Il est des rituels dans la République finissante qui tiennent plus de la messe des morts que de la délibération démocratique. L'examen automnal du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) est de ceux-là. Alors que la France s'enfonce dans l'hiver démographique et que ses comptes sociaux virent au rouge sang, la représentation nationale s'apprête, une fois de plus, à jouer la comédie du débat budgétaire.

Le titre de cette chronique n'est pas une provocation, c'est un constat clinique, empreint de cette lucidité mélancolique qui saisit celui qui regarde le désastre en face : Mesdames et Messieurs les parlementaires, votre obsession de la réélection est en train de tuer le pays.

Ce PLFSS est populiste au sens le plus vil du terme. Il s'agit de satisfaire une clientèle électorale habituée à la dépense publique comme à une drogue dure.
Le mensonge des chiffres et la faillite organisée
Commençons par regarder la réalité crue, celle que la technostructure de Bercy tente de maquiller sous des acronymes barbares et des hypothèses de croissance fantaisistes. Le PLFSS pour 2025 n'est pas un budget, c'est un aveu d'impuissance, voire une lettre de démission collective. Le déficit de la Sécurité sociale, que l'on nous promettait de résorber après la parenthèse du « quoi qu'il en coûte », explose. La Cour des Comptes, dans son rôle de Cassandre institutionnelle, a lâché le mot : nous assistons à une « perte de maîtrise des comptes sociaux ».

Les chiffres donnent le vertige à quiconque possède encore la notion de la valeur de l'argent : 15,3 milliards d'euros de déficit pour 2024, soit un dérapage de près de 5 milliards par rapport aux prévisions initiales, et une projection abyssale de 22,1 milliards d'euros pour 2025. Hors crise sanitaire aiguë, ce niveau est tout simplement insoutenable. Il signifie que notre modèle social ne survit que sous perfusion, financé par une dette que nous transférons lâchement à la CADES, c'est-à-dire à nos enfants — s'il en reste.
Ce PLFSS est populiste au sens le plus vil du terme. Il s'agit de satisfaire une clientèle électorale habituée à la dépense publique comme à une drogue dure. Le peuple, il est vrai, demande toujours plus de protection, plus de remboursements, plus d'avantages, mais refuse obstinément d'en payer le prix par la cotisation. Face à cette équation impossible, le gouvernement et sa majorité relative choisissent la fuite en avant : le déficit. C'est la solution de facilité pour sauver son siège ou son maroquin. Comme les nobles de l'Ancien Régime s'accrochaient à leurs pensions alors que le royaume était en faillite, notre caste politique s'accroche à l'illusion de la gratuité pour éviter la colère de la rue.

La grande trahison des idéaux de 1945
Mais le crime n'est pas seulement comptable, il est moral et philosophique. Ce PLFSS consacre la destruction méthodique de l'esprit de 1945. Il faut relire les ordonnances du 4 octobre pour mesurer l'ampleur de la trahison. La Sécurité sociale, telle que le Conseil National de la Résistance (CNR) l'avait conçue, reposait sur une logique de responsabilité et de dignité : la logique assurancielle. Les travailleurs cotisaient pour se prémunir contre les aléas de la vie. Ils géraient eux-mêmes leurs caisses, via la démocratie sociale. C'était un système d'hommes libres.

Progressivement, et le plan Juppé de 1995 en fut le péché originel avec l'instauration des LFSS et la prise de pouvoir du Parlement sur le budget social, nous avons basculé vers une logique d'assistance étatisée. La Sécu est devenue un « guichet ouvert », une vaste administration de distribution d'allocations financée par l'impôt (la CSG) et le déficit. On a transformé l'assuré social, fier de ses droits acquis par le travail, en un usager quémandeur, dépendant du bon vouloir de la technocratie d'État. On l'a avachi.
Les parlementaires, en votant ce budget, valident cette dérive. Ils entérinent le fait que la Sécurité sociale n'appartient plus aux Français, mais à l'État, qui s'en sert pour acheter la paix sociale. Ils démontrent, année après année, qu'ils ne sont pas plus responsables que les partenaires sociaux qu'ils ont pourtant dépossédés de la gestion. Pire, ils utilisent l'ONDAM (Objectif National de Dépenses d'Assurance Maladie) comme un instrument de rationnement hypocrite des soins, fixant un objectif de +3,4 % pour 2025 qui couvre à peine l'inflation médicale réelle, organisant ainsi l'asphyxie programmée de l'hôpital public.
L'hiver démographique : le suicide silencieux
Le plus terrifiant dans ce théâtre d'ombres est le silence assourdissant sur la cause première de notre faillite : l'effondrement démographique. Les données de l'INSEE pour 2024 sonnent le tocsin. Avec seulement 663 000 naissances, la France a perdu 21,5 % de sa natalité depuis 2010. L'indice de fécondité s'effondre à 1,62 enfant par femme. Le solde naturel est tombé à +17 000 personnes, son plus bas niveau depuis la Seconde Guerre mondiale.

Nous sommes en train de mourir. Physiquement. Et mathématiquement, un système de retraite par répartition ne peut survivre avec une telle pyramide des âges inversée. C'est une certitude arithmétique. Pourtant, le PLFSS 2025 continue de faire comme si de rien n'était, comme si l'apport migratoire ou des réformes paramétriques à la marge allaient suffire à combler le vide des berceaux.
La caste au pouvoir, obsédée par le court terme et les injonctions sociétales du moment, a méthodiquement démantelé la politique familiale. Elle a rompu l'universalité des allocations, culpabilisé les familles au nom de l'écologie punitive, et laissé s'installer un climat anxiogène où l'enfant est perçu comme une charge plutôt que comme une espérance. Sauver son siège, pour un député d'aujourd'hui, c'est éviter de parler de natalité pour ne pas froisser les minorités agissantes ou les adeptes de la décroissance. C'est préférer le confort du déni à la rudesse du réel.

La stratégie de l'autruche et le spectre du « Great Reset »
Alors, pourquoi ce PLFSS sera-t-il probablement adopté dans une indifférence morne? Parce que son rejet provoquerait une crise institutionnelle immédiate. Et c'est bien là le cœur du problème. La classe politique toute entière, de la majorité aux oppositions de confort, est tétanisée par la peur du vide.

On vote ce budget pour éviter la crise aujourd'hui, sans comprendre que l'on ne fait que nourrir la crise systémique de demain. On achète du temps. Mais du temps pour quoi faire? Pour continuer à gérer le déclin? Pour laisser la dette sociale nous ligoter définitivement aux marchés financiers et aux instances supranationales qui dicteront bientôt notre politique intérieure?
Le courage de la rupture
Nous comprenons bien les peurs qui entourent les grandes transitions historiques. Il est plus confortable de voter un amendement cosmétique sur la taxation des sodas que de dire aux Français : « Les caisses sont vides, nous ne faisons plus d'enfants, notre système est mort, il faut tout reconstruire. »
Pourtant, nous n'avons pas aujourd'hui le choix entre une crise et une solution indolore. Nous avons le choix entre une crise surmontable tout de suite, et une catastrophe irréversible demain. Rejeter ce PLFSS serait un acte de salubrité publique. Ce serait le signal que le Parlement refuse de valider le mensonge d'État. Ce serait forcer l'exécutif à regarder la falaise vers laquelle il nous précipite.
Parlementaires, vous avez été élus pour représenter la Nation, pas pour être les notaires de sa liquidation. Sauver votre siège, c'est peut-être vous assurer une investiture pour 2027, mais c'est condamner la France à la servitude par la dette et à l'extinction démographique. Il est temps de retrouver le sens du tragique et le goût du courage. Refusez ce budget de la honte. Provoquez la crise nécessaire. Sauvez la France, quitte à perdre votre siège. L'Histoire, elle, ne retiendra pas le nom de ceux qui ont géré les affaires courantes jusqu'à l'abîme, mais de ceux qui, un jour, ont eu la lucidité de dire Non.





