L’image restera, indélébile, gravée dans l’inconscient collectif de la Ve République. Un ancien Président, celui-là même qui incarna avec une énergie presque survoltée la fonction suprême, franchissant les portes d’un établissement pénitentiaire, non pour une visite officielle, mais pour y être écroué.

L’incarcération de Nicolas Sarkozy n’est pas un simple fait divers judiciaire ; c’est un événement sismique, un moment de vérité politique et, osons le mot, une tragédie empreinte d’une ironie cruelle.
Face à un tel événement, le commentateur est sommé de choisir son camp : se réjouir de la chute de l’idole ou crier à l’acharnement judiciaire. Ces deux postures, aussi bruyantes que stériles, manquent l’essentiel. Elles nous obligent à regarder en face les contradictions de notre système judiciaire et les paradoxes vertigineux d’une classe politique souvent rattrapée par les règles qu’elle a elle-même édictées. Il convient d’analyser cette situation avec la froideur clinique de l’observateur engagé mais non partisan, en disséquant les mécanismes à l’œuvre et les leçons qu’ils révèlent sur notre rapport à l’ordre, à l’autorité et à l’égalité.
La gravité de l'enfermement, au-delà du symbole
Il faut commencer par rappeler une évidence que le tumulte médiatique tend à occulter : toute incarcération est une tragédie. La privation de liberté est l’acte le plus grave qu’une société démocratique puisse commettre contre l’un de ses membres. C’est la violence légale de l’État portée à son point d'incandescence.
Se réjouir publiquement de l’emprisonnement d’un homme, fût-il Nicolas Sarkozy, relève d’une forme d’indécence. Cette Schadenfreude, cette joie mauvaise tirée du malheur d’autrui, est le signe d'une société malade de ses ressentiments. Que l’on ait combattu sa politique ou qu’on l’ait soutenue, le spectacle de la déchéance doit inspirer une forme de gravité. La prison est le grand égalisateur. En cela, l’incarcération de Nicolas Sarkozy ne doit pas être traitée différemment de celle d’un citoyen anonyme. L’égalité devant la loi, si souvent invoquée, implique aussi une égalité dans la compassion face à la rigueur de la peine.
L’exécution provisoire : une brutalité juridique choquante
Toutefois, cette compassion humaine ne doit pas occulter l’examen critique des conditions juridiques qui président à cette situation. Et c’est ici que le bât blesse. L’aspect le plus choquant de cette incarcération ne réside pas dans la condamnation elle-même, mais dans les modalités de son application : l’exécution provisoire de la peine.
Cela signifie que la peine est appliquée immédiatement, quand bien même les voies de recours ne sont pas épuisées. C’est une entorse brutale à l’un des principes les plus sacrés de notre droit : la présomption d’innocence, qui perdure tant qu’une condamnation n’est pas définitive. Ordonner l’exécution provisoire, c’est décider d’incarcérer un individu qui pourrait, in fine, être relaxé ou acquitté.

Cette mesure, qui vise à rendre la justice plus rapide, porte en elle un germe liberticide extrêmement inquiétant. Elle transforme la justice en une machine expéditive, plus soucieuse de donner des gages à l’opinion publique que de respecter les droits fondamentaux de la défense. Comment accepter qu’un individu puisse passer des mois en prison pour être finalement innocenté ? Le temps volé ne se rattrape pas. Que cette mesure s'applique à un ancien chef d’État donne le sentiment que la justice veut "faire un exemple", quitte à tordre ses propres principes.
L'arroseur arrosé : le legs sécuritaire
Le paradoxe le plus cinglant de cette situation réside dans une ironie historique que les moralistes ne manqueront pas de souligner. Nicolas Sarkozy est aujourd’hui victime d’un climat judiciaire et d'une philosophie pénale qu’il a lui-même patiemment instaurés. C'est la fable de l'arroseur arrosé.
Durant tout son mandat, et avant, Place Beauvau, Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse de dénoncer le supposé "laxisme" de la justice. Son quinquennat fut marqué par une inflation législative visant à accélérer l’exécution des sentences. On se souvient des "peines plancher" (Loi du 10 août 2007), visant à automatiser la sanction. La loi LOPPSI 2 de 2011 participait de cette même logique de célérité. L'esprit de ces lois était clair : la justice ne devait plus tergiverser, toute condamnation devait être suivie d’effet immédiat pour être crédible.