les avantages du capitalisme tout en éliminant ses externalités négatives) n’auront pas survécu quinze jours au confinement. Renault vient en effet d’annoncer la fermeture de sites de production en France, dont celui de la Zoé, la voiture électrique que Bruno Le Maire s’était engagé à aider. Les politiques pérorent, les industriels agissent et ferment le ban.

Renault enterre les illusions de relocalisation

Selon une indiscrétion recueillie par les Échos, Renault envisagerait de fermer trois sites de production en France pour réduire ses coûts. Les petits sites de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) et des Fonderies de Bretagne à Caudan (Morbihan), devraient être fermés, tout comme l’usine de Dieppe (Seine-Maritime), site emblématique de l’Alpine, “dans un horizon assez proche”.

Les effectifs de Choisy (rénovation moteurs), Caudan et Dieppe représentent dans chaque cas plusieurs centaines de personnes.

Le journal ajoute que le site de Flins (Yvelines), qui produit la Zoé électrique et emploie 2.600 personnes, pourrait quant à lui cesser de produire des véhicules d’ici quelques années et se voir confier d’autres activités, comme celles qui serait transférées depuis Choisy.

Il est intéressant de noter que la production de Zoé, les voitures électriques, ne serait donc plus assurée. En tout cas plus en France. Cette décision balaie d’un coup tous les espoirs fondés sur une relocalisation en France d’une industrie verte. Jean-Dominique Sénard, l’emblématique successeur de Carlos Ghosn, vient de trancher à la hanche un débat qui avait fait frémir les salons bobo depuis le confinement.

"Si vous dites aux constructeurs automobiles : nous sommes prêts à vous aider, […] à améliorer par exemple les primes à la conversion, […] à regarder ce qui peut améliorer la compétitivité sur le site de production français. La contrepartie ça doit être : quelles relocalisations vous envisagez ?"    

Bruno Le Maire

Sénard désavoue Le Maire

Au passage, on notera que, une semaine plus tôt, le ministre de tutelle de Renault (puisque l’État est au capital de l’entreprise…) avait annoncé exactement le contraire, selon les propos que nous rapportons ci-dessus. Pour Bruno Le Maire annonçait même un plan de soutien en urgence à l’industrie automobile en échange de relocalisations et d’aide à l’achat de véhicules électriques.

Il est vrai que, entre Sénard et Le Maire, les prises de bec sont nombreuses. On se souvient notamment des différends qui s’étaient étalés publiquement entre le ministre et le patron de Renault sur le rapprochement avec Fiat. À l’époque, Sénard tonitruait contre Bercy où des technocrates se prenaient pour des capitaines d’industrie et semaient la pagaille dans les projets de l’entreprise.

Or, coronavirus ou pas, Renault doit prendre des mesures fortes pour rétablir une situation compromise en 2019, avec 141 millions de pertes.

Les relocalisations industrielles sont-elles possibles ?

Inévitablement, la question qui se pose est de savoir si les relocalisations sont industriellement viables, au-delà des bonnes intentions politiques qui les entourent. Et c’est ici que le débat est à la fois ouvert, et immédiatement fermé par l’évidence des faits.

Pas plus tard que la semaine dernière, les chiffres du commerce extérieur au premier trimestre ont en effet rappelé que les constructeurs automobiles français ont un besoin vital de délocalisation pour soutenir la compétition internationale. D’où cet étrange phénomène par lequel notre balance commerciale est déficitaire parce que nous importons trop de produits français… fabriqués à l’étranger. En l’espace d’une dizaine d’années, la France est passée du statut d’exportatrice nette de véhicules, au statut d’importatrice, du fait des délocalisations pratiquées par Renault et marginalement par Peugeot.

Il va falloir se montrer très persuasif pour que ces constructeurs fassent désormais le chemin inverse.

Les petits modèles  à gros volumes des constructeurs français (Peugeot 208, 2008, Renault Clio, Captur…) sont désormais intégralement produits hors de France, pour des raisons de coûts…C'était déjà le cas pour la citadine Citroën C3. Quant aux Dacia à très bas coûts et au succès croissant, elles proviennent de Roumanie ou du Maroc. Dans la foulée, les équipementiers ont suivi le mouvement de leurs clients. Certes, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire veut lier aides à l'automobile et relocalisations. Mais on voit mal comment Renault et PSA referaient le mouvement inverse…   

Challenges, 12 mai 2020

Inévitable réduction des protections en France

Les raisons pour lesquelles les producteurs français ont délocalisé leur production de voitures françaises en Roumanie, au Maroc ou ailleurs sont bien connues. Pour produire une voiture à moins de 5.000€, comme la Dacia, il faut une fiscalité plus favorable et des charges (tous types confondus) moins élevées qu’en France.

S’agissant de l’industrie automobile, les constructeurs demandent un allègement des taxes sur la production, et leur compensation par des taxes sur la valeur ajoutée (ce qu’on appelle couramment la TVA !). L’idée n’est pas mauvaise, mais hérisse le poil de tous les bien-pensants qui ont coutume de disserter sur le monde d’après : réduction de l’impôt sur les sociétés, des cotisations sociales, et des contributions en tous genres, dont les règles changent chaque année, et qui mobilisent des fortunes en frais de conseil.

Dans le cas de Renault, on ajoutera que la récente fermeture du site de Sandouville obtenue en justice par la CGT rappelle que le poids du « dialogue social » ne contribue pas à nourrir une « envie de France » chez les constructeurs.

Autrement dit, les relocalisations industrielles sont possibles, à condition de remettre en cause tous les vices qui ont poussé les patrons à partir à l’étranger : fiscalité instable et étouffante, protections en tous genres qui compliquent et alourdissent les conditions de production.

Pas de relance verte sans révolution sociale

Assez rapidement, les élucubrations sur la relance verte vont donc se heurter au principe de réalité. On ne pourra malheureusement pas conserver l’épaisse entrave réglementaire qui décourage l’entreprise tout en convainquant celle-ci de revenir. Si les entreprises françaises ont délocalisé, c’est pour des raisons structurelles, systémiques, qui continueront à empêcher les patrons de produire en France si elles ne sont pas réglées.

Autrement dit, sans une opération de simplification radicale du code du travail et du code de la sécurité sociale, on voit mal comment les relocalisations interviendront. C’est la dure loi de la réalité. Et comme il est peu probable que nos donneurs de leçons bien-pensants soient prêts à l’affronter. Il est tellement plus simple de dilapider le patrimoine accumulé par les générations précédentes en profitant du bon temps que cet immense club de vacances appelé la France offre.


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