L’usage du bitcoin peut-il légalement se développer ?

L’usage du bitcoin peut-il légalement se développer ?


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Alors que leur valeur d’usage reste encore faible, le bitcoin et les cryptomonnaies subissent les coups de boutoir des États qui entendent conserver leur souveraineté monétaire. Du coup, les spéculateurs subissent des variations de cours impressionnantes ce qui refroidit les ardeurs des potentiels utilisateurs. Les cybermonnaies pourront-elles contrer un arsenal législatif de plus en plus répressif ?

Les cours des cryptomonnaies ont violemment reculé face aux grandes devises (dollar et euro). Après avoir culminé le 11 avril 2021 à plus de 50 000 €, le bitcoin s’achète ou se vend autour de 27 000 €. Les négociations au travers des différents sites (achats-ventes) concernent environ 10% des jetons existants.

Cours du bitcoin exprimé en euro depuis sa création

Ceci ressemble à une sérieuse chute. Mais pour un spéculateur financier habitué des échelles dites logarithmiques, cette chute ressemble à un simple accident de parcours.

Cours du bitcoin exprimé en euro depuis sa création en échelle logaritmique

Quelle que soit la façon de regarder l’évolution du cours, la baisse actuelle est imputable à trois évènements rapprochés. Deux d’entre eux sont survenus aux États-Unis et le dernier en Chine.

La promesse de pouvoir acheter une Tesla en bitcoin a fait long feu

Elon Musk, l’entrepreneur trublion, avait déclenché l’euphorie début février en faisant connaître que Tesla, avait acheté pour 1,5 Md$ de bitcoin et que le constructeur automobile accepterait cette cryptomonnaie en paiement de ses voitures électriques.

Tête à queue d’Elon Musk à la mi-mai : Tesla refusera les bitcoins à cause du « minage » de la cryptomonnaie, activité à laquelle il est reprochée d’être énergivore. En effet, le code informatique d’origine limite cette monnaie à 21 millions d’unités. Plus de 90% des jetons existent déjà, il en reste 19 millions à « miner » et il se crée ainsi environ 1 800 bitcoins par jour. L’activité de minage consiste à faire tourner de puissants codes informatiques ce qui consomme de l’énergie électrique et déplait à certains qui jugent cette consommation inutile. En réalité, elle sert à rémunérer les multiples intervenants qui certifient les transactions à chaque noeud du réseau.

Mais Elon Musk peaufine son image d’homme soucieux du changement climatique et a promu en ce même mois de février un prix doté de 100 M$ pour la meilleure technologie de piège à CO2. Exit, donc le bitcoin soupçonné d’écocide. Visiblement, Elon Musk ignore que certaines cryptomonnaies utilisent d’autres technologies de validation que la preuve de travail, et sont donc moins gourmandes en énergie.

Les échanges en cryptomonnaies bientôt déclarables au fisc américain

Autre récent coup dur pour les cryptodevises, les transferts excédents 10 000 $ devront désormais être déclarés à l’administration fiscale fédérale américaine. Cette disposition s’inscrit dans le plan Biden d’augmentation de la pression fiscale, ainsi que le renforcement de la taxation sur les plus-values pour les gros patrimoines. Jerome Powell, le président de la Réserve Fédérale a indiqué qu’il fallait « prêter attention aux innovateurs dans le domaine des paiements du secteur privé auxquels ne s’appliquent pas la réglementation traditionnelle des banques, sociétés d’investissement et autres intermédiaires financiers ».

Les lecteurs soumis à l’impôt en France qui se posent des questions au moment de leur déclaration de revenu se reporteront à cet article : « déclarer fiscalement ses cryptomonnaies : ne vous faites pas avoir par les pitres de Bercy »

La Chine vent debout contre le bitcoin

La Chine s’agace aussi. En 2019, le régime avait interdit à ses ressortissants des achats de cryptomonnaies depuis la Chine. Mais l’hydre avait quelques têtes qui repoussaient dans le secteur bancaire ; certains acteurs proposaient malgré tout quelques services en crypto-devises. Nouveau coup sur la tête de l’hydre en mai 2021 : le secteur financier est interdit de bitcoin et de tout ce qui y ressemble. La décision frappe les banques, les paiements en ligne, les chambres de compensation, etc. Bien entendu, il s’agit de sauver les braves gens de leurs errements : «  les transactions spéculatives de crypto-devises ont rebondi, portant atteinte à la sécurité de la propriété du peuple et troublant l’ordre économique et financier normal ». (Ceux qui ricanent à cette lecture verront leur note de crédit social s’effondrer pour cause de malpensance).

Bitcoin trublion de l’ordre économique

Contrairement à ce que prétendent les camarades capitalistes chinois, le bitcoin a été créé pour le peuple, les braves gens. Comme je l’explique dans mon dernier livre (qui a eu l’honneur de la censure de Facebook), la déclaration de naissance du bitcoin par son créateur est très claire : il s’agit d’une monnaie immatérielle, disponible en quantité limitée dont la gestion par la blockchain est décentralisée et échappe au contrôle des banques centrales. Son créateur l’a conçue pour « échapper au risque d’inflation arbitraire des devises centralisées ».                                                                      

Or, il n’a pas échappé à votre sagacité, que nous sommes en pleine inflation arbitraire des devises centralisées. Après les grossières manipulations des banques centrales pour faire baisser les taux d’intérêt, voici l’ère de la création monétaire brutale avec revenu universel et chèques en blanc pour toutes sortes d’industries censées faire baisser la température planétaire.

Oui, le bitcoin dérange l’ordre financier. Il est conçu pour cela car l’ordre financier actuel porte atteinte à la propriété des individus en créant de la fausse monnaie mise à disposition de quelques-uns, bien vus des cercles du pouvoir.

De la spéculation à l’usage quotidien, il y a loin

Toutefois, pour devenir un trublion de l’ordre économique et faire vraiment trembler l’édifice financier, encore faudrait-il que bitcoin ait une valeur d’usage. Tant que ce ne sera pas le cas, il aura du mal à s’imposer comme la monnaie du peuple au service de tous, sans privilège.

Sur le site coinmap.org, vous pouvez visualiser le nombre de commerçants acceptant le bitcoin dans le monde. Pour l’Europe, voici un aperçu récent :

Sur cette carte, plus il y a de rouge, plus vous pouvez négocier de biens et services en bitcoin. Plus c’est blanc, moins il y en a. Attention : cette carte est une heat map et ne représente pas le volume local des transactions.

Comme vous pouvez le constater, les utilisateurs de bitcoin sont presqu’absents en France mais plus nombreux en Europe de l’Est et dans les pays de l’Europe du Sud qui ont frôlé ou connu la faillite (Italie, Espagne, Grèce, Portugal, à l’exception notable de l’Irlande). Vous voyez aussi que l’Angleterre –pourtant hors Eurozone – est bien couverte. Mais le phénomène semble rester embryonnaire ; ce site recensait en Europe moins de 20 000 points d’usage en fin d’année 2020. La progression de 10% en six mois reste modeste.

Cependant, le retour de l’inflation, s’il se confirme, pourrait changer les habitudes. Tout le monde aime voir les prix baisser ou rester stables quand il achète. On pourrait donc voir des commerçants vouloir sécuriser leurs prix d ‘approvisionnement en achetant en bitcoins. On pourrait voir des consommateurs faire pression pour pouvoir payer en bitcoin. Toutefois, la riposte législative ne tarderait pas.

Le pouvoir entend contrôler la monnaie, en quantité et en qualité et ne pas lâcher ce puissant levier qui permet l’enrichissement de ceux qui ont ses faveurs et la taxation arbitraire de ceux qui ne les ont pas. Quel que soit l’avenir du bitcoin, cette initiative aura au moins eu le mérite de révéler au grand jour que le contrôle de la monnaie par le pouvoir n’est pas imposé dans le souci du bien commun et d’une monnaie honnête.


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