Qatargate : l’étrange positionnement du Parquet européen

Le Qatargate n'en est qu'à ses débuts : nous en faisions le constat, hier, avec Virginie Joron. Pour l'instant, chaque jour apporte un lot de nouvelles révélations qu'il est trop tôt pour "évaluer" de façon avisée, au-delà du simple constat qu'elles portent un coup fatal au mythe de la virginité européenne en matière de vieilles pratiques mafieuses. Mais, à ce stade, on peut avoir quelque étonnement en suivant le parcours du dossier : contrairement à la rumeur qui a commencé à courir (et que nous avons injustement répétée hier, ce dont nous nous excusons), c'est la justice belge qui semble s'être saisie seule de ce dossier, sans requête du Parquet européen. Voilà une bizarrerie qui ne manque pas de surprendre.

C’est donc le juge bruxellois Michel Claise qui a directement ouvert une enquête fédérale belge contre des députés européens soupçonnés d’avoir été corrompus par le Qatar. Cette information peut paraître anecdotique ou inutilement technique pour un certain nombre de lecteurs, mais elle révèle quand même beaucoup sur un dossier hautement sensible.
L’Union Européenne sans arme face à la corruption
Premier point : l’Union Européenne, qui adore lutter contre la corruption chez les autres, et contre le blanchiment d’argent sale par les autres, a manifestement quelques difficultés à lutter contre la corruption au sein des institutions européennes elles-mêmes, et contre le blanchiment manifeste d’argent sale qui y a cours.
C’est la justice belge, dont l’affaire Dutroux avait mis au jour les faiblesses, qui est venue au secours de la probité… Voilà qui en dit long sur la déliquescence de l’Union.
Tous contre le Qatar…
Deuxième point : alors que le dossier Pfizer est toujours en souffrance, la justice belge s’est emparée d’une affaire importante certes, mais qui porte sur des montants bien moindres, concernant le Qatar. Bien entendu, toute corruption doit être combattue, mais il est tentant de lire des éléments géopolitiques dans ce dossier.
En particulier, on peut penser que la survenue de ces perquisitions, de ces interpellations, de cette mise sous écrou de la désormais ex-vice-présidente du Parlement ne tombe pas seulement par hasard quelques jours avant la finale de la Coupe du Monde qui se déroule au Qatar, c’est-à-dire au pire moment pour l’image du Qatar lui-même. Y aurait-il, dans ce dossier, une dimension géopolitique, visant à discréditer un émirat qui fait cavalier seul, ou qui fait de l’ombre à l’Arabie Saoudite ?
En tout cas, certains n’ont pas manqué de souligner que, depuis plusieurs années, le FBI cherche à « coincer » les Qataris sur les conditions d’obtention de cette Coupe du Monde en lieu et place des Etats-Unis, qui étaient candidats. Cette motivation américaine aide-t-elle à accélérer les procédures lorsque le Qatar est visé, et retarde-t-elle les procédures lors c’est la relation d’Ursula von der Leyen avec les laboratoires américains qui est visée, comme nous nous en étonnions hier avec Virginie Joron ?
Une mise sous écrou illégale ?
Reste que, dans l’ordre international, il est assez curieux que la justice belge soit en mesure d’enfreindre le pouvoir parlementaire européen, qui n’est pas sous sa juridiction. La mise sous écrou d’Eva Kaili, si elle se justifie sans doute pour des raisons morales, pose un vrai problème juridique. Certes, l’immunité parlementaire ne tient pas en cas de flagrant délit. Mais cette flagrance sera probablement contestée, et elle porte sur un délit relatif à l’activité parlementaire de la députée. Nous ne sommes pas ici dans le cas d’une parlementaire qui aurait violé le Code de la Route belge, ou qui aurait commis un crime de droit commun au sens classique du terme.
La procédure menée par la justice belge consiste donc à reconnaître de fait au procureur du roi de Bruxelles la faculté d’enquêter sur la vie des parlementaires européens, y compris pour ce qui concerne leur activité parlementaire. Cela pose quand même un sacré problème.
Il ne s’agit pas ici d’excuser l’inaction grave du Parquet européen. Il s’agit seulement de se demander dans quelle mesure la justice d’un Etat membre peut à ce point interférer dans le fonctionnement communautaire.
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