C’était un moment de télévision d’une pureté soviétique, un instant suspendu où la réalité a fait une pirouette avant de s’écraser sur le marbre froid de l’Assemblée nationale. Nous avons assisté, émus aux larmes (payées par nos impôts), au calvaire de Patrick Cohen.

Imaginez la scène : un employé de l’État, payé par la puissance publique, assis au cœur d'une institution publique, expliquant avec le plus grand sérieux que l'indépendance, la vraie, la seule, c'est celle qui est subventionnée. Et que la menace, la terrible hydre qui siffle sur nos têtes, c'est ce vilain secteur privé qui ose exister.
Le camarade Cohen nous a offert une théorie du complot d’une beauté architecturale : les « médias Bolloré » (comprendre : ceux qui doivent trouver des clients pour survivre) auraient ourdi une machination pour déstabiliser le service public. C’est un peu comme si la Pravda de 1980 s'était plainte d'être harcelée par un fanzine ronéotypé dans une cave.
Car suivons la logique jusqu'au bout, voulez-vous ?
Selon la doctrine Cohen, être payé par l'État est la garantie suprême de ne pas être aux ordres de l'État. C’est brillant. C’est la dialectique du contribuable heureux. De la même manière, on imagine que les journalistes de Russia Today sont les seuls esprits libres de Moscou, précisément parce que le Kremlin signe leurs chèques. Comment Poutine pourrait-il influencer des gens qu'il nourrit ? L'idée est absurde, voyons ! La main qui donne est forcément celle qui libère, c’est bien connu des zoologues qui étudient les animaux de cirque.
À l’inverse, le journaliste du privé, ce mercenaire soumis aux affres du marché et de l’audience, est forcément un agent double. Patrick Cohen a réussi l'exploit de transformer une vidéo le montrant en train de discuter stratégie politique (pardon, de « faire son métier ») en une preuve que c'est lui la victime.
On crie au « complot » parce qu'une caméra indiscrète a révélé ce que tout le monde sait mais qu'il est impoli de dire : la télévision d'État a ses préférés. Mais pour Patrick, ce n'est pas le contenu de l'assiette qui pose problème, c'est le serveur qui a apporté l'addition.

C’est là tout le sel de l’esprit de caste français. Dans n’importe quel pays libre, un média d’État est suspect par nature. On se demande : « Tiens, pourquoi le gouvernement me force-t-il à payer pour cette information ? » Ici, non. Ici, la suspicion envers la télévision d'État est traitée comme une hérésie, une attaque contre la République, voire — grands dieux — une manœuvre d'extrême droite.
Patrick Cohen nous explique donc que douter de sa neutralité, c'est être complotiste. C'est fascinant. Le Léviathan médiatique, fort de ses milliards de redevance (ou de TVA, la poche change mais le vol reste le même), se sent menacé par la concurrence. C'est le monopole qui pleure parce que l'épicier du coin a ouvert le dimanche.
Surveillés par les "commissaires politiques" de l’information comme ConspiracyWatch, boudés par les subventions publiques, nous ne devons rien au système. Notre seule légitimité, c’est vous. Pour garantir notre indépendance totale et continuer à dire ce que les autres taisent, nous avons besoin de votre soutien.
Alors, rassurons Saint Patrick : il n'y a pas de complot. Il y a juste ce phénomène agaçant qu'on appelle la réalité. Quand on vit de l'argent des autres, il arrive parfois que les « autres » demandent des comptes. Et quand on prétend incarner la neutralité depuis un fauteuil payé par l'Élysée, il faut accepter que certains trouvent la posture aussi crédible qu'un végétarien à la fête de la saucisse.
Dormez tranquilles, braves gens. La télévision d'État veille sur votre indépendance d'esprit. Et si vous en doutez, c'est sûrement que Vincent Bolloré a piraté votre cerveau.

