Qui utilise vraiment du bitcoin ?

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Le bitcoin ne peut être monnaie que si son usage se popularise. Pour le moment, nous en sommes loin. Si le bitcoin circulait, les banquiers centraux et les États dégaineraient l’artillerie législative pour supprimer cette concurrence monétaire.

« Le bitcoin n’est pas une monnaie », selon la propagande des banquiers centraux. En février 2018, le gouverneur de la Banque d’Angleterre déclarait « il a plutôt échoué jusqu’à présent ». La Banque de France en mars 2018, présentait des arguments restant inchangés aujourd’hui :

« Les crypto‐actifs ne remplissent pas ou que très partiellement les trois fonctions dévolues à la monnaie :

D’abord, leur valeur fluctue très fortement, ce qui ne permet pas d’en faire des unités de compte. De fait, très peu de prix sont exprimés dans ces crypto‐actifs.

Ensuite, comme intermédiaires des échanges, les crypto‐actifs sont bien moins efficaces que la monnaie qui a cours légal, dans la mesure où (i) la volatilité́ de leur cours rend de plus en plus difficile leur utilisation comme moyen de paiement ; (ii) ils induisent des frais de transactions qui sont démesurés pour de simples opérations de détail ; et (iii) ils n’offrent aucune garantie de remboursement en cas de fraude.

Enfin, leur absence de valeur intrinsèque ne permet pas non plus d’en faire des réserves de valeur, inspirant confiance. Les crypto‐actifs ne s’appuient sur aucun sous‐jacent réel […].

Au plan juridique, les crypto‐actifs ne sont pas reconnus comme monnaie ayant cours légal, ni comme moyen de paiement »

Banque de France, « l’émergence du bitcoin et autres crypto-actifs: enjeux, risques et perspectives«

Le cours de cette « non-monnaie » selon les émetteurs de grandes devises, se situe aujourd’hui un peu en dessous de 60 000 $ ; en d’autres termes, si vous voulez acquérir 1 bitcoin vous devez sortir d’un compte en banque quelconque l’équivalent de 60 000 $. Rassurez-vous dans la pratique, bien des gens achètent des fractions de bitcoin.

Il n’en demeure pas moins qu’il vous faut cinq fois plus de devises que lorsque la Banque de France et la Banque d’Angleterre se sont exprimées il y a trois ans. Plus de gens ont donc acquis du bitcoin depuis 2018.

Mais pour en faire quoi ?

Le bitcoin moyen d’échange encore peu populaire

Rares en France sont les commerçants arborant le symbole monétaire sur fond orange, signalant qu’ils accepteront de vendre dans cette monnaie.

En France, c’est dans le quartier de la bourse que j’ai observé la plus forte présence de ces signes et le plus souvent sur la vitrine des bistros et cafés.

Quid du reste du vaste monde ?

Le site coinmap.org recense « tous les commerçants et distributeurs automatiques de billets (DAB) du monde acceptant ou délivrant des cryptodevises ». Dans le cas du DAB, il s’agit d’acheter des bitcoins par le débit d’une carte bancaire et non pas d’échanger des bitcoins contre de l’euro ou la devise.

Commerçant acceptant les bitcoins

Voici une capture de cette carte centrée sur la France et les pays limitrophes. Plus c’est rouge, plus il y a de densité de commerçants acceptant les transactions en bitcoin et le blanc indique un désert « bitconien ».

Attention : il ne s’agit pas d’une carte représentant des transactions en unités monétaires mais simplement des endroits où vous pouvez dépenser vos bitcoins. La carte interactive vous permet de filtrer selon différentes catégories de commerçants (spectacles, cafés, restaurants, épiceries, logements, sports, transports,…)

Vous pouvez constater trois choses :

  • Les Français n’ont pas vraiment mordu au bitcoin
  • Les commerçants de l’Europe du nord sont les plus ouverts à ce moyen d’échange
  • Les Italiens, les Espagnols ou les Grecs semblent avoir plus d’appétence en la matière que les Français

Cette carte affiche aussi le nombre de commerçants recensés dans le monde : 22 000 en mars soit + 16% par rapport au 11 janvier 2021. Bonne progression mais somme toute maigre offre. Il est clair qu’aujourd’hui la plupart des gens n’achètent pas du bitcoin pour le dépenser en biens de consommation courante. Ils l’achètent pour le stocker et spéculer sur sa hausse.

Parmi les « ils » : des fonds de pension qui sont intervenus notamment en janvier comme le notait Bloomberg. Selon FinancialNews, le fonds BlackRock vient de déposer un dossier pour demander à pouvoir négocier des contrats à terme sur la cryptomonnaie. Des entreprises comme Tesla et Micro Strategy ont également acquis de grandes quantités. À des fins de trésorerie ? Le bitcoin ne serait-il qu’un « actif » que l’on conserve sans l’utiliser ? Dans ce cas, effectivement, il ne serait pas une monnaie.

Dernière précision, contrairement à ce qu’avance Bruno Le Maire, ce n’est pas l’argent des criminels : moins de 1% est utilisé pour des activités illicites selon Reuters.

L’usage courant du bitcoin peut-il progresser ?

La Banque d’Angleterre met en avant le manque d’usage et la note de la Banque de France contient une menace à peine voilée : « Au plan juridique, les crypto‐actifs ne sont pas reconnus comme monnaie ayant cours légal, ni comme moyen de paiement ».

« Cours légal » pour une monnaie signifie que personne ne peut vous refuser un paiement avec cette monnaie. Ainsi, le Trésor Public n’accepte que des euros, pas des dollars, pas des livres, pas d’or et pas de bitcoin. Si vous vendez au comptoir vos bières ou vos crêpes en bitcoin à vos clients vous êtes confronté à un casse-tête administratif si vous voulez être transparent vis à vis de Bercy. Si le paiement en bitcoin est un gadget qui n’intéresse qu’une très faible portion de votre chiffre d’affaires, c’est jouable.  Mais si vous veniez à faire la plupart de vos transactions en bitcoin, ce n’est plus jouable et vous devrez défricher une jungle de Cerfa.

Les « moyens de paiement » autres que les espèces – dont l’usage en quantité est de plus en plus limité – sont en France : le chèque, le virement, la carte de paiement ou de crédit.

Si jamais l’usage du bitcoin venait à progresser et défier le monopole des devises officielles, il est évident que les gouvernements et autorités monétaires feront tout pour dissuader les amateurs.

L’enjeu du contrôle de la monnaie par le pouvoir

Le monopole monétaire (improprement appelé privilège souverain) est le fondement de l’impôt. Les États ne lâcheront jamais. L’Histoire retrace ce long combat.

Il y a 5 000 ans, à l’époque sumérienne, les échanges étaient essentiellement consignés en crédit-dette par les autorités religieuses et politiques. Puis après bien des essais de monnaies marchandises, l’or et l’argent finirent par se généraliser comme instruments d’échange vers 1 000 ans avant J.-C… L’usage de ces monnaies marchandises, indépendantes de tout pouvoir centralisé, a permis une expansion géographique des échanges et a été créateur de prospérité. Puis 600 ans avant J.-C., le pouvoir politique a repris le contrôle de la marchandise monétaire par la frappe des pièces à son effigie.  Le statère lydien fut la première monnaie d’État en or. La monnaie redevenait contrôlée par les États mais restait d’or et d’argent. Depuis, les pouvoirs se sont toujours efforcés de contrôler la qualité et la quantité de monnaie mais pas dans le sens de l’intérêt des peuples comme en témoignent les nombreuses inflations qu’ils eurent à subir. Toutefois, les gens pouvaient toujours se réfugier dans une autre monnaie plus saine frappé de l’effigie d’un pouvoir encore honnête, ou même thésauriser de l’or ou de l’argent sous forme de bijoux, argenterie, etc…

Depuis maintenant un siècle, les pouvoirs politiques ont coupé leurs citoyens de l’or et de l’argent en tant qu’instruments monétaires. La monnaie est redevenue immatérielle, sans aucune « valeur intrinsèque » pour reprendre la terminologie consacrée. Tous les jours des milliards de devises adossées à rien surgissent du néant. Rien qu’en 2020, les États-Unis ont créé 20% de dollars supplémentaires.

« L’histoire du contrôle gouvernemental exercé sur la monnaie est, à l’exception de quelques rares périodes heureuses, une histoire de tromperie et de fraude incessante. »

Friedrich Hayek, Pour une vraie concurrence de la monnaie

L’enjeu de la libération du joug monétaire

Le 31 octobre 2008, Satoshi Nakamoto, l’inventeur présumé de Bitcoin, publiait son white paper, prélude aux premiers échanges de cette monnaie en janvier en janvier 2009. Il avançait que l’enjeu de Bitcoin était la souveraineté monétaire des individus.

Seul un système monétaire « basé sur une preuve cryptographique plutôt que sur un tiers de confiance », énonçait-il en exposant son projet, peut résister à la censure et « échapper au risque d’inflation arbitraire des devises centralisées ».

Le bitcoin, dans la mesure où personne ne peut se l’approprier ni le multiplier, est apte à devenir un refuge contre l’arbitraire et l’inflation. Avec un avantage sur la monnaie marchandise qu’est l’or : sa télé-transportation au travers des réseaux. Cet aspect permet aussi de se protéger contre les mesures de contrôles des capitaux mises en place par les pays en faillite.

Les armes légales du pouvoir

Le gouvernement indien étudie une proposition de loi interdisant toutes les crypto-monnaies. Toute personne effectuant des transactions dans le pays ou détenant de tels actifs numériques sera punie d’une lourde amende. La possession, l’émission, le minage et le transfert de cryptomonnaie deviendraient des activités criminelles.

En France, une ordonnance a été passée en décembre 2020 pour encadrer les sites proposant des échanges en cryptomonnaies d’une part et des conversions cryptomonnaies contre devises officielles d’autre part et surtout les astreindre à pratiquer le gel des avoirs de leurs clients à la demande de l’administration.

Étrangement, le régime totalitaire chinois ne semble rien avoir mis en place jusqu’à présent.

Une monnaie indépendante des États est-elle possible ?

Parler aujourd’hui du bitcoin et des cryptomonnaies est comme de parler d’internet en 1995. Il existe un réseau et une technologie mais il appartiendra à ses utilisateurs de s’approprier cette technologie et d’en faire un succès populaire et non pas réservé à une poignée de technophiles ou jeune geeks. La mesure du succès populaire c’est l’usage. L’or et l’argent se sont imposés dans l’Antiquité comme marchandises monétaires par l’usage et pas par décret.

Ne soyons pas naïf : les mesures coercitives ne tarderaient pas à faire surface pour maintenir les monopoles monétaires nationaux ou fédéraux si l’usage se répandait.

Mais en promouvant leurs propres cryptomonnaies, les pouvoirs se tirent une balle dans le pied : le grand-public sera familiarisé avec ces instruments et peut-être tenté d’aller vers le bitcoin dont la quantité est limitée à 21 millions (dont 980 000 appartiennent à son père présumé, Satoshi Nakamoto). Un algorithme n’a pas d’état d’âme ne subit pas d’influences politiques, est insensible au lobbying. Une économie saine a plus besoin d’une monnaie honnête que d’un État stratège.


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