Je ne m’attendais pas à ce que trois événements du quotidien, très ordinaires en apparence, m’ouvrent brusquement les yeux sur l’ampleur du bouleversement en cours.

Le premier : un dirigeant de SSII, un vétéran du service informatique, m’annonce sans détour qu’il va réduire de 80 % ses recrutements de jeunes diplômés. La raison ? L’intelligence artificielle, qui lui permet de faire en quelques heures ce que ses équipes mettaient des jours à produire. C’est transitoire, mais très significatif.
Le second : un membre de mon équipe, d’ordinaire porté sur les juniors, m’explique qu’il a recruté « pour une fois » un profil senior. Non pas pour son expérience uniquement, mais pour sa capacité à être opérationnel immédiatement chez le client — là où les jeunes diplômés nécessitent désormais une montée en compétences que plus personne n’a la patience d’attendre.
Le troisième : une vieille scène de film où apparaît une règle à calcul — symbole oublié d’un monde où l’on faisait réellement les calculs soi-même.
Ces trois moments, mis bout à bout, m’ont forcé à regarder la réalité en face : l’IA est en train de bouleverser l’éducation, la formation, et plus encore la valeur du diplôme.
Exactement comme la calculatrice autrefois… mais en infiniment plus profond, plus transversal, plus brutal.

Quand la calculatrice n’a changé que la surface… L’IA touche au cœur
On a tendance à oublier que l’arrivée de la calculatrice n’a pas supprimé l’apprentissage des mathématiques. On continue à apprendre les bases, les théorèmes, la logique, la démonstration.
La calculatrice a automatisé la partie mécanique du calcul, mais elle n’a pas modifié le socle conceptuel.
Avec l’intelligence artificielle, la comparaison est trompeuse.
Car l’IA ne se contente pas d’automatiser des opérations techniques. Elle automatise la connaissance elle-même, ou du moins sa restitution, son organisation, son accessibilité immédiate.
Elle permet d’analyser un texte, produire un raisonnement, résoudre un problème, écrire un code, résumer un livre, structurer une stratégie, créer une formation, imaginer un produit, rédiger un contrat.
Là où la calculatrice n’a touché qu’un volet de la compétence, l’IA touche toutes les couches de la valeur du savoir :
- acquisition
- mémorisation
- restitution
- structuration
- mise en forme
- application
- évaluation
C’est un changement de paradigme.
Et ce changement a un impact immédiat sur ceux qui sont les plus vulnérables : les jeunes diplômés.

Le diplôme ne vaut plus ce qu’il valait hier
Aux États-Unis, la tendance est déjà visible, presque assumée :
- De plus en plus d’entreprises ne demandent plus de diplôme.
- Le CV traditionnel se transforme : moins de ligne « Bac +5 », plus de ligne « projets », « réalisations », « portfolios ».
- Le coût exorbitant des études supérieures pousse les familles à questionner la rentabilité d’un diplôme qui, souvent, ne garantit plus ni emploi, ni statut, ni salaire d’entrée.
Mais la réalité va plus loin : ce n’est pas seulement que le diplôme perd sa valeur. C’est que le diplôme n’est plus une garantie à vie, ni même une assurance pour le premier emploi.
Les recruteurs demandent désormais :
- « Qu’est-ce que tu sais faire ? »
- « Montre-moi. »
- « As-tu déjà utilisé tel outil d’IA ? »
- « Es-tu capable de travailler avec un système IA comme partenaire ? »
Toutes proportions gardées, plus que le diplôme, ce sont aujourd'hui :
- la capacité d’adaptation,
- la vitesse d’apprentissage,
- la curiosité,
- la façon de collaborer,
- et la maturité relationnelle
… qui deviennent déterminantes.
Les compétences techniques se périment.
Les compétences humaines s’apprécient.
